Ces réfugiés affirment en effet que, dans le camp de Mberra, bien que les épiciers n’aient ni taxes ni électricité à payer, les marchandises, notamment les légumes, fruits et vêtements, se vendent à des prix plus élevés que dans d’autres marchés du Mali et de la Mauritanie.
Les propos d’une réfugiée, Fati Weld Ahmed, témoignent sans doute de la difficulté de vivre dans le camp : « Nous n’avons désormais rien à vendre ni à acheter. Nous recevions autrefois 12 kg de riz et deux litres d’huile par personne tous les mois et lorsqu’une famille est nombreuse, elle pouvait en ramasser une quantité importante. Nous ne pouvons vivre de riz et d’huile seulement ; nous sommes donc obligés d’en revendre pour pouvoir acheter d’autres denrées comme les légumes, la viande, le sucre, le thé et le sel…etc ».
« Mais depuis quelques mois, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés a décidé de réduire de la moitié la quantité de riz, de sorte que nous recevions 6 kilos au lieu de 12, avant d’arrêter complètement la distribution de nourriture, ce qui a étouffé notre marge de manœuvre, puisque les marchands qui ne trouvent plus rien à nous prendre ont augmenté le prix de leurs marchandises », poursuit-elle.
Mariem Mohamed, 40 ans, veuve vivant sur le camp, confirme que la décision prise par le Programme Alimentaire Mondial de diminuer de 40% à peu-près les aides humanitaires adressées aux réfugiés de Mberra à partir de mai dernier a eu des répercutions négatives évidentes sur leur vie sur le camp. Elle précise que près du quart des réfugiés ne bénéficient pas de l’aide du fait qu’ils ont déménagé dans des zones non couvertes aux alentours du camp.
De son côté, Abderrahmane Hidra, assure qu’« en 2013, avant leur retour au Mali, certains réfugiés revendaient les cartes d’inscription qui leur donnaient droit aux aides humanitaires ».
Jamel Weld Ahmed qui travaillait comme commerçant dans la ville malienne de Lira précise : « les vivres que nous achetons en gros aux réfugiés sont le riz, les fèves, l’huile et d’autres denrées alimentaires qu’ils nous cèdent à des pris bas, étant donné qu’ils ont besoin d’argent afin de se procurer d’autres produits que les organisations humanitaires ne leur fournissent pas ». Mohamed Lamine Tarmouzi, marchand de la ville de Basknou confirme à son tour cette réalité en disant : « Tous les vendredis, jour de marché à Mberra, je viens m’approvisionner à des prix abordables auprès des réfugiés qui, ayant absolument besoin d’argent, bradent leurs marchandises ».
Commentant cette situation, Amina Mohamed, venue sans rien de Guandam au camp de Mberra, se plaint : « Quand il y avait distribution de quoi que ce soit, les réfugiés-commerçants font la queue dans la même rangée que nous afin d’obtenir tout produit qui serait mis en vente : nourriture, vêtements ou n’importe quoi d’autre… Désormais, nous n’avons plus rien à leur vendre ».
Ahmadou Agh Ahmed, marchand venu de Tombouctou et installé au camp, reconnaît : « Bien entendu que les réfugiés revendent une grande part de l'aide qu'ils reçoivent et bien entendu que nous la leur achetons, tout comme nous leur vendons d'autres produits. Car les organisations humanitaires ne leur donnent que du riz et de l'huile. Ils sont donc obligés de vendre la moitié de ce qu'ils obtiennent pour acheter légumes, fruits, sucre, lait et autres vivres. Désormais il n'ont plus rien du tout à nous revendre ». Notre interlocuteur assure par ailleurs qu'il n'a pas autant besoin de l'aide humanitaire que d'un endroit sûr pour dormir avec ses enfants sans avoir peur d’être agressé ou inquiété.
Pour sa part, Ahmed Al Counti, propriétaire de la plus grande épicerie du camp et où l'on peut trouver toutes sortes de denrées et de produits hygiéniques achetés aux réfugiés avance: « Notre but n'est pas d'exploiter nos frères mais seulement de les aider à écouler leurs marchandises. Si nous ne l’achetions pas, ils ne pourraient jamais vivre sur le camp. Ainsi, ils peuvent employer l'argent qu’ils en obtiennent à se procurer les produits dont ils ont réellement besoin ». « Nous ne sommes pas les seuls à traiter avec eux ; plusieurs commerçants maliens installés dans des villes telles que Nioro, Nara, Lira et Nimpala viennent au camp pour acheter ces denrées en gros et les revendre par la suite ».
