Atteints du Xeroderma Pigmentosum, également appelé « maladie des enfants de la lune », Mohamed, Amina et Zohra, âgés respectivement de 4 ans, 5 ans et 18 mois, ne peuvent plus s’exposer au beau soleil de Tamanrasset sous peine de développer des cancers de la peau et des yeux. Cloîtrés la plupart du temps dans la maussade mansarde familiale, au cœur d’un immense bidonville dépourvu de toutes commodités de vie, ils trépassent à petit feu sous le regard impuissant de leurs parents. La misère extrême accentue le calvaire des enfants qui souffrent d’un isolement aussi grave que la pathologie. Condamnés, ils n’attendent que la tombée de la nuit pour gambader dans la courette de leur maison de fortune. Leur état de santé se dégrade quotidiennement en l’absence de prise en charge sérieuse et de moyens de prévention.
D’une voix emprunte de tristesse, leur père, Omar Abarzoulagh, avoue qu’il est incapable d’assurer les dépenses relatives à la prise en charge de ses enfants en raison de la cherté des médicaments et des vêtements pare-soleil. Âgé de 54 ans, ce nomade mène une vie de forçat pour subvenir aux besoins les plus élémentaires de la famille. « Je n’ai pas d’autre source de revenu pour soigner mes enfants malades. On m’a demandé de les enfermer pendant toute la journée afin de les protéger contre les rayons du soleil. Une chose qui relève de l’impossible, car on ne peut pas les cloîtrer à l’intérieur d’un taudis dépourvu d’électricité et de climatiseur, indispensable dans cette région où la chaleur atteint des pics intenables, notamment en été » nous confie-t-il. Père de 10 enfants, Omar est à la merci des aides d’associations et des subsides des bienfaiteurs.
En attente d’une thérapie miracle
« A l’heure actuelle, il n'existe aucun traitement » affirme Dr. Elias Akhamouk, président de l’ordre des médecins spécialistes à Tamanrasset, précisant le Xéroderma Pigmentosum est une maladie orpheline rare. Elle nécessite des mesures préventives drastiques et très onéreuses pour limiter ses symptômes, à savoir une peau sèche, épaisse et anormalement pigmentée, mais aussi des symptômes oculaires avec cataracte ou kératite (inflammation de la cornée). Selon notre interlocuteur, 14 cas sont recensés par le service d’oncologie de l’établissement hospitalier de Tamanrasset. « Les malades manquent de moyens de prévention, car il leur faut une combinaison spéciale devant les protéger des rayons UV. La majorité d’entre eux présente des tumeurs cutanées traitées localement » ajoute Dr. Akhamouk.
Les enfants de Omar Abarzoulagh ont déjà atteint ce stade. Ils reçoivent des embrocations (préparation huileuse) quotidiennes en vue de limiter la propagation des lésions qui défigurent leurs visages innocents. Les produits traitants -un gel ophtalmique et une crème externe- sont financés par une association thématique de la wilaya d’Oran (400 km d’Alger) et l’organisation El Ihssane d’In Salah dans la wilaya de Tamanrasset. Toutefois, l’absence d’un environnement adéquat à leur protection contre les rayons UV, reste en travers de la gorge des parents qui attendent le miracle d’une thérapie génique.
Premiers signes du cancer
En l’absence de filtres anti-UV aux fenêtres, les rayons nocifs infiltrent l’habitation et même à l’intérieur de leur chambrette renfrognée. Ils ne sont pas à l’abri des réverbérations du soleil. « Mes enfants ont besoin d’un logement adéquat et de consultations spécialisées intensives. Pour l’instant, ils sont marginalisés hormis les petits soins prodigués par leur génitrice et par leur sœur ainée, Aïchatou » relate Omar Abarzoulagh en faisant savoir que le coût du traitement mensuel de cette maladie avoisine les 60000 DA (plus de 300 Euros) pour chaque enfant.
Une simple addition fait ressortir un montant mensuel de 180000 DA (1000 Euros) que devrait dépenser le père uniquement pour l’acquisition des produits pharmaceutiques prescrits par les spécialistes. Aujourd’hui, son fils Mohamed qui développe les premiers signes du cancer, nécessite une prise en charge médicale urgente. Pour être soigné, il aurait besoin de se déplacer toutes les trois semaines vers Alger pour l’ablation des tumeurs cutanées et les séances de chimiothérapie. Un cri de détresse a été lancé pour venir en aide à Mohamed et lui assurer au moins le transport.
Fethi Bouguemouza, représentant de la direction de l’action sociale et de solidarité (DASS) de la wilaya de Tamanrasset affirme lui avoir accordé cette faveur à titre exceptionnel, car son père ne disposant pas d’un livret de famille, ses enfants ne sont pas inscrits au registre de l’état civil. « Le billet du malade et de son accompagnateur qui se sont déplacés récemment vers un hôpital du nord pour une consultation spécialisée, a été assuré par la DASS. Leur rendez-vous a malheureusement été annulé sans motif aucun ».
Aïchatou, l’enfant-infirmière
Les frères et sœurs des trois enfants condamnés à une existence d’enfermement, vivent avec les mêmes inquiétudes que leurs parents. A 15 ans, Aïchatou fait office d’infirmière et s’occupe de la lessive et de la toilette de son frère et de ses deux sœurs en exécutant exactement les consignes des médecins. Elle a rejoint l’école en 2015 à l’âge de 14 ans, mais se démène comme elle peut pour concilier tâches domestiques et études.
Rabia Ben Abdelkrim, coordinatrice de l’agence locale de développement social (ADS) revient avec force détails sur le dossier des enfants de la lune recensés à Tamanrasset et les conditions dans lesquels ils évoluent en l’absence d’un minimum d’égard de la part des autorités compétentes. En dépit des campagnes de sensibilisation menées sur la radio locale pour faire connaître cette maladie souvent assimilée à de simples dermites, aucune réaction n’a été enregistrée en faveur des malades.
« Nous avons pris attache avec plusieurs associations qui se sont engagées à prendre en charge le volet médicament des malades. Cependant, le problème de ces derniers reste le manque de prévention. Rester entre quatre murs à longueur de la journée n’est pas suffisant, car même à l'intérieur de la maison, l'exposition solaire induit chez eux des lésions cutanées qui évoluent inexorablement vers des cancers ».
A ce jour, affirme la coordinatrice de l’ADS, il n’existe pas de statistiques exactes en Algérie qui renseignent sur le nombre de personnes atteintes du xeroderma pigmentosum. Les chiffres établis à partir des enfants soumis à des traitements dans les différents hôpitaux du pays, font état de plus de 700 cas, contraints de vivre cachés pour survivre.
RABAH KARECHE