Les chiffres rapportés au sujet de cette campagne de déplacement systématique effectuée par des milices armées en provenance de la ville voisine de Misrate sont nombreux et variables. Mais aucun de ces chiffres ne descend malgré tout sous la barre des 15.000 personnes exilées de force de Tawarga, devenue du reste une ville fantôme.
Lors d’une cérémonie de commémoration tenue à Ajdabia à l’occasion du quatrième anniversaire de ce drame, les Tawargais qui s’y sont réfugiés, ainsi que ceux partis vivre dans les régions voisines n’ont eu de cesse d’affirmer leur refus de l’expression « repeuplement de Tawarga », dans la mesure où, disent-ils, « nous ne nous considérons pas comme étrangers à la ville, de même que Tawarga est loin d’être un endroit désert qu’il s’agit de refaire vivre ».
Les Tawargais ont également exprimé leur mécontentement de voir leur cause, dont la légitimité ne fait pourtant aucun doute, arriver à une situation de blocage. Les discours qu’ils ont tenus à l’occasion montrent tous à quel point ils ne comprennent pas pourquoi ils n’ont toujours pas été acquittés ni autorisés à rentrer chez eux par les différents régimes qui se sont succédés à la tête du pays, les organisations internationales et le représentant des Nations Unies. Les faits ont prouvé en effet que « tous les communiqués et tous les rapports rédigés à ce sujet sont restés à l’état de projet non accompli ». Aussi ont-ils décidé de « ne plus rien attendre de la part des gouvernements, des chefs de tribus, des personnalités illustres, des sages, des hommes de religion et de fatwa car ils se sont tous montrés incapables d’apporter la moindre petite solution au problème ».
Ali Al Hrouss, coordinateur des actions de soutien au profit des familles des martyrs et des disparus de Tawarga et président de l’association Arrahma (la Miséricorde) affirme à propos de ce drame : « Comme s’il ne suffisait pas que les habitants de ma ville aient subi l’injustice de se voir chassés de force de leurs propres maisons, qu’ils aient été disséminés, que leurs femmes, enfants et vieillards aient été livrés à l’errance ou réduits à vivre dans des camps de zinc, tout cela, quand ils n’ont pas été tués ou jetés en prison ; comme si toutes ces peines n’étaient pas suffisantes, il y en a encore qui ne leur reconnaissent pas le droit de rentrer chez eux et qui ne reconnaissent pas même l’injustice dont ils continuent à être victimes… Même les quelques décisions prises en leur faveur demeurent consignées dans des écrits que les politiciens se transmettent entre eux, sans jamais prendre la peine de les mettre en application ».
Pour sa part, le président du conseil local de Tawarga, Abderrahmane Achakchak, a fait part au correspondant de Dunes Voices de son mécontentement et de toute la colère que suscite en lui la décision prise par le gouvernement de faire construire à Benghazi, à Jafra et dans d’autres villes libyennes des logements au profit des exilés de Tawarga, affirmant que cette décision « revient à pérenniser l’exil de ces personnes, alors qu’en réalité ils sont les propriétaires de ces terres qu’ils avaient occupées biens avant les tribus Msarites ».
Achakchak donne à ce problème une dimension raciste en affirmant que certains veulent réserver la côte aux Libyens ayant la peau blanche, comme pour établir définitivement que les habitants de Tawarga n’ont aucun droit sur ces terres. D’ailleurs, les adeptes de cette théorie raciste nient jusqu’à l’existence même d’hommes noirs sur les côtes méditerranéennes à travers l’Hsitoire. Achakchak répond à ces allégations en disant que les recherches en anthropologie ont bel et bien prouvé que les racines des Tawargais sont très profondément ancrées au plus profond de l’histoire des côtes libyennes.
Rappelons qu’au cours des années 2015 et 2016, la commission commune Misrate / Tawarga s’est réunie à plusieurs reprises à Genève et à Tunis, sous l’égide du service des droits de l’homme, de la justice transitionnelle et de la suprématie du droit au sein de la mission des Nations Unies pour le soutien de la Libye. En collaboration avec des experts internationaux, la commission commune a débattu de la nécessité d’accorder des réparations aux victimes, de même qu’un accord a été trouvé sur les principes et sur les éléments fondamentaux de ce programme. Le dossier de la justice transitionnelle a également été vu dans son ensemble.
Par ailleurs, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR), ainsi que l’Organisation Internationale pour la Migration (OIM) ont été consultées à propos des normes internationales et des principes qui régissent le retour spontané, digne et sécurisé des migrants dans leur régions d’origine. La question du déminage et du retrait des objets non explosifs laissés après la guerre a même été débattue en collaboration avec l’agence des Nations Unies pour le déminage et le centre libyen de lutte contre les mines et les restes explosifs de guerre. La Commission a également décidé d’un commun accord que la visite de constat préliminaire pour évaluer la situation dans la région de Tawarga et dans les zones voisines de Misrate se ferait au cours des semaines qui vont suivre la rencontre de décembre 2015. Mais rien de tout cela n’a été fait finalement, ce qui explique le mécontentement des Tawargais et la déception qu’ils ressentent à l’égard de tous les gouvernements qui se sont succédés dans le pays, ainsi que de toutes les organisations internationales, de tous les Chef de tribus, des personnalités illustres, des sages et des militants qui, pensent-ils, ont tous trahit leur cause en la jetant aux oubliettes et en laissant inaccomplies les décisions prises en leur faveur.
Les Tawargais, ainsi que toutes les instances qui les représentent mettent enfin en garde les autorités contre la gravité de passer sous silence l’exil forcé qu’ils ont subi, en précisant que cela risque de mener à une véritable catastrophe dans le pays. En effet, les pratiques criminelles des groupes armés qui persistent à semer la discorde entre les enfants d’une seule te même patrie en faisant fi des conséquences de tels agissements sur le tissu social risquent bel et bien de transformer la plupart des habitants des villes libyennes en exilés sur leur propre terre.