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11
mars

L’excision, une pratique qui recule lentement

Dans ce pays désertique au million de poètes, l’excision persiste encore dans divers endroits. Cette pratique touche toutes les composantes ethniques et sociales de la Mauritanie. Avec une prévalence faiblement variable suivant les ethnies et les régions, la pratique des “mutilations génitales féminines” (MGF) recule certes, mais lentement.

 

Selon les rapports établis au cours de ces dernières années, le taux de prévalence de ce phénomène est passé de 72% en 2007 à 66% en 2015.

 

Une baisse encouragée par les nombreuses campagnes lancées contre cette pratique au cours de ces dernières années par des Organisations non-gouvernementales comme Tostan qui est appuyée par l’UNICEF et d’autres organismes comme l’UNFPA (Fonds des Nations Unies pour la Population).

 

L’ONG Tostan est établie en Mauritanie depuis 2007 en vertu d’une convention avec le gouvernement. Sa vocation est de lutter contre la persistance de ce phénomène.

 

Elle intervient dans la Wilaya (région) du Brakna dans le sud du pays auprès de 77 communautés à travers un projet qui vise à éradiquer les MGF dans le monde rural, essentiellement.

 

D’ex-exciseuses brisent le silence

 

Aux confins de la région, notamment dans la célèbre localité de Cheggar située à 70 kilomètres de la capitale régionale Aleg, d’anciennes exciseuses brisent le silence. Certaines ont accepté de nous parler, sans hésitations. Avec regret cependant, d’avoir exercé ce métier, nous confient-elles.

 

 

Minettou Mint Ely, était assistante d’exciseuses dans le village de Lemkedra près de Cheggar : « Je n’ai jamais pratiqué l’excision directement mais j’assistais les femmes qui exerçaient ce métier. J’ai abandonné cette pratique depuis que l’ONG Tostan a commencé à nous sensibiliser sur place sur les effets néfastes du phénomène ». « Une fois, poursuit Mint Ely, j’ai vu une fillette mourir sous mes yeux après avoir été excisée en 2009. Cette fillette, a saigné abondamment et l’hémorragie a fini par l’emporter. Et depuis lors nous avons convaincu la dame dont je me garde de prononcer le nom à abandonner la pratique ». “Nous avons pris conscience du danger du phénomène avec Tostan et nous avons arrêté complètement “ conclut l’ancienne exciseuse, le visage renfermé.

 

Marième Mint Abeîd, est une ex-exciseuse du village de Chaggar N°2. Sans la moindre hésitation, elle déclare : « Moi, je pratiquais vraiment l’excision sur les fillettes. On s’est maintenant rendu compte que c’est une pratique redoutable et nous l’avons abandonnée grâce à la sensibilisation menée auprès de notre communauté par Tostan depuis 4 ans. Ils nous ont fait comprendre que c’était interdit. Sans eux, beaucoup d’enfants continueraient à mourir, l’excision est très dangereuse, je vous dis ! j’ai convaincu plusieurs femmes de ne plus mutiler leurs filles” martèle-t-elle.

 

Agée d’une quarantaine d’années, l’ancienne exciseuse explique: « C’est ma mère qui m’a transmis ce métier, elle est très âgée maintenant. Les mutilations, c’est du passé pour nous. Et Mint Abeîd de conclure : « les religieux nous ont dit que c’est une pratique formellement interdite par l’Islam ».

 

Taux de prévalence en baisse malgré les tares sociales

 

Le coordinateur national de Tostan en Mauritanie, M. Mamadou Baba Aw a indiqué que « Tostan international a initié un projet sous-régional pour un changement générationnel en trois ans afin d’instaurer un mouvement historique à grande échelle pour l’abandon des pratiques néfastes ».

 

C’est dans ce cadre poursuit–il que « Tostan est parvenu aujourd’hui avec toutes les forces réunies autour de ce projet à atteindre l’un de ses objectifs les plus attendus, à savoir une déclaration publique d’abandon de l’excision par 77 communautés issues toutes de la région du Brakna ». Selon lui toujours, la mise en œuvre de ce programme axé sur les droits humains et les méfaits de l’excision a touché 90000 personnes.

 

Quant à la représentante résidente de l’UNICEF en Mauritanie, Mme Fatma Saïd Ahmed, qui s’exprimait à l’occasion d’une cérémonie de déclaration publique d’abandon organisée dans le village de Thiénel en décembre 2016, « les déclarations des communautés d’Aleg, Maghta Lahjar, Boghé, Bababé et Mbagne témoignent de leur ferme engagement à relever le défi de réduire le taux de prévalence de cette pratique néfaste dans le Brakna qui touche 46% des filles de 0-14 ans et 62,8% des filles âgées de 15-49 ans, selon les résultats de l’enquête MICS 2015».

 

 

La religion musulmane face aux MGF

 

Cette pratique néfaste symbolisée par cette lame dangereuse voire mortelle devra inspirer beaucoup plus de projets pour les humains sur terre dont l’objectif ultime est d’éradiquer ce phénomène qui constitue une violation flagrante du droit à la santé des victimes ; ces jeunes filles incapables de se défendre à cause de leur très jeune âge.

 

Les imams Hademine O/ Saleck et Boye Abou Bacry Alassane sont formels sur la position de l’Islam par rapport à la pratique de l’excision. « L’Islam est une religion qui accorde une importance particulière aux droits humains. Il prohibe toute pratique qui comporte des effets néfastes sur la santé humaine » affirme le premier.

 

Et l’Imam de la mosquée du village de Thiénel M. Boye d’ajouter : « le fidèle peut être dispensé de certaines pratiques religieuses obligatoires comme le jeûn ou l’ablution s’ils s’avèrent qu’elles comportent des risques pour sa santé ». L’excision est une pratique traditionnelle qui ne repose sur aucun texte, ni du Coran, ni des Hadiths ont- ils conclu.

 

Un nouveau cadre juridique criminalisant les MGF prêt

 

Ahmed Salem O/ Bouboutt est conseiller technique du MASEF (Ministère des Affaires Sociales de l’Enfance et de la Famille) chargé de la promotion féminine et du genre. En plus de la stratégie mise en œuvre par le MASEF pour la promotion de l’abandon des pratiques d’excision, une loi criminalisant la pratique des MGF est en cours d’élaboration.

 

Selon lui, les actions menées par le MASEF avec l’appui de ses partenaires dans sept régions (les deux Hodhs, l’Assaba, le Tagant, le Brakna et le Guidimakha ont permis de réduire le taux de prévalence de cette coutume.

 

Cette pratique culturelle ancestrale recule sous l’effet d’une évolution positive des mentalités qui permet de saisir progressivement les véritables enjeux de santé et de droits humains liés au sujet. Pour en arriver là, il a fallu une volonté politique clairement affirmée et l’action conjuguée du gouvernement Mauritanien, des ONG et des leaders religieux.

 

Daouda Abdoul Kader DIOP