Mohamed Twini raconte à Dunes voices : « nous habitions près de la mer et attendions le matin pour y aller chaque jour… Malgré la pauvreté qui nous empêchait d’avoir des équipements de plongée et de pêche, nous plongions les yeux ouverts, avides de découvrir ce monde mystérieux… Mon histoire avec la pêche a commencé avec un pistolet et un petit bateau qui m’ont accompagné durant un périple de plusieurs années ».
Chaâbane Tayeb, chercheur et historien, affirme pour sa part : « les Amazighs et les habitants de Zouara entretiennent avec la mer une relation de travail qui s’est transformée au fil du temps en une histoire d’amour que seuls eux connaissent le secret… La mer est pour eux leur gagne- pain depuis des générations… C’est une source de vie inépuisable ». Et d’ajouter : « le littoral de Zouara, qui s’étale sur 70 km de Mlita à l’est jusqu’à Ras Jdir à la frontière avec la Tunisie, se caractérise par sa droiture et par son aspect peu sinueux ». « C’est une des meilleures zones de pêche sur la côte libyenne » renchérit Nadia Abou Chaouchi, docteure en géographie.
Kamel Dabbeb, un des pêcheurs les plus connus dans la région, cite, lui, les noms que donnent les habitants de Zouara aux différents poissons. Il affirme que ces appellations locales aux origines amazighes varient d’une région à l’autre selon l’espèce et la forme du poisson.
« Les espèces de poisson distinctives de la région sont la sardine et toutes sortes de mollusques comme la poulpe… Il faut dire que les pêcheurs de l’est ont essayé la pêche des poulpes mais ont échoué… Il leur fallait utiliser les cruches en terre cuite à causes des roches. Nos côtes, où il n’y a pas de courants forts, sont plus faciles à dompter… Parmi les autres espèces de mollusques qui se trouvent notamment dans la région de Faroua, il y a la sèche dont la saison de pêche s’étend de février jusqu’à avril. Elle se caractérise par un goût succulent et pullule à Faroua pour son eau tiède » explique Mohamed Twini.
« La mer pour les habitants de Zouara n’est pas uniquement de l’eau, des vagues et des poissons… La mer pour eux, c’est une histoire d’existence… une perpétuelle source de vie… C’est simplement leur raison d’être… Ce rapport atypique, profond et fort qui unit les gens de Zouara à la mer a même une explication dans la mythologie grecque qui évoque le fils du Dieu de la mer Poséidon né sur une petite île près des côtes de l’ouest libyen » poursuit Chaâbane Tayeb.
Ce rapport fusionnel a incité les habitants de Zouara à y mettre du leur pour créer de nouvelles méthodes de pêche. Mohamed Twini cite la pêche à la traîne, les filets, les cannes à pêche, et la pêche à l’explosif, une technique ancienne que les pêcheurs utilisent jusqu’à nos jours, profitant du chaos sécuritaire en Libye depuis 2011.
« La pêche au filet convient à l’ouest libyen, notamment Zouara… Nos ancêtres usaient de cette technique pour pêcher du thon… La composition du filet lui-même a évolué dans le temps et l’actuelle forme est devenue plus robuste par rapport à l’ancien modèle plutôt poreux » note Kamel Dabbeb.
Mohamed Twini ne tarit pas d’éloge sur la mer. « Notre amour pour la mer, nous habitants de Zouara, est, me semble-t-il, génétique… Tout le monde aime la mer chez nous, sauf rares exceptions… La mer vit en nous » affirme-t-il. « Ceci apparaît nettement dans certaines pratiques qui s’élevaient au rang de pratiques religieuses avant l’arrivée de l’islam et qui se sont transformés en sortes de coutumes… On peut citer Aoussou et ses rituels, la pulvérisation des maisons avec l’eau de mer pour éviter la magie noire, la baignade de la veuve dans la mer après l’écoulement de la période de deuil… La veuve jette également ses habits de deuil dans la mer et dépose des algues sur la tombe de son mari après l’avoir aspergée d’eau de mer » selon Chaâbane Tayeb.
" Le métier de marin était, jadis, beaucoup plus simple et les moyens beaucoup plus limités… Il y avait d’énormes quantités de poisson et les marins se contentaient de pêcher juste de quoi rassasier leurs familles et subvenir à leurs besoins… Actuellement, les choses ont changé… Les techniques sont plus sophistiquées et les quantités de poisson pêchées sont tellement énormes que la biodiversité se trouve menacée » note Kamel Dabbeb.
Sur les problèmes auxquels fait face la région, Nadia Abou Chaouchi explique : « la pollution chimique due aux projets industriels fait des ravages et salit nettement l’eau… Parmi ces projets on peut citer le complexe de Mlita et celui d’Abi kammech… Dans les environs de ces projets, des études ont prouvé la pollution du sable, de la mer et de la nappe phréatique à cause de la présence de certains métaux tels que le mercure ».
Dans le même contexte, Mohamed Twini ajoute : « La fermeture de l’usine d’Abi Kammech depuis des années a, partiellement, résolu le problème et baissé le taux de pollution… Mais il y a malheureusement d’autres sources de pollution dont la raffinerie de Zaouia, les usines de Musrata, et l’impact des dérivés du pétrole sur la région… Tout ceci a un impact sur les richesses maritimes ». Kamel Dabbeb est du même avis. Il affirme : « les dérivés du pétrole sont parfois jetés dans la mer et forment des nappes épaisses qui nuisent directement aux espèces de poisson vivant près de la surface de la mer… Ces petits poissons servent de nourriture pour d’autres espèces ce qui élargit le cercle des dégâts. Le mulet a pratiquement disparu et quand on le pêche par chance, il pue le pétrole ».
« Imerkane, Tibouda, la région entre Om Ali et Almarba’a… ces lieux sont tellement beaux et séduisants que quiconque plonge dans cette mer magnifique en devient accro et oublie toutes les difficultés du métier » lance Mohamed Twini. Et d’ajouter : « la pêche à la traine est un grand problème et les pêcheurs des pays voisins à l’instar de la Tunisie, de l’Egypte ou du sud de l’Europe causent parfois des dégâts atteignant nos eaux, notamment durant ces dernières années où l’Etat libyen était quasi- inexistant… Nous avons porté plainte auprès des autorités, en vain ». Le laxisme des autorités, Kamel Dabbeb en parle également. « Les mesures administratives sont quasi- inexistantes… Les pêcheurs de la région, une vingtaine en tout, n’ont même pas de syndicat… Ils n’ont pas de garanties et les commerçants qui leur achètent la marchandise manipulent les prix… Cette marchandise est exportée uniquement vers la Tunisie à cause de la situation sécuritaire ».
Pour sa part, l’ingénieur Ramadan Idrissi, directeur du bureau des richesses maritimes à Zouara, explique : « Nous avons envoyé des rapports aux responsables à maintes reprises… Malheureusement, la situation actuelle du pays entrave l’activation de toute mesure. Quant à l’absence de syndicat, c’est de la faute des pêcheurs eux-mêmes. C’est eux qui doivent prendre une telle initiative. Par ailleurs, nous suivons de près le problème de la pollution, nous avons entrepris plusieurs analyses et les résultats sont heureusement fort réconfortants ».
« Le marché local est limité comparé au marché tunisien… La pêche demeure malgré ceci une source de revenu principale… Les plus grandes civilisations reposent sur la mer… La mer a été d’un grand soutien pour nous en temps de paix et en temps de guerre. Pendant la révolution de février, c’est grâce à la mer que nous avons pu transporter nos blessés et acquérir des armes… La mer est toute notre vie » conclut Mohamed Twini.