Désormais considérée comme l’une des plus grandes mosquées de l’Afrique de l’ouest, cet impressionnant édifice bâti sur une superficie de 5000 mètres carrés a une capacité d’accueil de 5000 fidèles. Située dans le 8ème quartier de Bandiagara, la mosquée est composée de deux grandes salles de prière pour les hommes et d’un vaste espace pour les femmes à l’étage. Construite dans un style traditionnel soudano-sahélien en pierres taillées, elle est considérée comme une réussite architecturale et est une source de fierté pour beaucoup de Maliens.
Mais pour les habitants de Bandiagara, l’investissement colossal ne passe toujours pas. « Gabougou ka koroniye misire ye » (« la cuisine est plus vieille que la mosquée ») dit un vieil homme du quartier Soro qui cite un adage bambara. « Bandiagara n’a pas besoin d’une mosquée d’une telle envergure » affirme-t-il. En dehors du nouvel édifice, a ville dispose déjà de trois grandes mosquées, chacune capable d’accueillir 500 fidèles, explique le vieil homme. « Notre préoccupation, c’est d’avoir des centres de santé dignes de ce nom. Actuellement le district sanitaire de la province de Bandiagara couvre 21 communes, c’est-à-dire 100 000 habitants environ. Il n’est pas en mesure de couvrir les besoins sanitaires de toute cette population » explique –t-il.
Dans le centre de santé de référence de Bandiagara, les lits et les équipements manquent cruellement. « La construction d’un hôpital était davantage souhaité par la population que la réalisation d’une mosquée », témoigne un agent de santé sous couvert d’anonymat.
La ville de Bandiagara compte 60% de jeunes chômeurs, ajoute le vieil habitant de Soro. « L’emploi des jeunes devrait être une priorité car la jeunesse est le principal moteur du développement d’une nation. C’est vrai qu’ils ont fait appel à des maçons locaux pour construire la mosquée, mais aujourd’hui qu’est-ce qu’elle apporte aux jeunes ? » soupire le vieil homme. Alors que ceux qui travaillent à l’entretien de la mosquée le font à titre gracieux.
« Les jeunes connaissent un chômage chronique. Ils sont sous les arbres, dans les ghettos en train de prendre des excitants et à 35 ans ils sont encore à la charge de leurs parents », déplore un jeune chômeur qui a fini ses études en droit à la faculté de Bamako. « La jeunesse veut travailler pour être autonome. Au lieu de mosquées, notre vœu c’est qu’avec une telle somme on construise des usines de transformation de produits locaux »
Un autre habitant regrette pour sa part que Toguna agro-industrie, géant régional de la fabrication et de distribution d’engrais, n’ait pas demandé l’avis de la population avant de réaliser un tel édifice. « Les habitants, s’ils avaient été sollicités, auraient demandé une usine d’engrais organique et chimique comme celle que Toguna a construite à Bamako. Cela aurait permis aux jeunes de Bandiagara d’avoir de l’emploi chez eux et de soutenir leur famille financièrement. Ça aurait aussi été un moyen de lutter contre le fléau de l’exode rurale et de l’émigration dangereuse des jeunes », commente-t-il.
La mission affichée du géant industriel Toguna est : « aider la terre à nourrir les hommes ». En la matière, les besoins de Bandiagara sont immenses. Pour monsieur Moussa, jardinier, la réalisation des micro-barrages d’irrigation aurait été plus bénéfique pour la société. « La communauté aurait pu se servir du barrage pour le maraichage, la riziculture. Cela aurait permis de lutter contre la pénurie d’eau et l’insécurité alimentaire ».
La fondation Toguna, qui a financé la mosquée, a pourtant pour objectif de contribuer au développement humain, justement dans les domaines de l’infrastructure, l’éducation et la santé. 12 salles de classes ont ainsi été offertes au lycée public de Bandiagara.
« Mais cet investissement est minime en comparaison avec les besoins », estime Mamadou Tolo, un directeur d’école, qui décrit les infrastructures scolaires comme largement défaillantes à Bandiagara.
