Les longues distances parcourues ainsi que les routes secondaires empruntées rendent les choses encore plus dangereuses. Raymond, ce Tchadien de quarante-quatre ans rencontré à Benghazi par la correspondante de Dunes Voices, raconte comment « les victimes des parcours sahariens ne se comptent plus, mortes de soif, de piqures d’insectes venimeux ou encore suite à des rixes opposant les migrants entre eux ou à des contrebandiers ».
Raymond assure par ailleurs que c’est seulement par hasard qu’il a eu la vie sauve : « Nous étions treize migrants clandestins venant du sud du Tchad à bord d’une camionnette que conduisaient à tour de rôle deux Tchadiens de Njamina. Le deuxième jour de notre périple, nous avons tous mangé le même plat qui était préparé à base d’une plante désertique bien connue. Mais alors que tous nos compagnons ont été victimes de diarrhées profuses et de fortes coliques qui leur ont ôté la vie, la Providence nous a sauvés, moi et l’un de mes amis, ainsi que l’un des deux chauffeurs ».
« Notre périple s’est poursuivi durant cinq jours au bout desquels nous avons atteint Al kofra, sans que nous ayons jamais été inquiétés. Nous étions accompagnés d’un Tchadien, de la même façon que ceux qui venaient du Soudan étaient accompagnés d’un « intermédiaire » Soudanais. Mais une fois arrivés en Libye, les migrants sont livrés à des « intermédiaires » libyens. D’une façon générale, ces zones du territoire ne sont pas sous le contrôle de l’armée, ni d’ailleurs d’aucun autre organisme de quelque gouvernement que ce soit. Ce sont les milices qui contrôlent les frontières sud du pays et au lieu de barrer la route aux immigrés clandestins, ils préfèrent en faire un commerce lucratif, en les laissant passer contre le payement de sommes d’argent. Comment peut-on parler donc de lutte contre l’immigration clandestine ? », interroge Raymond.
Agé de vingt-cinq ans, Ismaïlla est un autre migrant qui vient du sud du Niger. Il raconte que « la plupart des immigrés clandestins souffrent de maladies et d’épidémies innombrables, de même qu’ils ne disposent pas de papiers d’identité. Même pour ceux qui possèdent des visas ou des certificats médicaux, il est certain qu’il s’agit de faux papiers ». « Des milliers de migrants clandestins sont décédés sur la route ou au large de la mer. Tel fut le sort de deux de mes voisins qui étaient avec moi à bord du même camion et qui sont morts de soif », ajoute-t-il.
Evoquant son arrivée à Benghazi, Raymond affirme que « la ville d’Al Kofra représente le principal point de transit de ces migrants qui viennent principalement du Soudan, de l’Ethiopie, du Tchad et de la Somalie et qui traversent les frontières sud-est de la Libye». Il explique encore que c’est à Al Kofra que la répartition se fait entre ceux qui souhaitent se rendre à Ajdabia et ceux qui préfèrent Misrate, Zouara ou d’autres villes de l’ouest libyen.
Mais pour ce qui est du mode d’arrivée à destination, le jeune Ismaïlla explique que cela se fait à bord de camions, aussi bien grands que petits, où sont empilées des centaines de migrants clandestins, et qui prennent la route chacun à part. Le camion transporte en apparence une cargaison de foin ou d’un tout autre produit agricole mais en réalité, il transporte des migrants clandestins qui s’entassent à l’arrière avec, parmi eux, femmes et enfants. Ces fourgons sont, pour la plupart, libyens et sont conduits par des Libyens.
Raymond, qui était arrivé en Libye depuis le mois de novembre 2015, affirme par ailleurs qu’il arrive parfois que les autorités libyennes procèdent à l’arrestation de ces immigrés clandestins et qu’elles les rapatrient vers leurs pays d’origine, lorsqu’elles trouvent en leur possession des papiers d’identité. Mais, en général, ils sont souvent relaxés parce que les garder au camp revient trop cher à l’état. La plupart d’entre eux retentent d’ailleurs la chance de traverser malgré tous les dangers que cela comporte, tandis que d’autres restent en Libye pour y travailler dans la clandestinité. Cela peut paraître irraisonnable, étant donné l’insécurité régnante ; mais ces gens sont prêts à tous les sacrifices pour émigrer vers l’Europe car ils portent sur le dos tous les espoirs de leurs familles qui avaient tout vendu pour payer leur voyage.
D’autre part, s’il est vrai qu’il existait en Libye, en 2013 et en 2014, sous le gouvernement d’Ali Zeidane, trois prisons réservées aux immigrés clandestins dont une à l’est, dans la ville de Benghazi, une autre au sud, dans la ville de Sabha, et une troisième dans la capitale Tripoli ; force est de constater qu’il n’en est plus rien aujourd’hui. Et s’il est vrai également qu’il n’a jamais existé de statistiques officielles sur les prisonniers qui ont transité par ces trois prisons qui, pourtant, expédiaient et accueillaient chaque jour des centaines de prévenus, il n’en demeure pas moins vrai que les choses ont empiré depuis l’éclatement de la guerre civile au cours de l’été de 2014. En effet, le chaos est désormais généralisé et il n’existe plus aucune autorité officielle pour contrôler l’immigration clandestine. Les choses sont même encore plus graves, si l’on prend en considération les allusions de Raymond et d’Ismaïlla.
Raymond explique encore en disant : « Les groupes armés tiennent tout en main, notamment dans l’ouest libyen et plus particulièrement à Zouara et à Sabratha car ils ont de très solides relations parmi les contrebandiers ». « Il arrive aussi que vous donniez une avance au contrebandier et que ces groupes armés viennent par la suite vous capturer et vous emmener loin, comme cela est déjà arrivé à mes amis à Sorman, non loin de Sabratha », ajoute-t-il, persuadé que cette attaque a été planifiée et convenue entre les contrebandiers et les groupes armés.
La situation en Libye est tragique, non seulement pour les habitants qui ne supportent plus la guerre qui n’en finit pas de durer ; mais aussi pour les migrants clandestins qui s’exposent chaque jour à mourir au large de l’océan quand ils ne se laissent pas régulièrement racketter par les contrebandiers et par les milices armées.