Cela se perçoit aisément au début de chaque saison chaude, lorsque l’infrastructure disponible se trouve dans l’incapacité de satisfaire aux besoins des habitants qui se mettent du coup à manquer des conditions minimales pour vivre, telles que l’eau, l’électricité ou encore les services de santé de base.
Un village comme El Bir Lahmar, situé à 15 kilomètres de la ville de Médenine et à 30 kilomètres de la ville de Tataouine, se plaint du fait que les services de santé soient très réduits et que les réseaux de distribution de l’eau potable ainsi que les circuits d’assainissement et d’évacuation des eaux usées soient terriblement insuffisants. En effet, les plans d’installation n’ont pas pris en considération l’expansion grandissante des quartiers de la ville. C’est ce que nous explique Salah Ben Abdessaied, un retraité septuagénaire : « L’assainissement s’arrête aux anciens réseaux ; les habitants des nouveaux quartiers, eux, trouvent des difficultés insurmontables à se relier aux canaux d’évacuation et d’assainissement. C’est pour cela qu’augmentent les mauvaises odeurs avec les chaleurs de l’été et que prolifèrent les insectes… ».
Ce retraité qui avait préféré retourner vivre dans son village plutôt que de rester à la capitale explique encore : « Les neuf mille habitants d’El Bir Lahmar sont totalement oubliés des autorités et on ne se souvient de leur existence que lorsque viennent les élections et uniquement comme un potentiel chiffre électoral. Ainsi, le dispensaire manque d’équipements et de médicaments ; quant au lycée, les cours n’y sont dispensés que par des enseignants issus de la région et il affiche toujours de faibles résultats. Si nous n’étions pas géographiquement proches de la Libye, et si nos jeunes n’avaient pas la possibilité de travailler dans le commerce des produits de contrebande, notamment le carburant, la région tout entière serait frappée de famine à l’heure qu’il est ».
Romdhane, ce jeune trentenaire rencontré par Dunes Voices, se tenait derrière un nombre illimité de bidons de fuel exposés à l’entrée d’El Bir Lahmar, du côté de Tataouine. Il nous confie, la mort dans l’âme : « Depuis que j’ai fini mes études universitaires en Gestion, à Sfax, voici maintenant plus d’une dizaine d’années, je n’ai pas trouvé d’autre travail que celui-ci pour vivre et faire vivre ma famille ». Romdhane nous raconte également comment, une fois son diplôme en main, il avait travaillé pour un salaire qui ne dépassait pas les 400 dinars, soit 170 euros à peu près. « C’est une somme qui ne suffisait même pas à payer le loyer d’un logement commun en vivant très modestement… Mais je m’étais dit que ce n’était qu’un début et qu’on allait sûrement m’augmenter ma paie », dit-t-il. C’est ce qu’il s’était imaginé en effet ; mais la réalité était tout autre car, non seulement son employeur ne l’avait pas augmenté, mais encore il le privait même de la couverture sociale et de l’assurance maladie. Son travail n’étant pas déclaré, pourquoi donc continuer à rester loin de chez lui ?!
Le père du jeune homme l’avait en effet convaincu de retourner dans son village natal afin de s’y adonner au commerce. Aujourd’hui, Romdhane est content d’avoir pris cette décision : « Il est vrai que je ne travaille pas dans un bureau climatisé ; mais je gagne en une semaine au moins ce qu’on donnait autrefois pour un mois de travail et il arrive même que l’obtienne en une seule vente ».
Le cas de Romdhane n’est toutefois pas représentatif de tous les jeunes de ce village rongé par le chômage. On peut d’ailleurs lire dans les regards de ces jeunes toute la misère et toutes les privations dont ils souffrent depuis de longues années sans même que les autorités ne s’en aperçoivent. Et, comme s’il ne suffisait pas que la région soit dépourvue de tout service de plaisance et de tout loisir, les habitants ne trouvent pas même une structure sanitaire digne de ce nom, munie des équipements nécessaires à des soins d’urgence en cas de besoin. Ce problème se pose notamment pendant l’été, saison connue pour la prolifération des scorpions dont les piqures mortelles ont donné à la région une bien triste réputation. Aussi les habitants ont-ils à plusieurs reprises exprimé leur colère et leur mécontentement de devoir vivre dans cette situation.
Il semblerait par ailleurs que, durant ces dernières années, la situation soit devenue encore pire, comme en témoigne l’exemple d’Omar, un des jeunes du village, qui malgré son diplôme obtenu voici quinze ans de la Faculté de Droit de Sfax n’a jamais réussi à trouver un emploi dans la fonction publique et qui, pour vivre, s’est trouvé dans l’obligation d’ouvrir une épicerie. Omar explique le phénomène en disant : « Les gens du Sud ont beaucoup souffert de la guerre qui bat son plein de l’autre côté de la frontière. Les villes libyennes étaient en effet une importante source d’emplois pour nous. Parmi les jeunes originaires d’El Bir Lahmar, ceux qui travaillent en Libye sont beaucoup plus nombreux que ceux qui travaillent en Tunisie. Ce sont nos jeunes qui tenaient les ateliers de réparation mécanique, de forge et de menuiserie à Zouara, Sabrata, Zaouia et plusieurs autres villes de l’ouest libyen. Il y en avait même à Tripoli… ».
Telle est donc la situation dans les villes tunisiennes considérées comme des portails donnant directement sur le Sahara.