« Le manque de salles de classes est toujours une réalité dans tous nos établissements. Certaines classes accueillent 110 à 120 élèves alors qu’elles devraient en accueillir deux fois moins ! » Chaque année, ils sollicitent l’Etat pour le désengorgement de ces classes mais celui-ci est dans l’incapacité de construire de nouvelles salles.
« Le PDG de Toguna, l’un des hommes les plus riches du Mali pourrait appuyer l’Etat dans la construction de salles de classes, au lieu de construire des mosquées » estime le directeur. Ici on n’attend plus rien de l’Etat, et tout de bienfaiteurs providentiels,
C’est le village natal du PDG de Toguna qui, de façon bien logique, a profité le plus largement des investissements de la fondation. A 40 kms de Bandiagara, Kama est aujourd’hui équipé d’un centre de santé, de salles de classes modernes et d’un système de production d’énergie solaire.
A Bandiagara, les investissements de la fondation Toguna sont d’une autre nature. A l’entrée de la ville, elle a fait construire le monument immortalisant le chasseur Dogon, Nangabanou Timbely. Selon le site Maliweb, Toguna a aussi pavé la rue menant au monument, et qui passe devant… le domicile de Seydou Nantoumé, le PDG du groupe. Si beaucoup d’habitants sont fiers que le PDG de Toguna soit un enfant du pays, la construction de la mosquée n’en finit pas de susciter la polémique.
La frustration de la population est d’autant plus grande que la mosquée est loin de faire le plein, comme le confirme Dengui Djiguiba, un habitant du huitième quartier. « Chaque vendredi tous les fidèles des villages environnants viennent se joindre à nous pour la prière et on est alors environ 2000. C’est un taux de fréquentation très faible par rapport aux 5000 fidèles que la mosquée pourrait accueillir » En dehors de cette grande prière du vendredi, la mosquée n’est fréquentée que par une poigné de fidèles : entre 100 et 250 personnes s’y rendent pour les prières ordinaires de la journée.
M. Djiguiba explique que beaucoup sont restés fidèles à leur ancienne mosquée de quartier. « Le seul jour où la mosquée était remplie était le jour de l’inauguration qui a attiré des personnalités politiques, religieuses, économiques des quatre coins du Mali et de l’Afrique, en plus de la population locale. Avoir l’une des plus grandes mosquées dans la sous-région est quand même un honneur pour la ville, dit-il. Pour l’instant il n’y a pas grand monde, mais peut-être que dans une vingtaine d’années elle recevra 5000 fidèles. »
« Elle a donné plus de visibilité à Bandiagara sur le plan national et a permis d’embellir la ville » reconnaît Ambadommo Guindo. « Mais c’est un projet extravagant et inutile pour la communauté. D’autant que la ville n’a pas une tradition islamique très ancrée et est plutôt laïque » explique-t-il.
Il reste malgré tout difficile de critiquer ouvertement la construction de la mosquée, comme l’explique un habitant :
« Ceux qui ont salué l’initiative l’ont fait malgré eux, parce qu’en critiquant la construction de la mosquée, on risque de se faire traiter d’ennemis de l’islam ou même se faire accuser de blasphème par certains fanatiques. C’est pourquoi beaucoup s’abstiennent de commenter le sujet de la mosquée ».
Ceux qui fréquentent la mosquée, sont les seuls à se féliciter sans réserve de sa réalisation. Abdoulaye Ouologuem, qui habite le quartier est fier que sa ville accueille l’une des plus grandes mosquées de l’Afrique de l’Ouest. « Cela signifie que l’islam est pratiqué ici, et cela montre au monde que nous sommes de bons musulmans. Ma mosquée augmente aussi la visibilité de l’islam dans la province». La maison d’Allah n’a pas de prix déclare un autre fidèle musulman à la sortie d’une prière. « Donner à Dieu n’a jamais de limite. Si on pouvait réaliser encore un autre lieu de culte plus grand et plus cher que la nouvelle mosquée, l’initiative serait la bienvenue ».
Allaye Banou