Un dispositif sécuritaire composé de 8000 hommes (4000 policiers, 2000 gendarmes et 2000 soldats issus de la police militaire), appuyés par des hélicoptères dotées de caméras embarquées, est chargé de veiller au grain dans les quartiers et les localités à « problèmes ». Les affrontements les plus sanglants ont eu pour théâtre les localités mixtes de la wilaya, c’est à dire les lieux où les deux communautés cohabitent. C’est le cas, par exemple, du quartier El Hoffra qui enregistre régulièrement des échauffourées. Pour mettre des visages sur les « semeurs de la haine », les autorités ont également pris la décision d’installer à chaque coin de rue des caméras de surveillance. De son coté, la justice ne fait désormais preuve d’aucune complaisance à l’égard des instigateurs de la violence.
Grace à ce déploiement impressionnant de moyens humain et matériel, pas moins de 34 individus ont déjà été arrêtés, dont 16 d’entre eux ont été placés sous mandat de dépôt, 4 sous contrôle judiciaire et 13 bénéficiant de la citation directe à comparaître le jour du procès. Preuve que le calme revient, les écoliers ont repris le chemin de l’école et les commerçants qui ont beaucoup souffert des troubles ont rouvert aussi leurs magasins. La Vallée du M’Zab renoue avec la normalité. Mais la question que tout le monde se pose à Ghardaïa est de savoir si cette paix si âprement retrouvée sera durable ou pas.
Difficile cohabitation (inter)
Les communautés Ibadite et Malekites recommenceront-elles à cohabiter pacifiquement comme elles l’ont pourtant fait durant plusieurs siècles ? «Personne ne bougera tant que les militaires seront là. Tout le monde a compris que les autorités ne rigolent plus», lance Mehdi un enseignant dans un collège de la ville de Ghardaïa qui, par ailleurs, se dit persuadé que la crise de la Vallée du M’Zab ne résulte pas d’un problème de cohabitation entre les communautés Ibadite et Malékite. Pour lui, il s’agit plutôt de « la conséquence d’une guerre entre maffieux pour le contrôle des réseaux de la contrebande». « La confusion et l’anarchie arrange leur business. Il n’y a que les gens honnêtes qui sont les perdants », poursuit amer Mehdi.
Il est vrai que la région à la réputation d’être une importante plaque-tournante de nombreux trafics mais l’explication de Mehdi n’est pas partagée par les Mozabites (Ibadites) qui se disent agressés au quotidien par les Malékites, notamment parmi les plus radicaux d’entre eux. Dans le camp Ibadite, on plaide plutôt la légitime défense. «Nous sommes victimes de l’intolérance de certains de nos voisins. Nous sommes agressés. On nous dénie même le droit de pratiquer notre rite. Nous sommes traités d’impies…de kharidjites dans notre propre pays, c’est intolérable. Nous ne pouvons même plus être en sécurité chez nous. Nous ne demandons rien à personne. En réalité, ils nous envient notre réussite», s’écrit Kameledine, un mozabite d’une quarantaine d’années qui gère un magasin d’alimentation dans le centre-ville de Ghardaïa. Accoudé au comptoir de son commerce, il appelle les autorités à assumer leurs responsabilités et ne plus laisser de telles dérives se produire. « Il revient à l’Etat de nous protéger », insiste-il avant de poursuive : «Nous n’aimons pas les problèmes mais si on ne nous protège pas, les Ibadites n’auront alors d’être choix que de se défendre eux-mêmes».
Facteurs de crise (inter)
Chez les Malékites, la communauté d’en face, le discours est tout autre. Ici, les raisons de la colère sont expliquées par le refus des Ibadites de s’intégrer au reste de la population et d’accepter l’Autre. « Ils veulent rester entre eux. Regardez par vous-même, l’esprit communautariste est tellement poussé à son comble qu’ils demandent qu’on leur construise des quartiers pour eux tout seuls. Le problème est que dans de nombreuses localités, il n’y a pas assez de place pour satisfaire tout le monde», s’indigne Abdallah un mécanicien issu des M’dabih, la tribu qui entretien les relations les plus exécrables avec les Ibadites. Ce n’est pas fait pour arranger les choses, c’est qu’effectivement le foncier manque dans la vallée du M’zab et le chômage y est important. Ces deux facteurs servent de principal combustible à la colère de part et d’autres.
Les deux communautés sont-elles donc condamnées à se chamailler continuellement et à se disputer le territoire à Ghardaïa ? Pour le sociologue Mohamed Mokhtari, « la situation n’est pas une fatalité car il n’y a pas une institutionnalisation de la violence ». Il pense que pour mettre fin au conflit intercommunautaire, il faut promouvoir la citoyenneté et surtout instaurer une politique de développement local. Selon le sociologue, l’Etat doit « s’assurer que les gens puissent avoir accès au progrès et aux débouchés. Il faut créer un nouvel esprit, en incitant à la libre entreprise ». Dès lors que la croissance augmentera, dit-il, il y aura des liens de solidarité afin de créer une dynamique. Avec une paix durable à la clé. Les dernières initiatives prises par le gouvernement au titre du développement local dans la région montrent que le discours de Mohamed Mokhtari sur la crise n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd.
(*) L’ibadisme est une forme d’islam distincte du sunnisme et du chiisme. Il est généralement considéré par les autres courants musulmans comme une des branches du kharidjisme (les « sortants », c’est-à-dire n’appartenant ni au sunnisme ni au chiisme) mais cette origine est récusée par les Ibadites. Prônant une pratique puritaine de l’islam, il en serait un des plus anciens courants, fondé cinquante ans après la mort de Mahomet. L’Ibadisme est le courant dominant du sultanat d’Oman et de la région du M’zab en Algérie.
(*) Le malékisme, est l’une des quatre madhhab, écoles classiques du droit musulman sunnite. Il est fondé sur l’enseignement de l’imam MÄÂlik ibn Anas (711 - 795), théologien et législateur qui vécut à Médine. Cette école est majoritaire en Afrique du Nord et en Afrique de l’Ouest.