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03
février

Six ans après la révolution, où en est la Tunisie ?

Elle ne faisait qu’endosser l’uniforme officiel d’un régime autiste, pour dicter la loi, le temps d’une rafle ordinaire… L’agente municipale Fadia Hamdi, en giflant Mohamed Bouazizi le vendeur de légumes ambulant, un certain 17 décembre 2010, alors que ce dernier ne faisait que protester contre la confiscation de sa balance, n’imaginait pas un seul instant le séisme planétaire qui allait s’ensuivre. En réponse, Bouazizi a transformé sa rage en flammes, au sens propre du terme. En s’immolant par le feu au vu et au su de tout le monde, il allait servir de modèle pour des centaines de jeunes en proie au désespoir depuis bien longtemps.

L’étincelle

Tout a commencé avec des manifestations pacifiques à Sidi Bouzid, regroupant des centaines de jeunes chômeurs se référant à Bouazizi, mais ces protestations se sont aussitôt transformées en heurts avec les forces de l’ordre, et se sont propagées dans la ville voisine de Kasserine et dans d’autres villes à travers le pays. Avec l’échec des autorités à stopper la machine des protestations, la colère populaire a fait tâche d’huile, atteignant les grandes villes côtières, notamment Sfax, Nabeul, et la capitale Tunis. Et le raz-de-marée a rapidement donné lieu à un chaos sécuritaire ponctué par des opérations de pillage visant des institutions publiques et privées, ce qui a accéléré le départ du président Zine Labidine Ben Ali, et la chute de son régime.

Bouazizi, déclencheur de la révolution, décédera 20 jours après s’être immolé. Son acte l’élèvera au rang d’icône pour les peuples arabes qui se sont, tour à tour, révoltés dans plusieurs pays, déboulonnant le régime de Hosni Moubarak en Egypte, celui de Mouammar Khadafi en Libye et celui de Ali Abdallah Saleh au Yémen.

Le message de Bouazizi, a, ainsi, dépassé les frontières de Sidi Bouzid et celles de la Tunisie, et le mot «dégage », scandé en masse par des millions de Tunisiens, est devenu un leitmotiv dans le monde arabe. Un mouvement salué et honoré jusque dans le monde occidental, la France ayant même érigé une statue de Bouazizi et donné son nom à une place du 14 ème arrondissement de Paris.

Une constitution et des élections

La Tunisie a organisé, le 23 octobre 2011, les premières élections démocratiques et libres de son Histoire, des élections qui avaient donné lieu à une Assemblée nationale constituante mais également à une large polémique avec la division de la scène politique entre «islamistes et laïcs ». Ce n’est qu’en 2013 que les différents protagonistes surmonteront le blocage politique paralysant le pays, et ce après le coup d’Etat militaire de l’armée égyptienne contre le président islamiste, Mohamed Morsi.

Fin janvier 2014, la nouvelle constitution tunisienne est adoptée, grâce notamment au dialogue et au consensus, et est devenue la constitution arabe la plus démocratique pour avoir, notamment, instauré clairement la séparation des pouvoirs et mis en place des instances constitutionnelles en mesure d’ancrer l’exercice démocratique dans le pays. La mise en place de ces instances n’est pas allée sans polémique en raison notamment de la proximité de certaines instances avec le pouvoir exécutif. Trois élections ont tout-de-même pu être organisées, avec une alternance politique pacifique, créant ainsi un climat propice pour la rupture avec la corruption et la dictature. Malgré tout, les divisions et les crises qui minent la scène politique continuent de bloquer, jusqu’à aujourd’hui, l’organisation d’élections municipales.

Assassinat des leaders de gauche

Le 6 février 2013, l’opposant tunisien Chokri Belaid, critique virulent du gouvernement d’union, fut assassiné. Le secrétaire général du parti des Patriotes démocrates uni et co-fondateur du Front populaire a été criblé de balles par des inconnus, devant chez lui, ce qui provoqua des manifestations dans tout le pays et poussa l’Union générale des travailleurs tunisiens à décréter une grève générale en guise de protestation.

Le 25 juillet de la même année, Mohamed Brahmi, membre de l’Assemblée nationale constituante et ancien secrétaire général du Mouvement du peuple, fut assassiné à son tour. Il était un des symboles de l’opposition au régime de Ben Ali. Son assassinat n’a fait qu’accentuer les divisions.

Justice transitionnelle

Allant de l’avant dans le processus de la justice transitionnelle, la Tunisie a organisé des séances d’écoute publiques des victimes de la dictature, dans un souci de réconciliation nationale et de devoir de mémoire. Ces séances de « l’instance Vérité et Dignité » (IVD) ont commencé au mois de novembre 2016 et se poursuivront tout au long de l’année 2017.

