La route vers Ben Guerdane, principal point de passage entre la Tunisie et la Libye, ne désemplit pas. Les voitures et les camions sont, aussi bien, tunisiens que libyens. La tension dans la Libye voisine n’empêche pas le trafic d’être très dense.
« Guerre civile ou pas, le marché libyen consomme des produits tunisiens », affirme Salah, la quarantaine, chauffeur d’une semi-remorque chargée d’eau minérale. Salah raconte comment il traverse deux fois par semaine les frontières vers la Libye. Il délivre sa première cargaison à Zouara et l’autre à Ezzaouia. Ces deux villes sont respectivement à 50 et 100 kilomètres de la frontière tunisienne.
Tu ne traverses pas cinq kilomètres sans croiser un étalage proposant du carburant et d’autres produits importés de Libye. La propreté laisse certes à désirer mais les usagers s’approvisionnent. « Le bidon de 20 litres d’essence est à 20 dinars tunisiens (09 Euros). C’est plus intéressant que de payer trente-deux dinars, même s’il faut changer plus fréquemment la pompe à essence », raconte Salim, un employé de Banque à Ben Guerdane. Il est originaire de la région.
Salim précise que l’activité économico-financière à Ben Guerdane est plus prospère que dans d’autres régions du Sud tunisien. « C’est vrai qu’il n’y a personne qui vient changer son argent dans une banque de la localité, vu qu’il y a plus de trois cent points de change sur la route. Mais, les transferts d’argent, transitant par les agences de la région, portent sur des montants faramineux. Les gens ont peur de faire leurs voyages avec de grosses sommes et le paiement liquide est la principale pratique courante. Donc, le système bancaire fait transiter quotidiennement des milliards, ce qui traduit le volume des échanges commerciaux ici », raconte-t-il.
Salim ajoute que son fils travaille dans le commerce. « Il gagne très bien sa vie », souligne le banquier. « Ici, l’économie parallèle domine tout. Tout le monde vit de l’économie transfrontalière », dit-il avec fermeté. Venant de la bouche d’un employé de banque, cela veut tout dire.
La situation est par ailleurs similaire sur les frontières Ouest de la Tunisie, avec l’Algérie, comme l’attestent les propos de cette jeune titulaire d’un Master en histoire ancienne, originaire de Hydra. Halima, c’est d’elle qu’il s’agit, a 28 ans. Elle n’a pas réussi dans l’examen de CAPES pour rejoindre l’enseignement secondaire.
Halima n’a pas, non plus, réussi à obtenir un poste d’assistante dans l’enseignement supérieur. « Je n’ai pas de moyens pour louer à Sousse, ou à Tunis. Je suis donc rentrée chez moi. Pourtant, je sais que celles, et ceux, qui restent dans les sphères des encadreurs universitaires, obtiennent les vacations passagères, ce qui leur ouvre la voie à des recrutements à l’université », dit-elle avec regret.
Concernant les dernières propositions du gouvernement à l’intention des jeunes diplômés, Halima ne voit pas s’ouvrir les fenêtres de l’espoir. « Pour nous, il n’y a pas de nouveauté. Les diplômés comme moi ne peuvent rien faire en dehors de l’enseignement. Donc, je vais passer le CAPES comme les quatre dernières années », ajoute-t-elle résignée.
Pour ce qui est d’un éventuel changement de parcours professionnel, Halima dit : « Avec une formation comme la mienne, je ne peux faire que guide touristique, chercheuse ou enseignante. Ce n’est pas ma faute si je suis diplômée dans cette spécialité. Personne ne m’a informé de l’absence de débouchés », conclut-elle sur un ton désespéré.
Halima raconte au passage comment elle obtient son argent de poche de chez son frère, ‘agent de Change’ sur le marché de Ben Guerdane. Elle ajoute timidement qu’il lui est arrivé de travailler, elle-aussi, sur ce marché. « C’est l’unique activité florissante dans cette région », dit-elle, aux bords des larmes.
Les mesures gouvernementales pour l’emploi ne semblent pas convaincre les jeunes de ces régions. « Les régions frontalières n’offrent que de rares opportunités d’emplois permanents, notamment dans les rangs de l’armée, les forces du ministère de l’Intérieur ou les agents des douanes et les gardes-frontières », constate Mustapha Abdelkebir, un activiste de la société civile à Ben Guerdane. « La majorité des jeunes est tentée par des réseaux liés, d’une manière ou d’une autre, à la contrebande », conclut-il.