Cette question s’était d’ailleurs posée dès l’entrée de Fayez Sarraj et de son équipe à Tripoli, vers la fin du mois de mars dernier. Et les cinq mois que le gouvernement de réconciliation a passés au pouvoir n’ont pas suffi pour trouver une réponse à cette question épineuse.
Le gouvernement Sarraj demeure donc dépourvu d’un appui militaire régulier sur lequel il pourrait compter pour faire régner la sécurité. L’idée même de former une garde nationale ou d’entraîner des forces libyennes sur le territoire tunisien est restée au stade d’une simple promesse. Les groupes armés ont en effet gardé toute leur autorité, comme le montrent les affrontements qui les opposent de temps à autre et qui pourraient s’accentuer à tout moment, si jamais l’équilibre précaire régnant actuellement à Tripoli venait à se rompre.
D’ailleurs, durant la troisième semaine du mois d’août, les échauffourées ont repris de plus belle, au point de donner de grosses frayeurs aux habitants de la capitale libyenne qui s’est vue le théâtre d’une grande mobilisation militaire et d’un déploiement considérable de l’artillerie lourde et moins lourde, aux entrées et sorties de la ville. Les réseaux sociaux ainsi que certains sites d’information locaux ont également publié des photos montrant le déploiement de combattants armés près de chars et de véhicules blindés, de même qu’on peut voir sur d’autres photos, dans la région d’Abou Salim, un tank stationné près d’un feu se situant à l’endroit où se trouve le quartier général du régiment Al Baraki.
Et, pendant que le Conseil Présidentiel se mure dans le mutisme face aux graves événements sécuritaires qui secouent la capitale Tripoli, Les libyens ne cessent de se demander si ces événements sont le prélude d’une guerre proche ou s’il s’agit simplement de tiraillements d’intimidation et de luttes de positions entre les différentes factions qui se partagent le pouvoir. Les observateurs expliquent la situation sécuritaire dans la capitale par le laxisme dont le Conseil Présidentiel et la commission des mesures sécuritaires qui en émane ont fait preuve à l’égard des différents groupes armés ainsi que par la non application des termes de l’accord politique à ce sujet.
Rappelons que des responsables au sein du gouvernement de réconciliation s’étaient plusieurs fois exprimés sur la nécessité d’intégrer ces milices dans la police et dans l’armée, les considérant comme faisant partie de la solution et non pas du problème en Libye. De nombreux partisans du Conseil Présidentiel avaient alors qualifié cette démarche de positive, estimant qu’elle allait couper les griffes à ces groupes et limiter ainsi l’étendue de leurs pouvoirs. Néanmoins, plus de quatre mois après l’entrée du Conseil Présidentiel dans la capitale libyenne, il apparaît clairement que Sarraj ne parvient toujours pas à maîtriser ces milices. En effet, depuis l’arrivée du gouvernement à Tripoli, le 30 mars dernier, un mystère impénétrable enveloppe le travail de la commission sécuritaire déléguée par le chef du Conseil Présidentiel afin de rétablir la sécurité dans la ville. Aujourd’hui encore, nul ne sait avec exactitude quels sont ceux qui la composent ni quelles sont les parties favorables au Conseil Présidentiel, celles qui s’y opposent et celles qui ont mis des conditions pour reconnaître son autorité.
Rappelons également que, bien avant l’entrée de l’équipe gouvernementale dans Tripoli, plusieurs affrontements ainsi qu’une véritable guerre de positionnement avaient éclaté entre les milices favorables à Sarraj et celles qui lui sont hostiles. Mais dès qu’il s’est trouvé dans la capitale, une sorte de calme avait enveloppé la ville à tel point qu’il était alors impossible de savoir quelles parties lui étaient hostiles et si elles avaient changé de position à son égard. Par la suite, les faits ont montré petit à petit que lesdites milices n’avaient point changé d’opinion mais qu’elles guettaient simplement le moment opportun pour donner l’assaut contre les pro-Sarraj et renverser le pouvoir en place. Ainsi donc, les affrontements armés avaient repris de plus belle, opposant les milices dévouées au Conseil Présidentiel à celles qui le rejettent, chacune des deux parties voulant depuis des mois asseoir son autorité sur la capitale. C’est enfin un bataillon connu sous le nom de " Thouar Trables " ("Les Révolutionnaires de Tripoli") qui est parvenu à prendre le contrôle de nombreux postes qui se trouvaient sous le contrôle de milices apparentées au courant islamiste, plus précisément la "Jamaâa Al Libiyya Al Moukatila" et les Frères Musulmans.
