Etaient présents notamment M. Kamel Jendoubi, Ministre tunisien chargé des relations avec les institutions constitutionnelles et la société civile, M. Abdelkader Kadoura, Professeur de droit constitutionnel et membre de la Commission libyenne de Rédaction de la Constitution et M. Omar Belhouchet, directeur du journal algérien AL WATAN et figure incontournable de la traversée du désert que fut pour la presse algérienne la décennie noire.
Dans leurs discours d’ouverture, Mme Milica Pesic, directeur exécutif du Media Diversity Institute (MDI) et M AbdelKrim Hizaoui, directeur du Centre Africain de Perfectionnement des Journalistes et Communicateurs (CAPJC) ont insisté sur l’importance d’encourager la formation des journalistes afin de les coacher à l’échange, à l’ouverture et au dialogue.
Classée par Freedom House comme étant le seul pays arabe où la liberté de la presse est respectée, la Tunisie représente un cadre favorable à ce coaching, étant donné la situation de guerre qui sévit en Libye. C’est d’ailleurs en rapport avec cette réalité libyenne que s’est exprimé M. Kamel Jendoubi, Ministre délégué auprès du chef du gouvernement, chargé des relations avec les institutions constitutionnelles et la société civile.
Kamel Jendoubi : J’ai un « Ministère-Mission »
Le Ministre tunisien chargé des relations avec les institutions constitutionnelles et la société civile, Kamel Jendoubi, promet de faire tout ce qui est nécessaire pour apporter son soutien aux journalistes libyens réfugiés en Tunisie depuis le début des conflits dans leur pays : «La Tunisie, affirme-t-il, accueillera à bras ouverts toute personne victime de persécution ou de discrimination à cause de sa profession, de ses opinions ou encore de son sexe et je m’engage, avec les prérogatives qui sont les miennes, à fournir tous les moyens nécessaires afin que les institutions constitutionnelles en rapport avec cette question soient fonctionnelles et mettent en application, sur le terrain, les valeurs défendues par les articles de la Constitution. Partant de ce principe, je me sens investi d’une véritable mission ».
Par ailleurs, le Ministre s’est dit conscient que la sécurité et la stabilité de la Libye sont également celles de la Tunisie dont la transition démocratique, encore fragile, se trouve sans cesse menacée par une économie en crise et par un sérieux danger terroriste qui, plus est, ne reconnaît pas de frontières et touche toute la région. De ce fait, ajoute-t-il, il est très important pour la Tunisie que son voisin se stabilise le plus rapidement possible et que cela se fasse sans ingérences étrangères, ou du moins le moins possible, afin que les Libyens parviennent à trouver des solutions et des moyens internes pour réussir seuls leur transition démocratique.
Kamel Jendoubi explique que la réussite de ces défis majeurs ne peut en aucun cas se faire sans la contribution de médias libres et puissants qui jetteraient des ponts par-delà les frontières entre les sociétés civiles des pays touchés par le fléau du terrorisme « En tant que militant des droits de l’homme, je suis profondément convaincu que les médias sont, avec la magistrature, le fondement premier de toute démocratie. C’est pour cette raison qu’il devient urgent de protéger le paysage médiatique et de garantir les conditions de base d’un bon système d’information.», a-t-il conclu.
Témoignages de professionnels des médias libyens : état des lieux alarmant !
Ce qui ressort de la quasi-totalité des interventions des professionnels des médias libyens, c’est la réalité alarmante du secteur médiatique dans une Libye en proie à une guerre civile sans merci et où les supports d’information sont pris en otages par les différentes factions ennemies.
Des médias qui ferment et des journalistes qui s’expatrient…
Dans ce pays ravagé par la guerre, plusieurs médias se retrouvent du jour au lendemain dans l’incapacité réelle de continuer à exister. M. Ahmed Al Faïtouri, ex directeur du journal Mayadine à Benghazi, aujourd’hui réfugié en Egypte, raconte son expérience : « Malgré les circonstances que chacun connaît en Libye, notre journal a continué de paraître de manière presque normale jusqu’au jour où notre imprimerie, située sur la Route de l’Aéroport, zone connue pour être particulièrement exposée aux affrontements armés, fut entièrement brûlée et détruite ! Une imprimerie tout à fait neuve qui avait à peine trois semaines de vie !!».