L'expert mauritanien en économie Mohamadan Weld Abi qui travaille avec l'une des organisations actives au camp de Mberra pense que de nombreux réfugiés se sentent escroqués par les commerçants qui stockent les vivres sans les redistribuer par la suite de manière honnête, puisqu'ils les achètent à bas prix et les revendent très cher sans que cela leur coûte les taxes douanières. Résumant ce procédé, il explique: « la vente et l'achat se font à l'intérieur du camp entre les réfugiés eux-mêmes. Les coûts de ces opérations sont quasiment nuls, puisque le réfugié est à la fois acheteur et vendeur ».
Notre interlocuteur déplore enfin le manque de législations et de lois commerciales dans le camp, ce qui fait que les conditions difficiles des ces réfugiés maliens soient exploitées de la sorte: « Le problème ne réside pas seulement dans l'exploitation des réfugiés par quelques commerçants sur les territoires mauritaniens mais dans le système de profit illégal et dans la capacité d'accueil qui ne sert pas l'intérêt de l'économie nationale. Par ailleurs, je ne pense pas qu'il existe chez le gouvernement une vision claire pour exploiter économiquement l’état d’asile ».
D’un autre côté, de nombreuses familles ont préféré se retirer du camp de Mberra pour se rendre dans les campagnes maliennes et mauritaniennes. Car le problème ne se limite pas, selon nombre d’entre eux, à la pénurie des denrées alimentaires mais va plus loin, puisque de nombreux enfants sont privés de leur droit à la scolarité.
Safia Bent Hdamine est veuve et mère de sept enfants. Elle est arrivée au camp de Mberra de la ville malienne de Lira, située près des frontières avec la Mauritanie. Elle nous fait part de son extrême inquiétude au sujet de l’avenir de ses enfants qui ont perdu leur père alors qu’ils sont encore tout petits : « Je crains pour l’avenir de mes enfants qui étaient scolarisés à Lira mais qui, depuis l’exil voici trois ans,, ne le sont plus». « Ceux d’entre nous qui quittent le camp ne le font pas parce qu’ils veulent simplement partir ; c’est contraints qu’ils le font et la mort dans l’âme car les conditions sont vraiment très difficiles. Nous partons vers les campagnes pour travailler comme bergers et en vivre ».
Pour sa part, Mohamed El Ansari, 46 ans, de Tombouctou et enseignant de langue arabe au camp de Mberra, nous confie que « c’est l’exil qui retourne le couteau dans nos plaies sanglantes, nous faisant souffrir à la fois des malheurs de notre mère patrie et de notre éparpillement dans les camps de réfugiés. Cette souffrance multiplie notre sentiment de malheur et d’exil et ranime en nous sans cesse les souvenirs de nos blessures ainsi que l’envie de retrouver une patrie qui nous a été indéfiniment confisquée par la force ».
El Ansari poursuit la narration de ses malheurs en disant : « Trois années affreuses de perdition et d’indigence… Les jours, les mois et les années passent avec toujours la même rengaine de supplice et de tourment qui tourne en boucle en se nourrissant de notre réalité amère. Encore une fois, l’été à la chaleur torride de l’enfer a tenu plus que nous à se rendre sur ces campements ».
Les propos d’El Ansari ne différent pas beaucoup de ceux de Younes Sissé, âgé de 52 ans et venu de la ville malienne de Gao tombée pendant des mois sous le contrôle des Jihadistes qui y appliquèrent leur « amère Chariâa », selon l’expression de Sissé. Il nous livre en effet le témoignage suivant : « Notre réalité aujourd’hui est la même que nous apercevons sur les photos et dans les témoignages qui nous parviennent de Somalie et d’ailleurs parmi les zones qui ont connu les malheurs de l’exil. Notre souffrance ne peut être comprise que par ceux qui ont vécu dans ces contrées arides hantées par la canicule et assiégées par la disette et qui ont donc vu ce que le réfugié endure dans ces tentes frêles et bouillantes ».