A quelques kilomètres de ces villes où se bousculent les vacanciers amateurs de sports d’hiver, au fin fond du Moyen Atlas vit un autre peuple, marocain certes, mais au quotidien radicalement différent de celui des autres Marocains… un autre peuple dont les rêves se résument à une route goudronnée, du pain, des vêtements d’hiver et un dispensaire équipé.
Pour ces Marocains de l’Atlas, la neige est tout simplement synonyme de souffrance. Ici au Maroc « inutile » comme l’appellent les habitants d’Akdal, à 93 km de la ville d’Azrou dans la province d’Ifrane, les gens font face au froid et à la neige avec la prière pour toute arme…Alors ils prient Dieu et attendent la miséricorde de l’Etat sous forme d’aides qui peuvent venir ou… ne pas venir. Et malgré la douleur, ils gardent espoir. C’est qu’ils n’ont pas vraiment le choix.
A 8 h du matin commençait notre périple. Nous nous sommes dirigés vers l’est jusqu’à entrevoir les montagnes drapées de blanc tel une belle femme de l’Atlas… Nous étions émus et perplexes face à une telle grandeur, à ce calme presque parfait et à l’odeur enivrante des pins sauvages. Nous nous enfoncions de plus en plus au cœur de la montagne, d’Azrou à Akdal en passant par Tamahdhit… Le froid était de plus en plus glacial et la route de plus en plus sinueuse et impraticable.
Au bout de deux heures de routes nous avons atteint Akdal…C’était un vendredi, jour du marché hebdomadaire attirant les habitants de toutes les localités avoisinantes. Certains étaient venus à dos d’animaux (5 heures de route), d’autres à pied (plus de 32km pour la localité la plus lointaine)… Tous étaient là pour s’approvisionner en nourriture et en vêtements ou pour aller au dispensaire.
Aussitôt arrivés, nous avons aperçu une foule devant un bâtiment, un dispensaire selon toute vraisemblance. A notre gauche, des mules au regard hagard et des chiens sauvages étaient entassés… Les aboiements successifs à notre arrivée ont attiré l’attention vers nous, alors nous nous sommes empressés d’entrer au dispensaire plein à craquer. Ce petit dispensaire, situé au centre d’Akdal, reçoit la visite d’une seule infirmière, une ou deux fois, tout au plus, par mois. Dans ce froid de canard, celui qui, par malchance, tombe malade, n’a que les plantes médicinales et la médecine traditionnelle pour le guérir, le dispensaire le plus proche étant à 4 heures de route.
Tenant dans ses bras sa petite fille blondinette, Fatma nous a confié : « je viens d’un petit village au nom de Baqriyya, à trois heures de route d’ici. C’est à dos de mule que moi et ma fille âgée de cinq ans nous avons parcouru toute cette distance, par ce froid pour le moins glacial. Et c’est pareil tout le temps… nous nous aventurons à venir dans l’espoir de tomber sur l’infirmière qui ne vient que rarement, tout comme les instituteurs de l’école… Eux aussi, ils restent chez eux quand il fait trop froid ou quand il neige, alors que nous, nous vivons ce calvaire au quotidien… Seule la mort nous sauvera de ce destin ».
Une autre femme plus âgée est intervenue en disant : « Ici dans ce village, ou un peu plus loin dans les villages avoisinants, nous menons une vie de chien… L’infirmière vient de refuser de me donner un médicament parce que je n’avais pas 50 dirhams à lui fournir, alors que ce médicament est censé être gratuit. Chaque fois que cette infirmière vient, on reste des heures à attendre son tour et cela arrive qu’elle rentre, avant de consulter tout le monde… Certains rentrent bredouille alors que le dispensaire le plus proche est à 4 heures d’ici… Et quand il neige, c’est pire ».
De son côté, un soixantenaire au sourire artificiel cachant une peine profonde nous a confié : « chaque fois qu’il neige, il devient quasi impossible de se déplacer et on devient complètement coupés du monde… La mort guette les personnes malades et les femmes enceintes… Toutes les routes deviennent impraticables… Nous souffrons énormément… Tout ce que nous souhaitons, c’est qu’on nous goudronne les routes… Malheureusement, les élus pour qui nous avons voté nous ont laissé tomber ».
Pour Ahmed, berger et vendeur de bétail, le tableau est tout aussi sombre. « Quand une personne de chez nous ou des villages avoisinants tombe malade, c’est à dos d’animaux qu’on la transporte jusqu’à la route principale et puis nous attendons de voir passer un véhicule qui, assez souvent, ne vient pas. Parfois un simple tracteur fait l’affaire et parfois la personne meurt avant d’atteindre le premier centre hospitalier… Nous sommes complétement isolés… Même notre bétail meurt de froid » nous a-t-il déclaré.
Naima, une femme au foyer, mère de deux enfants, est tout aussi dépitée. Ne possédant pas de mule, elle a marché 32 km, pour atteindre le village. « Sachant qu’il allait pleuvoir, je me suis précipitée pour acheter de la nourriture » a-t-elle noté.
A cause de l’isolement, ces régions sont minées de problèmes divers, tels que le mariage des mineures, des problèmes liés à la scolarité et à la santé, la misère… Même les aides de l’Etat ne leur parviennent pas, et quand par miracle, les aides arrivent à destination, les habitants ne reçoivent que des miettes.
Par ailleurs, Youssef Liyessi, président du comité territorial à Oued Ifrane, nous a déclaré : « Ces régions souffrent pour de bon…En tête de liste des problèmes figurent l’isolement et la mort qui guette tout le monde dès qu’il pleut ou neige. Il y a également le problème de la mort du bétail à cause de la rareté de la nourriture et l’absence des instruments de chauffage. Il y en a qui ont fait entrer leur bétail chez eux pour le sauver d’une mort certaine… Et les aides sont quasiment inexistantes alors qu’ici la température est la plus basse dans tout le continent africain… Les citoyens ne demandent pas l’impossible, juste des routes goudronnées et le minimum pour garantir une vie décente ».
Ils sont simples ces gens-là…Ils n’aspirent à aucun poste politique, ils n’ont aucune orientation partisane et ils ne rêvent que d’une route goudronnée…
Nous sommes partis, le cœur serré, en jetant un dernier regard à ces visages qui s’accrochaient à nous comme à leur dernier espoir…