Décrivant ce contexte de violences extrêmes, M. Faïtouri évoque une réalité particulièrement complexe : « Entre les dizaines de milices apparentées aux Frères Musulmans et qui sont très nombreuses et très différentes des plus aux moins radicalisées, la Jamaâa Moukatila qui est un groupe armé qui fut opposant à Kadhafi et les Ansar Achariâa soudainement apparus sur la scène, on ne sait plus qui est avec qui, ni contre qui… Personnellement je suis resté une année entière cloîtré chez moi ! Comment voulez-vous qu’on continue à faire de l’information dans ces conditions ?! C’est impossible ! », conclut-il.
Plusieurs autres journalistes ont été contraints de quitter le pays. C’est le cas de Jamel Adel, qui travaillait dans un quotidien à Tripoli et qui a dû fuir les combats qui se déroulaient dans la capitale. Pour certains d’entre eux, le malheur de l’expatriation s’accompagne aussi de celui de voir leurs médias confisqués par l’une ou l’autre des parties en lutte.
Harcèlements et hold-up sur des médias
C’est ce qu’a vécu Jehan Jazwi qui fut pour un moment directrice des programmes de la chaine « Al An » (Maintenant) avant de passer sur « Annaba’ » (Benghazi) et qui affirme avoir pu travailler sans difficultés sur le terrain durant la révolution libyenne. Elle s’est trouvée néanmoins en proie à un véritable harcèlement idéologique et moral, lorsque la ligne éditoriale s’est affirmée proche des Islamistes. Ne voyant pas d’un bon œil sa neutralité et son objectivité professionnelles et voulant orienter son travail, ses nouveaux patrons auraient poussé des internautes et des cyber activistes à exercer sur elle des pressions allant jusqu’à la cyber-diffamation, avant de finir par lui donner un congé payé à durée indéterminée jusqu’au jour où l’un de ses voisin l’a appelée pour la prévenir de la visite de miliciens armés chez elle, ce qui l’a poussée à quitter le territoire pour se réfugier en Egypte.
L’expérience de Tarek El Houni, ex-directeur exécutif de la Chaine Nationale libyenne, aujourd’hui réfugié en Tunisie, n’est pas plus heureuse. Il affirme avoir tout essayé durant son mandat pour préserver la neutralité de la Chaine et lui faire observer les normes professionnelles internationales. Il s’est accroché pendant une année malgré les pressions cherchant à faire dévier, dans un sens ou dans l’autre, la ligne éditoriale de la Chaine mais il a fini par démissionner suite à la prise de Tripoli, décrivant ce qui se passe aujourd’hui en Libye d’« artillerie médiatique absurde ».
Jamel Bennour, avocat, juge d’instruction, ancien magistrat et ex Président du premier Conseil Local révolutionnaire à Benghazi raconte l’un des mystères médiatiques libyens de l’après révolution, un mystère non élucidé encore aujourd’hui : « Etant conscients du rôle que les médias ont eu dans la révolution du 17 février, nous avons créé, à partir de fonds publics, une radio dont le but était de porter au-delà de la ville de Benghazi la voix de la révolution et des citoyens. Nous y avions consacré ce qu’il faut d’argent, de fonctionnaires et de locaux. Peu de temps après, nous assistions, impuissants, à la confiscation pure et simple de notre radio par l’un des organismes politiques en conflit ! Nous avons bien entendu porté plainte et constitué tout un dossier. Une enquête a bien été ouverte mais jusqu’à ce jour, nous sommes sans nouvelles de ce dossier ! ».
Ces expériences posent toutes, explicitement ou implicitement, le problème de la neutralité et de l’impartialité des médias.
