Le camion ayant transporté Abdouley, ce jeune gambien âgé de 20 ans, a quitté la Gambie et traversé le Sénégal, le Sud de la Mauritanie, le Nord du Mali et du Niger, pour chuter à Marzek au Sud libyen, moyennant la modique somme de 300 $. Cette histoire est vraie et traduit une multitude de défaillances dans tous les pays subsahariens, ayant engendré les catastrophes des bateaux de la mort.
Il y a donc plein de camions qui empruntent ce chemin ou d’autres chemins venant du Ghana, du Cameroun, voire du Tchad, du Niger ou du Soudan, les voisins directs de la Libye. Hassen n’est qu’un exemple. Boubakre en est un autre. Il est plutôt originaire des faubourgs de Garoua, au Nord du Cameroun, et il s’est retrouvé, lui-aussi, à Zouara, après avoir passé 15 mois dans sa traversée vers la Libye. Boubakre a passé huit mois au service des Teboo à Koufra en Libye. Il n’avait pas de quoi payer les droits de passage, imposés par une milice locale à Ghat, à l’extrême-Sud de Libye.
Le camion ayant transporté Boubakre et ses concitoyens du Cameroun, les a déposés à Ghat. Le chauffeur a remis les jeunes Camerounais à un chauffeur libyen pour les faire remonter au Nord de la Libye. Il a ensuite rechargé ses citernes de gas-oil, embarqué des stocks de produits alimentaires et il a rebroussé son chemin vers le Cameroun. Alors que Boubakre et ses compagnons étaient contents d’être enfin en Libye, ils ont été arrêtés par un check-point à la sortie de Ghat. La milice libyenne, contrôlant ce passage a exigé 50 $ par passager subsaharien. Boubakre n’en avait pas. Il a été d’abord retenu là-bas, avant d’être remis aux Teboo, qui l’ont asservi pendant huit mois. Il n’a dû son salut qu’à la gratitude d’un chef Touareg local, qui l’a libéré et lui a même remis 150 dinars libyens qui lui ont permis de remonter jusqu’à Sormane, sur les côtes méditerranéennes. Boubakre a payé 250 Euros pour son trajet de son Cameroun natal jusqu’en Libye. C’est tout ce qu’il a pu ramasser, lui et sa famille, pour lui permettre d’entamer cette aventure. Dès le départ, Il avait envisagé de travailler en Libye pour survivre d’abord et réunir ensuite l’argent de l’émigration vers l’Italie.
Il est à souligner que Abdouleye et Boubakre sont analphabètes. Ils affirment que la majorité de la communauté des émigrés clandestins n’a pas fréquenté l’école. Il s’agit essentiellement d’habitants de la brousse qui ne sont pas parvenus à obtenir le moindre emploi pouvant les retenir chez eux. Parlant des risques de décès au cours de la traversée, Abdouleye dit qu’il est déjà mort en maintenant le modèle de vie qui était sien.
Selon le Doyen de la Faculté de droit de Benghazi, Suliman Brahim, « La vie antérieure des candidats à l’émigration clandestine est déjà le début d’une tragédie qui se poursuit. Leur présent ne constitue donc que le 2ème épisode. Et rien ne les prémunit contre le fait que leur futur ne soit déjà compromis ».