Issue d’un milieu social conservateur, éduquée selon les normes d’une tradition rigoriste où la femme doit entière soumission à l’homme, Mekfoula Bent Brahim se devait, normalement, d’afficher profil bas, telles ses sœurs mauritaniennes qui souffrent quotidiennement le martyr sans oser protester. Mais c’est peu connaître Bent Brahim que de croire qu’elle puisse se soumettre à une tradition “avilissante”, comme elle l’a qualifie. Polygamie, répudiation, mariages secrets ( Siriyaa), mariages précoces, viol -y compris le droit de cuissage des maîtres sur les jeunes filles esclaves- gavage, excision : telles sont les diverses formes que prend cette “tradition” imposée aux femmes mauritaniennes.
Et leur condition s’est encore détériorée avec l’influence du wahhabisme –favorisée par l’analphabétisme très répandu en milieu féminin- qui importe avec lui des pratiques rétrogrades : voile integral et restriction des libertés (femmes cloîtrées à la maison, ne pouvant voyager seules et soumises aux diktat de leurs époux ).
Biologiste au Centre national d’oncologie de Nouakchott et diplômée de l’université d’Alger en 1993, Mekfoula est divorcée et mère d’un enfant. Un parcours atypique pour une femme issue d’un milieu traditionnel, qui témoigne de sa pugnacité.
Elle refuse de se laisser mouler dans le canevas traditionnel qui oblige la femme mauritanienne à se soumettre à un code contraignant fait de pratiques et comportements d’un autre âge. Pour marquer son anticonformisme, Bent Brahim n’hésite pas à exhiber régulièrement en public une mèche de sa chevelure jurant, à qui veut l’entendre, qu’il en sera toujours ainsi, n’en déplaise aux inquisiteurs.
Pourquoi dérange-t-elle tant ?
« Mekfoula Bent Brahim est une femme libérée et engagée. Son seul tort est d'être issue d'une communauté où l'on n’accorde pas encore à la femme une certaine liberté de ton. Ajouté à cela, la montée de l'intégrisme religieux et une certaine renaissance féodale qui est contre toute sorte d'évolution. On continue à fixer la mauresque dans un carcan idéologique figé,. La cabale lancée contre Mekfoula est la même que celle qui vise Aminetou Bent El Moctar et d'autres jeunes activistes de la communauté maure qui commencent à briser les carcans de l'enfermement socio-idéologique » soutient Cheikh Haidrara, journaliste mauritanien célèbre pour ses prises de position courageuses.
Les sorties médiatiques remarquées de Bent Brahim sont des preuves, s’il en est besoin, de sa détermination à combattre les dépositaires de cette tradition, les « marabouts obscurantistes » selon ses mots.
Connue pour sa combativité, Mekfoula se dresse contre l’ordre social établi depuis des millénaires, un ordre basé sur des coutumes dégradantes à l’endroit de la femme mauritanienne. Elle n’hésite pas à utiliser publiquement les qualificatifs qu’il faut pour nommer et les faits et leurs auteurs. Lors de sa dernière intervention sur une télévision elle a cité nommément les Zouwaya (marabouts) les accusant d’interpréter à leur guise les textes pour leurs profits personnels. Elle a également fait état des nombreuses contraintes qui continuent à peser sur la femme. «Je combat toutes formes d’injustice, particulièrement celles faites aux femmes. Je suis résolument engagée dans cette voie et malgré les pressions qui sont exercées sur moi, rien ne me fera changer d’avis. Je continuerai à porter haut le flambeau de ce militantisme pour que la femme mauritanienne, puisse recouvrer tous ses droits » confie Mekfoula Mint Brahim à Dune Voices.
“Nos grands-parents ont toujours pratiqué un islam ouvert”
Malgré les menaces de mort dont elle a fait l’objet à plusieurs reprises, Mekfoula continue en effet son combat, en s’attaquant vaillamment à l’islam wahabite, qu’elle accuse d’être à l’origine de la montée en puissance de l’intégrisme religieux et du discours fanatique en Mauritanie. « Cet islam venu d’Arabie Saoudite ne colle pas à nos réalités. La Mauritanie a toujours été une terre de rencontre, une terre de tolérance. Nos grands parents ont toujours pratiqué un islam ouvert, respectueux de la dignité humaine, de l’intégrité physique et morale de la femme. Nos mamans s’habillaient librement, mais décemment. Aucune contrainte ne pesait sur elles. Mieux, elles étaient respectées et choyées » confie Mekfoula à Dune Voices, en jurant de barrer la route à cet islam importé et à ses promoteurs que sont « les oulémas à la solde de l’Arabie Saoudite ».
Selon une proche de Mekfoula, la guerre que cette dernière a engagée contre cette mouvance lui a valu des attaques tous azimuts. « Ceux qui accusent Mekfoula de blasphème, allant jusqu’à réclamer sa tête, ne font que de la diabolisation. Face à leur incapacité de lui porter la réplique, ces oulémas version salafiste, ont ourdi ce honteux complot contre sa personne » indique-t-elle.
Une affaire qui a mis Bent Brahim aux prises avec l’avocat d’El Nousra, un mouvement religieux mauritanien créé pour défendre le Prophète Mohamed de ses détracteurs.
Revigorée par la lettre que lui a adressée Cheikh Aly Rida, le guide spirituel d’El Nousra, dans laquelle il reconnait son innocence, Mekfoula a déclaré publiquement son intention de porter plainte pour diffamation contre l’avocat d’El Nousra, signe de sa volonté de porter toujours plus loin le combat pour la liberté.
Khalil Sow