La question de la neutralité : du harcèlement au problème déontologique
Selon M. Ahmed Al Faïtouri, à l’heure actuelle, on ne peut pas vraiment parler d’institutions médiatiques dignes de ce nom en Libye. « Il existe plutôt des appareils de propagande et de recrutement idéologiques qui rappellent fortement le rôle que jouaient autrefois les Comités Populaires pro Kadhafi, précise-t-il. Nous récoltons aujourd’hui les fruits de ce qui a été semé tout juste après la révolution, sans que personne n’y prenne garde : une nouvelle force fasciste qui supplante l’ancienne dictature et qui, se cachant derrière un masque religieux, fait de la destruction des médias en Libye l’une de ses priorités absolues ! ». M. Faïtouri évoque enfin les moyens d’intimidation et de harcèlement dont sont systématiquement victimes les médias et les journalistes : « Quand on ne tue pas les journalistes ou le directeur du journal, on l’interdit. Et quand ce n’est ni l’un ni l’autre, on se contente d’agresser les fonctionnaires ou les chauffeurs ou encore de détruire les locaux… »
Nassim Naïel, journaliste originaire de Zouara et travaillant à Tripoli pour la chaine Toubactes pose le problème avec autodérision : « Avant la révolution, nous avions des préjugés consistant à penser que tous les journalistes qui travaillaient sous Kadhafi était partiaux et n’avaient aucune crédibilité… A notre tour, nous nous retrouvons aujourd’hui victimes des mêmes préjugés, puisque les journalistes de la révolution du 17 février sont désormais considérés par ceux qui ont pris le pouvoir par la suite comme n’ayant aucune crédibilité ! »
Jomâa Friwan, présentateur du journal à la Chaine Nationale libyenne puis à la Chaine « Annaba’ » pense que le journaliste innocent dans l’absolu ou victime par définition n’existe pas. Selon lui, les journalistes deviennent souvent la cause même du problème et nourrissent les tensions lorsqu’ils se mettent à la solde de l’une des parties impliquées dans le conflit : « Ces journalistes sont les plus nombreux, précise-t-il. Et c’est la minorité des journalistes véritablement indépendants qui se trouve la plus exposée aux dangers car visée par toutes les parties à la fois et ne bénéficiant de nulle protection. ».
Dans ce même ordre d’idées, Fedwa Kamil, journaliste de Zwara, rappelle qu’il ne suffit pas de vouloir protéger les journalistes en situation de conflit. « Il faudrait également réfléchir aux moyens de protéger la patrie en situation de conflit de ces journalistes qui deviennent eux-mêmes souvent une partie du problème. ». Fatma Omrani, journaliste de Misrate souligne également le rôle néfaste joué par certains médias en Libye dans le pourrissement de la situation et reconnaît que « les médias ont approfondi la crise libyenne et qu’il faudrait s’entendre sur une charte qui unifierait les pratiques professionnelles des journalistes libyens, surtout qu’ils affrontent un problème beaucoup plus difficile que des conflits armés habituels: le terrorisme ».
Il semble évident que l’esprit partisan dans le milieu de l’information a provoqué une guerre médiatique intestine à l’image de la guerre civile qui secoue le pays. Plusieurs journalistes rapportent à ce sujet une véritable joute de règlements de comptes où des journalistes et même des médias entiers s’adonnent en toute impunité à des dénonciations publiques et à des délations nominatives. Les discours haineux qu’ils propagent sur antenne déclenchent par la suite des pratiques inquisitoires à l’encontre de leurs collègues. Mustapha Khalifa Mohamed, journaliste de Ghat, insiste d’ailleurs sur la nécessité de faire prendre conscience aux journalistes de ce danger, afin d’éviter tout « esprit de vengeance ». Les organisations internationales et les associations auraient un important rôle à jouer en la matière, selon lui.