Par ailleurs, les publications placardées sur les murs virtuels des réseaux sociaux par certains internautes et portant accusation contre le Mufti déchu Sadok Ghariani et contre la confrérie des Frères Musulmans pourraient être perçues comme le signe d’une escalade contre les symboles de l’islam politique. C’est d’autant plus vraisemblable que les observateurs savent pertinemment que les trois plus grandes milices de tripoli soutiennent le Conseil Présidentiel. Elles sont menées par Ghnioua El Kekli pour la milice d’Abou Salim, par Heithem Tajouri pour celle de " Thouar Trables" et par Abderraouf Kara qui est le dirigeant général de la milice "Arradaâ" (La Dissuasion).
Il est à noter du reste que ces milices se battaient auparavant aux côtés des Frères Musulmans et de la "Jamaâa Al Libiyya Al Moukatila", sous la bannière de ce qui était connu sous le nom de "Fajr Libya", une formation qui avait vu le jour dans le but de chasser les forces loyales au gouvernement transitoire qui siégeait à l’Est. Tous prêtaient allégeance spirituelle au Mufti Sadok Ghariani, aujourd’hui contesté.
Cependant, les rapports entre Abderraouf Kara et la "Jamaâa Al Libiyya Al Moukatila" ont commencé à se détériorer, lorsque la milice d’"Arradaâ" a décidé de se transformer d’une force destinée à la lutte contre les mauvaises pratiques dans la ville en une force qui se donne pour mission de combattre l’organisation de l’Etat Islamique (" DAECH"), tuant, au mois de décembre dernier, le commandant de la milice d’"Attaouhid", Mourad Al Gmati après l’avoir accusé d’appartenir à l’organisation terroriste. La relation s’est tendue davantage entre les deux parties, lorsque Kara a procédé aussi à l’arrestation de militants affiliés au groupe connu sous le nom de " Saraya Addifaâ Âan Benghazi" et soutenu par le Mufti déchu Sadok Al Ghariani. Cette milice avait d’ailleurs mené au mois de juillet dernier une guerre contre les forces de l’armée libyenne situées à l’est du pays, et cela en partant de la ville d’El Jofra, dans le sud. C’est ainsi que, lors de sa dernière apparition publique, il y a quelques jours, le responsable militaire du Conseil de la Choura de "Thouar Benghazi", Wissem Ben Hmaied a eu des propos particulièrement sévères envers Kara qui avait arrêté des personnes appartenant au Conseil de la capitale. En effet, en le décrivant comme le "Mayar de Tripoli", il fait une allusion directe au chef salafiste Achraf Al Mayar qui se bat sous la bannière de l’armée dans la ville de Banghazi.
Au vu de ces tensions sécuritaires très graves, le président du Conseil Présidentiel, Fayez Sarraj, accompagné de plusieurs autres membres de ladite structure, s’est rendu dans la capitale tunisienne afin de rencontrer Mohamed Echâyeb, le vice président de l’assemblée nationale libyenne et de tenter avec lui de trouver un compromis qui fasse avancer les choses au sujet de la confiance à accorder au gouvernement par le Parlement. Toutefois, selon de nombreux observateurs et analystes, il est plus probable qu’il faille réviser l’accord de Skhirat au regard des bouleversements connus sur le terrain à l’Ouest et à l’Est libyens.
Il n’en reste pas moins vrai que les groupes armés demeurent un obstacle de taille devant toute possibilité d’accord politique car aucun pouvoir politique ne saurait exercer sa pleine autorité sans être seul à détenir la violence légitime, celle de l’Etat et qui est, bien entendu, bien différente de la violence des milices armées.