La page «insolite» de l’attaque de Ben Guerdane est tournée. Laquelle attaque, planifiée et coordonnée, n’a pas permis aux terroristes de Daech de placer une tête de pont sur le sol tunisien. Plus encore, les citoyens de Ben Guerdane ont exprimé un rejet catégorique à l’égard des terroristes et se sont rangés avec leurs forces sécuritaires et leur Etat dans un mouvement spectaculaire. «Les scènes de lundi ont confirmé que la manifestation de la veille contre le terrorisme n’était pas orchestrée par des partis politiques ou des ONG. Ben Guerdane est opposée au terrorisme», affirme le militant de la société civile, Mustapha Abdelkebir.
Toutefois, le fait que la majorité des membres du groupe d’assaillants soient de nationalité tunisienne et même connus des habitants de Ben Guerdane pose le problème des cellules terroristes dormantes en Tunisie. «Allons donc, le groupe n’a pas traversé la frontière pour venir à Ben Guerdane. Les terroristes sont installés dans la ville. Ils ont, peut-être, fait des va-et-vient entre la Tunisie et la Libye pour s’entraîner au maniement des armes, sans plus», poursuit Mustapha Abdelkebir.
Scénario plausible
Le 19 février dernier, un prisonnier tunisien à Tripoli, rescapé de l’attaque américaine contre Sabratha, a avoué : «Nous nous entraînions pour attaquer la ville de Ben Guerdane. Nous serons rejoints par près de 400 sympathisants de Daech, installés en Tunisie.» Plusieurs médias libyens, comme la chaîne Nabaa, ont reproché aux Américains «d’attaquer la Libye pour protéger un pays riverain». C’est la Tunisie qui était visée dans de tels propos.
Deux semaines plus tard, le 3 mars, cinq camionnettes d’armes et des terroristes ont été débusqués sur la route (de la contrebande) entre Ben Guerdane et la frontière libyenne. Cinq terroristes ont été neutralisés. Trois camionnettes ont été saisies. Mais les deux autres camionnettes ont disparu dans la nature.
Tout laisse à croire que l’attaque américaine de Sabratha, les camionnettes du 3 mars et l’attaque de Ben Guerdane constituent les morceaux d’un même puzzle. «Amoindris par la cinquantaine de terroristes tués à Sabratha ou en Tunisie, les autres n’ont pas lâché prise et ont attaqué les symboles de l’autorité à Ben Guerdane, en comptant sur le ralliement de la population locale, qu’ils vont armer avec les arsenaux dont ils disposent», pense le politologue Slaheddine Jourchi.
En effet, les aveux des terroristes arrêtés à Ben Guerdane ont permis de retrouver deux grandes caches d’armes diverses, qui dénotent des intentions de doter un véritable régiment. Donc, conclut Mustapha Abdelkebir, «l’unité de Sabratha comptait rallier la Tunisie, y installer un émirat de Daech, se faire rallier par des centaines de sympathisants locaux et s’étendre sur le reste du pays, marginalisé et délaissé par les autorités centrales». La bravoure de l’armée et des forces sécuritaires tunisiennes a empêché la réalisation de ce rêve.
Cellules dormantes
Selon l’expert sécuritaire Ali Zermedini, la présence de milliers de Tunisiens parmi les groupes terroristes en Irak, Syrie et Libye pose un véritable problème. «Ils forment déjà l’un des segments les plus puissants des forces de Daech. Leur retour ou même celui d’une partie pourrait constituer un détonateur de déstabilisation en Tunisie, dans la mesure où ces éléments sont habitués à la manipulation des armes», avertit l’ex-colonel de la Garde nationale. En plus, rappelle l’expert, il y a les 9000 jeunes Tunisiens, empêchés de rejoindre la Libye ou la Syrie. Ceux-là, aussi, constituent de potentielles cellules dormantes pour le terrorisme.
Slaheddine Jourchi appelle à ne pas oublier les expériences avortées en 2011 des émirats islamistes à Séjenane et Ben Guerdane. «Certains groupes ont exploité l’état de vide sécuritaire, juste après la chute de Ben Ali, pour tenter d’établir leur loi et installer leur principauté. Mais la société civile ne s’est pas laissée faire», rappelle-t-il, mettant l’accent sur le fait que «tous ces groupes constituent des réserves pour les terroristes, car ils s’inspirent de la même idéologie». Le danger est encore là. «Le développement d’une culture éclairée est l’unique rempart contre le terrorisme», selon le ministre tunisien de l’Education, Néji Jalloul.