Mais au quotidien, des insuffisances demeurent en matière de promotion et de protection des droits fondamentaux de l’enfant, notamment dans les provinces rurales comme celles de Bandiagara. Les facteurs socio-culturels, et en particulier la structure familiale traditionnelle en pays Dogon, sont à l’origine du blocage.
Malgré l’interdiction du travail des enfants de moins de 14 ans, et la ratification en 2000 de la convention 182 de l’Organisation internationale du Travail sur l’interdiction des pires formes de travail des enfants, plus de 50% des jeunes travaillent au Mali. Si l’accès à l’éducation se développe, l’école malienne souffre toujours de grandes difficultés (classes surchargées, écoles parfois éloignées, surtout en milieu rural, enseignants peu ou pas formés…)
En conséquence le travail des enfants touche aussi bien les filles que les garçons, principalement en milieu rural. Et les coutumes dogon ne facilitent pas la lutte contre le phénomène. Chez les Dogons, qui sont avant tout des cultivateurs, le travail de l’enfant n’est pas perçu comme une entrave à son éducation, il est au contraire un mode d’apprentissage et d’intégration. Un vecteur de socialisation incontournable, comme l’explique, d’un regard sévère le vieil Amala, chef du village de Sibi-Sibi, à l’Est de la province de Bandiagara. Ses propres enfants s’occupent des travaux champêtres et maraîchers, et lui-même a été « un bras valide pour sa famille et son village » dès l’âge de six ans. « Le travail ne tue pas, il n’a pas d’effet secondaire sur la croissance de l’homme. Moi-même je n’ai jamais eu de problèmes physiques » avance-t-il, pour preuve.
Coutumes dogon contre droits de l’enfant
« L’enfant dès son jeune âge doit apprendre à travailler dur » affirme-t-il. Dans la tradition dogon, le travail des enfants a des vertus qui ne peuvent pas être compensées par l’école. « Cela va lui permettre d’intégrer facilement le monde partout où il se trouve, éviter la mendicité, éviter de tomber dans le banditisme ou la fainéantise. Bref cela lui permet de faire face aux difficultés de la vie » justifie-t-il. « Seul le travail paye, l’homme doit vivre à la sueur de son front » résume le vieux chef selon qui le travail physique doit se transmettre de père en fils, de génération en génération, à la fois comme un devoir parental et une tradition à perpétuer. « Les droits de l’enfant, l’école ou les autres formes d’éducation occidentale, cela ne peut pas fonctionner à Sibi-Sibi » tranche le vieil homme.
Mais ce constat, les premiers intéressés ne le partagent pas toujours. Dans le village de Sokolo situé à 5 kms de la province de Bandiagara, nous rencontrons le petit Pégnéré, âgé de dix ans environ, de retour du champ les épaules chargées. « Chaque jour, je me lève vers six heures du matin, pour aller cultiver le champ et je reviens vers le coucher du soleil durant la période hivernale (de juillet à octobre). En revanche, de Novembre à Juin, je pratique le maraîchage. C'est-à-dire que je dois arroser les cultures d’oignons, de piments, de patates et que je dois aller chercher du fumier organique. Je fais cela tous les jours, depuis que j’ai sept ans ».
Les retraites des aînés assurées par le travail des enfants
Lorsque Pégnéré ose se plaindre de la pénibilité des travaux, son père le renvoie à son devoir, celui de nourrir sa famille, car, explique-t-il, contrairement aux fonctionnaires qui cotisent à l’I.N.P.S (Institut National de Prévention Sociale), les paysans eux, n’ont pas de retraite. Dans les régions rurales, c’est le travail des enfants, des « bras valides », qui peuvent assurer un revenu aux aînés. Le père de Pégnéré, est même allé jusqu’à menacer de divorcer de sa mère et de se remarier, pour forcer l’enfant à continuer à aller aux champs.
Dans le même village de Sokolo, sur notre chemin, nous apercevons la petite Bintou Karembé, âgée de neuf ans, un fagot de bois sur sa tête. Elle témoigne aussi d’un quotidien difficile. « Chaque jour, je pars le matin pour aller chercher du bois pour la cuisine et je marche plus d’une dizaine de kilomètres. Je reviens le soir vers seize heures. Le reste du temps est consacré aux travaux domestiques tels que laver les ustensiles de cuisine, aller chercher de l’eau au puits, laver le linge et préparer à manger. C’est ce que je fais à mon âge ».
Ecrasée par la lourdeur des travaux imposés par ses parents, Bintou n’a pas toujours la force physique de mener à bien toutes ces tâches. Le travail précoce des enfants accroit leur exposition aux maladies et aux blessures. Plusieurs ONG et associations ont tenté d’intervenir en faveur de Bintou, sans succès. « Les parents utilisent les enfants pour leurs propres profits » soupire la fillette.
Dur travail de sensibilisation
Pour Anely Niangaly, représentant de l’UNICEF dans la province de Bandiagara, ces difficultés sont d’autant fortes que dans les villages la plupart des communautés sont analphabètes. « Il est très difficile d’expliquer et de faire comprendre à la population que les enfants ont des droits » constate-t-il. Plusieurs campagnes de sensibilisation ont été menées mais sans obtenir de résultats. Les traditions ont la vie dure dans la province de Bandiagara. « Quand on tente de faire de la prévention, ils nous accusent de vouloir détruire leurs coutumes » regrette M.Niangely. Les parents ont un droit absolu sur leurs enfants et le devoir de leur apprendre à travailler dur, l’enfant lui, n’a aucun droit, voilà le crédo contre lequel il essaie, avec d’autres ONG, de lutter. Mais les résistances rencontrées sont très fortes. Les défaillances de l’Etat, manque d’écoles et de structures sociales, renforcent encore le besoin de s’accrocher aux traditions.
Il est midi dans la bourgade de Djombolo kanda située à neuf km au Sud de Bandiagara. Nous sommes face à Adama, un garçon de 11 ans dont les parents sont aveugles. La situation l’oblige à tout faire dans la ferme familiale. Il est fils unique, ses parents ne peuvent compter que sur lui. Il cultive la terre, puise de l’eau, ramasse du bois, aide sa mère qui dépend de lui pour faire la cuisine. Il n’imagine de toute façon pas rester les bras croisés vu les circonstances. « Je n’ai aucun recours dans le village » dit Adama qui lance un appel aux bonnes volontés et aux associations, pour lui venir en aide et pour faire évoluer les choses dans les villages où « le temps est suspendu ».