Malgré des tentatives de diabolisation et différentes sortes d’entraves, l’IVD a permis de lever le voile sur beaucoup de crimes de la dictature et de mener le processus de mémoire à un stade avancé.

Nobel de la paix : le quartette aux devants de la scène

En 2015, le quartette, parrain du dialogue national en Tunisie, remporte le prix Nobel de paix. Cette consécration est une reconnaissance mondiale du succès de la Tunisie, qui a su créer un modèle unique jetant les bases de la démocratie, sans passer par la violence et le chaos sécuritaire.

Formé par l’Union générale des travailleurs tunisiens, l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat, l’Ordre national des avocats, et la Ligue tunisienne des droits de l’Homme, le quartette av contribué à mener le dialogue et instaurer les bases du consensus qui gère le pays jusqu’à aujourd’hui.

Depuis la chute de l’ancien régime, les organisations de la société civile ont toujours eu un rôle central dans le processus démocratique, en contrôlant le travail du gouvernement et en exerçant les pressions nécessaires pour le bon déroulement des choses. A la tête de ces organisations figure, indéniablement, l’Union générale des travailleurs tunisiens, plus grande centrale syndicale en Tunisie. L’UGTT a toujours surveillé le travail du gouvernement et à travers les grèves notamment, elle a faillit, à maintes reprises, faire basculer la coalition au pouvoir. L’UGTT a même pris l’initiative de jouer les médiateurs entre les différents courants politiques et de proposer des scénarios de sortie de crise, comme ce fut le cas pendant le dialogue national.

Sur le plan économique, la Tunisie peine toujours, six ans après la révolution, à prendre son envol. Après la chute de la dictature, les mouvements de protestation sociale n’ont jamais cessé, à cause de l’absence de solutions concrètes au problème du chômage et au retard dans la mise en œuvre de la discrimination positive en faveur des classes et des régions marginalisées. Selon le sentiment général, la tension sociale est tellement forte qu’elle pourrait menacer le processus démocratique. Seule la mobilisation des ressources et le soutien de la communauté internationale mondial pourrait améliorer le climat économique.

Durant la Conférence internationale sur l’investissement, qui a eu lieu, fin novembre 2016, à Tunis, les aides et prêts ont. Le pays a obtenu 2,55 milliards de dollars de la part des pays du Golfe, en plus de 1,5 millions de dollars du Fonds arabe pour le développement économique, sous forme de financement de projets publics. La part du lion des aides et prêts en provenance des pays du Golfe est détenue par le Qatar qui a évoqué le chiffre de 1,250 milliards de dollars, l’émir du Qatar affirmant que son pays souhaitait soutenir l’économie de la Tunisie et renforcer son processus de développement.

Pour sa part, le Fonds saoudien pour le développement a annoncé une aide à la Tunisie s’élèvant à 800 millions de dollars, comportant 100 millions sous forme de dons pour la construction d’un grand centre hospitalier et la restauration de la vieille ville, 500 millions pour le financement de projets de développement et 200 millions pour le financement des exportations saoudiennes à la Tunisie.

Le Fonds koweitien pour le développement économique arabe a, de son côté, annoncé l’octroi d’un prêt de 500 millions de dollars sur cinq ans, pour réanimer l’économie tunisienne et financer des projets de développement, selon les déclarations du vice-premier ministre koweitien Anas Khaled Saleh.

Six ans après le déclenchement de la révolution en Tunisie, le rapport de l’Observatoire économique pour le Moyen Orient et l’Afrique du nord évoque une timide croissance du produit intérieur brut. Selon le rapport, le déficit dans les finances publiques a pu, pour la première fois depuis 2011, être contenu à moins de 5 % du PIB en 2015, et ce grâce à la baisse dans le prix du pétrole et la baisse des subventions énergétiques. Le taux des importations a également baissé, quoique à un rythme moindre que celui des dépenses, ce qui a maintenu un fort taux de déficit commercial à cause de la stagnation des activités économiques. Le taux de chômage moyen en 2016 était de 15% environ. Il dépasse les 30% chez les jeunes selon un rapport de l’Organisation Internationale du Travail publié en 2016. Des jeunes désœuvrés qui sont autant de cibles faciles pour les recruteurs de l’Etat islamique (Daech). La Tunisie est en tête du classement des pays exportateurs de djihadistes. Selon plusieurs rapports, environ 3000 Tunisiens ont rejoint les rangs de Daech en Syrie et en Irak, entre 2012 et 2014.

Houssem Bouchiba