à Carences importantes au niveau de la formation initiale et continue
Youssef Aft, journaliste à la Radio Culturelle de Misrate, et Jehan Jazwi, journaliste à Bawabat Al Wassat, soulèvent le problème des intrus au secteur des médias. Ces intrus, ont rejoint pour la plupart le secteur après la révolution et ont dû apprendre le métier sur le tas. Mais ils ont beau être animés des meilleures intentions, il leur manque beaucoup de connaissances de base de la profession. Tous les deux affirment d’ailleurs avoir tiré le meilleur profit de la formation dispensée par le Media Diversity Institute et avoir profité de cette occasion pour dialoguer avec leurs confrères, rencontrer de nouveaux collègues et faire des échanges très enrichissants.
Omar El Keddi, directeur de Bawabat Al Wassat, déplore à son tour ce manque de formation académique et appelle à ce que des organisations internationales forment les journalistes en matière d’autoprotection et de camouflage, notamment tout ce qui touche aux méthodes du cyber-anonymat et aux logiciels anti-censure.
Fatma Ghandour, universitaire et rédacteur en chaf du journal Mayadine, souhaite d’ailleurs voir se généraliser les séminaires de formations assurés par des associations telles que le Media Diversity Institute afin qu’ils profitent au plus grand nombre possible de journalistes, notamment ceux qui travaillent dans des radios ou télévisions locales touchant les populations souvent oubliées des organismes mondiaux. « Cela pourrait, explique-t-elle, remédier aux défauts de formation chez les journalistes ayant pris le train en marche et permettrait surtout de leur inculquer une éthique de la neutralité qui ne peut que profiter à la société libyenne en aidant à promouvoir tolérance et dialogue ».
La question de la neutralité devrait à elle seule selon Jomâa Friwan faire l’objet d’un cycle de formation afin que le journaliste prenne conscience de ses droits et de ses devoirs ainsi que des limites où s’arrête la protection dont il bénéficie en tant que journaliste et qu’il sache où commencent les lignes rouges à ne pas franchir dans la déontologie de sa profession. Cela est d’autant plus important que les médias deviennent, dit-il, « acteurs à part entière dans la guerre qui broie la Libye aujourd’hui ».
M. Bennour conclut que, bien qu’un réseau citoyen, « Moudafiî » (Défenseur), ait été créé pour défendre les droits des journalistes, il reste très difficile de parler d’institutions médiatiques aujourd’hui en Libye. Encore moins d’un syndicat des journalistes, tant il est prioritaire et urgent de parvenir à un consensus politique national qui unifierait le pays et qui aboutirait à une réconciliation nationale. Les efforts de tous les journalistes devraient se conjuguer dans ce sens selon lui.
Quel rôle pour la société civile dans la protection des journalistes ?
àUn organisme gouvernemental : l’exemple de la Municipalité de Benghazi
Selon Mahmoud Rachid Al Kikhia, Président du Conseil Municipal de Benghazi, il est très important de soutenir les efforts de la société civile dans la protection des journalistes, rôle qu’il qualifie de « cinquième pouvoir ». La municipalité de Benghazi en fait l’une de ses priorités en faisant connaître au public l’importance des journalistes dans la société et dans la construction du processus démocratique : « Nous sensibilisons la population au rôle des médias par la distribution de flyers et de prospectus et nous dénonçons systématiquement les violences et les agressions subies par les journalistes. Plus concrètement, nous essayons d’apporter notre soutien matériel aux professionnels de l’information en finançant les institutions médiatiques ou en incitant les hommes d’affaires à le faire ainsi qu’en mettant à leur disposition les locaux nécessaires ».
Un organisme non gouvernemental : l’exemple de l’association « HISN »
Khaïri Abou Chagour, président de l’association « HISN » (Rempart), ancien opposant à Kadhafi et ex réfugié en Tunisie pendant plus de trente ans, est profondément conscient du rôle que peut jouer une information libre et indépendante dans la réussite des révolutions et des processus démocratiques : « Aujourd’hui plus que jamais, les médias ont leur rôle à jouer dans le paysage libyen, notamment avec les derniers revers qu’essuie la transition démocratique libyenne. Certes, ce que nous avons pu réaliser dans l’association HISN en matière de protection des journalistes demeure très insuffisant, étant donné que le système judiciaire libyen n’est pas fonctionnel ni organisé et que beaucoup des procès fait aux journalistes ne parviennent pas jusqu’aux tribunaux, de même que les avocats ne parviennent pas à mener à bien leur travail. Mais nous essayons néanmoins de recenser et de documenter rigoureusement toutes les agressions perpétrées à l’encontre des journalistes, de même que nous menons des campagnes de sensibilisation contre ces violences. Ceci bien entendu lorsque nous parvenons nous-mêmes à échapper aux agressions… Personnellement, j’ai été kidnappé pendant 10 jours par la tribu de Werchfana et je m’estime bien chanceux d’avoir pu éviter une mort que je voyais certaine !! ».
La plupart des intervenants sont d’accord pour constater l’absence de société civile digne de ce nom en Libye. « Les quelques organisations qui existaient avant la révolution, notamment le Syndicat des journalistes, étaient subventionnées par l’état et n’étaient de ce fait pas indépendantes. Il est donc urgent de créer un corps ou un organisme qui regroupe les journalistes et unifie leurs pratiques professionnelles », conclut Khaïri Abou Chagour.
Abdelkader Kadoura : la liberté de la presse dans le projet de constitution
Abdelkader Kadoura, Professeur de droit constitutionnel et membre de la Commission libyenne de Rédaction de la Constitution évoque la difficulté du projet constitutionnel dans son pays qui n’a pas d’expérience précédente en la matière: « La difficulté vient surtout de l’exigence que les lois constitutionnelles soient applicables sur le terrain et qu’elles ne se contentent pas d’exister sur le papier. Pour cela, nous avons besoin, notamment en matière de liberté d’expression et d’opinion, d’une part, d’institutions ou d’organismes dont le rôle est de défendre les droits et les intérêts des personnes et, d’autre part, de lois claires et nettes qui protègent et organisent juridiquement ces droits et ces intérêts. ».
Rejoignant la proposition de M. Ahmed Faïtouri et de bien d’autres intervenants, M Kadoura propose par ailleurs que les journalistes trouvent ce qui les rassemble et s’organisent en associations. « Car, explique-t-il, pour constituer ces organismes ou ces institutions, il faudrait que le travail se fasse à partir de la base et non pas de manière verticale ou parachutée. On a bien vu auparavant que les décisions qui tombent d’en haut ne mènent nulle part. La question est d’éviter les contradictions et de regrouper des éléments homogènes qui s’entendent entre eux et qui peuvent donc être fonctionnels et efficaces immédiatement. Les lois constitutionnelles viendront ensuite garantir les droits de ces groupes organisés. ». Cette idée est d’autant plus importante selon le constitutionnaliste qu’elle crée un tissu associatif civil qui modernise la société libyenne profondément construite sur une logique tribale : « L’information, de même que la protection des professionnels des médias obéiraient de cette manière à des critères civils et non pas religieux ou tribaux », conclut-il.
Omar Belhouchet : Quelles leçons tirer de la décennie noire en Algérie ?
Avec ses 200 mille morts, ses 70 journalistes tués et ses 30 professionnels de l’information abattus de sang froid sous le coup d’une « Fatwa » émise en 1992 par des imams radicalisés, la survie de la presse algérienne à la terreur de la décennie noire est incontestablement un exemple édifiant. Omar Belhouchet, directeur du journal algérien Al Watan résume cette amère expérience : « Nous avons payé un lourd tribu pour défendre la liberté d’expression … Et s’il n’y avait pas eu ces hôtels sécurisés où nous nous sommes barricadés avec nos familles et pour lesquels nous avons milité avec des ONG internationales, il y aurait eu beaucoup plus de victimes… Il faut savoir que nous subissions une double terreur : celle de la fatwa et celle de l’état. Et au moment où on enterrait les journalistes, les autorités usaient de tous les moyens pour réprimer et réduire au silence la liberté de la presse en persécutant les journalistes, en exerçant des chantages fiscaux ou en fermant des journaux. Al Watan par exemple a été fermé à sept reprises! »
àRestez solidaires et continuez à produire de l’information, quoi qu’il arrive !
Omar Belhouchet appelle ses confrères libyens à résister au silence que tente d’imposer la terreur. Selon lui, continuer à produire de l’information est la seule alternative pour survivre à la peur et à la mort : « Si nous tirons aujourd’hui à des centaines de milliers d’exemplaires et que nous sommes lus par nos concitoyens c’est bien parce que nous avons continué à témoigner et à parler lorsque les armes voulaient être seules à se faire entendre, parce que nous avons résisté à la loi su silence ! ».
Cette résistance va de paire selon Belhouchet avec la solidarité et l’esprit de corps : « Lorsqu’en 1993, ils ont commencé à tuer des journalistes, ils n’ont pas fait de tri pour différencier les arabophones des francophones ou les laïcs des non laïcs… L’important est de rester soudés et unis quoi qu’il arrive. C’est le seul moyen de surmonter la peur et de se sentir plus fort ! ».
Fatma Ghandour reprend cette idée et, s’adressant notamment à ses collègues réfugiés en Tunisie, insiste sur l’importance de continuer à faire entendre leur voix de journalistes : « L’essentiel c’est de ne pas se taire, ne pas s’absenter ! C’est très important pour nous-mêmes et pour le monde ! ».
Mutualisez vos médias et défendez votre indépendance
Omar Belhouchet suggère une solution qui a été très efficace pendant la crise algérienne contre l’hégémonie de l’état sur le secteur de l’information et qui pourrait l’être tout autant dans l’état de délabrement des structures et infrastructures dans un pays en état de guerre : la mutualisation du journalisme : « Nous nous entraidions mutuellement pour compresser les dépenses et on imprimait en groupes, ce qui nous a beaucoup aidé à rester indépendants et surtout à distribuer plus et à moindre coût ».
Les propos de Laurent Prieur, formateur au Media Diversity Institute s’inscrivent si bien dans la continuité des leçons que nous propose l’expérience algérienne, que l’on ne peut omettre de les citer: « Notre travail en tant que journalistes c’est d’être pragmatiques. Il importe donc de se demander : pourquoi on est en danger ? Il faut savoir que la liberté d’expression n’est que la partie visible de l’iceberg et que le fond du problème n’est autre que la liberté de pensée. Voilà pourquoi, il faut savoir qu’il est impossible de ne pas être en danger pour un journaliste libre et indépendant et que la meilleure protection pour nous dans ce cas reste celle de la population. Il faut avoir suffisamment de professionnalisme et de crédibilité pour que les citoyens aient confiance en nous et acceptent de nous ouvrir leurs portes. »
Conclusion
Mourad Sellami, rédacteur en chef régional de la plateforme de contenus multimédia Dune-Voices.info, filiale du Media Diversity Institute, a clôturé le débat en affirmant que ce n’est que le début d’un long parcours et en donnant nombre de recommandations :
La nécessité de consolider la liberté d’expression, la culture du dialogue et le respect de la diversité.
L’urgence d’organiser le secteur des médias, étant donné que l’union du corps et son organisation représentent en elles-mêmes une protection des journalistes.
La nécessité de réfléchir à des fondements déontologiques au métier.
L’importance d’appeler la société civile à soutenir ces actions, puisque la liberté des médias et l’indépendance de la justice constituent les principaux garants d’une transition démocratique réussie.
Par ailleurs, étant donnée la profusion des propositions faites autour de ces questions, il a été convenu de mettre en place une structure qui assurerait la continuité du débat, qui veillerait à entretenir les liens établis entre les différents participants et qui envisagerait même de les étendre à d’autres médias et composantes de la société civile.
Le Media Diversity Institute examinerait volontiers la tenue d’une autre conférence pour évaluer l’état d’avancement de ce projet.