Un rapport qui documente, à travers des témoignages recueillis à l’intérieur et à l’extérieur de la Libye, des violations des droits des journalistes libyens entre mi-2012 et novembre 2014. Il s’agit de 91 cas de menaces, 30 cas d’enlèvement/détention arbitraire et 8 homicides volontaires. Une situation qui a obligé nombreux journalistes à chercher refuge ailleurs.
Salma Cha’ab est depuis septembre 2014 la présidente du Syndicat des Journalistes et professionnels des médias de Tripoli. Depuis Tunis, elle raconte son histoire: «Je faisais partie des gens qui appellent à l’instauration de la démocratie en Libye et à barrer la route aux groupes armés. Ce qui a mis en danger ma vie. Car, je recevais des menaces à travers des appels téléphoniques anonymes». Elle ajoute: «Déguisée, j’ai quitté Tripoli, sans préavis ni préparation, pour Zentan, puis Tunis».
«Maintenant, je regrette ma vie qui est toujours en Libye. Je loge ici dans une maison que j’ai louée toute seule. C’est très coûteux, surtout avec la cherté de la vie en Tunisie. Mais, je n’ai pas le choix» précise-t-elle.
Message aux responsables
«La vie des journalistes en cavale est très difficile. L’exercice du métier de journaliste n’est pas rentable pour un libyen résident en Tunisie. Car, les journalistes libyens sont considérés comme étant des ‘sans revenus’» dit Cha’ab avec une amertume à peine voilée. Cet état de faits pousse «des collègues à demander aides et soutiens auprès de l’Ambassade et des responsables libyens, même s’ils n’ont obtenu jusqu’au présent que des promesses et rejets sous prétextes que les moyens ne permettent pas d’agir à leur profit» ajoute-t-elle. «Quant aux institutions internationales» poursuit-elle «elles se contentent d’apporter une assistance morale et de documenter les violations (dont le journaliste est l’objet)».
«En ce qui me concerne, je n’ai sollicité personne. Je vivais sur ce que j’avais épargné. Et comme ça a duré, j’étais obligée de vendre ma voiture pour payer le loyer et survivre» conclut la syndicaliste.
Menaces sur les familles
M.W est journaliste libyen. Il garde l’anonymat pour épargner sa famille résidente à Benghazi. Sa famille aurait reçu plusieurs menaces depuis qu’il a quitté la Libye. Lui, il aurait été menacé plusieurs fois avant de fuir son pays. Son nom figurerait même sur «la liste des soutiens des Kharijites et Frères musulmans». Une liste qu’aurait publiée le groupe «Opération Dignité» dirigé par le général à la retraite Haftar.
«J’ai senti que je ne suis plus en sécurité, lorsque le groupe a chargé un bataillon dénommé ‘régisseurs du sang’ de menacer et chasser, voire liquider, tous les activistes qui s’opposent à l’Opération Dignité» déclare M.W.
M.W aurait quitté Benghazi en novembre 2014 pour Tripoli. Dans la capitale, il aurait logé dans un hôtel modeste «faute de moyens». Pire: «Etant sous écoutes, je ne pouvais pas appeler ma famille qui se trouvait dans les zones de conflits» s’est-il exprimé. Plus tard, il décide de quitter la Libye à la recherche d’une subsistance.
Asile politique
Abdel Matloub As-sarhani est journaliste, activiste et militant des droits de l’homme à Benghazi. Il réside en Tunisie depuis 13 avril 2014. Il aurait quitté Benghazi après avoir été l’objet d’une tentative d’assassinat. Une tentative qui viendrait en réponse à des propos qu’il aurait tenus sur la chaîne américaine Al Hurra. Dans ces propos, il aurait dit que «Les bataillons armés des fondamentalistes ont l’intention de prendre le contrôle sur toute la Libye».
As-sarhani déclare: «J’ai été pris d’assaut à Benghazi, parce que je couvrais une manifestation contre les groupes armés. Ensuite, mon nom était avec le ‘Bureau de repentir’ d’Ansar al-Sharia. Un des membres dudit bureau m’a appelé au téléphone pour me proposer un marché: tu annonces ton repentir solennel et le bureau te garantit de rester sain et sauf. Aussitôt, j’ai décidé de quitter la Libye».
Il ajoute: «Depuis lors, je suis en Tunisie. Je n’ai aucun revenu. Je vis de ce que ma famille réussit à m’envoyer de temps en temps. Dernièrement, j’ai fait connaissance d’un professeur tunisien chez qui je loge contre 258 dollars. Il m’enseigne également l’anglais; car, je réfléchis à émigrer vers un pays occidental. Et malgré mon opposition initiale à l’immigration, je pense que ça risquera d’être une fatalité tant que la situation ne s’améliorera pas en Libye».
Vie menacée et exil difficile
La Journaliste S.A est originaire de Benghazi. Pour des raisons de sécurité, elle préfère garder l’anonymat. Elle est en exil en Egypte depuis juillet 2014, suite à des menaces directes sur sa vie, selon elle. Elle était correspondante de la chaîne satellitaire d’un leader islamiste. On lui reprocherait l’équilibre d’un de ses produits journalistiques. Un leader islamiste aurait publié sur sa page Facebook un communiqué qui la menacerait nommément. Le communiqué aurait été très partagé et commenté. Son directeur l’aurait appelée ensuite pour lui proposer un congé payé en Egypte.
«Arrivée en Egypte avec ma famille, le directeur m’a rappelée pour m’informer de mon licenciement et me conseiller de rester en Libye ; car, je suis très recherchée par des gens qui veulent me liquider. Ainsi, j’étais obligée de rester en Egypte sans préparation ni planification préalables» a-t-elle dit à voix triste.
«Au début, nous consommions ce que nous avions préparé pour le voyage. Ensuite, on a vendu les bijoux de ma mère pour survivre. Surtout qu’entretemps c’était l’hiver. Et octobre 2014 était le mois le plus difficile de toute ma vie» a-t-elle ajouté.
«Après, j’ai commencé à chercher un boulot. Finalement, un média égyptien m’a contacté, m’a proposé un job et j’ai commencé une nouvelle vie en tant que réfugiée. Il se trouve que j’étais déjà fatiguée mentalement et physiquement, à cause de cette nouvelle stature ; mais aussi parce que j’étais entretemps atteinte par une maladie mortelle qui me coûte 1.500 dollars chaque semaine» précise-t-elle.
«Le plus difficile dans cette histoire» a dit la journaliste avec des tentatives vaines de se retenir de pleurer «c’est lorsque j’ai reçu des mauvaises nouvelles faisant état d’assassinats successifs de mes collègues et amis, notamment mon collègue Miftah Abu Zayd».
Promesses d’hommes d’affaires
Le Directeur exécutif de l’association des patrons de la Libye, Al-Mahdi Abdel-Ati, annonce que «les hommes d’affaires libyens et leurs homologues tunisiens ont tenu, il y a quelques jours, une réunion au cours de laquelle on a évoqué les problèmes des réfugiés, notamment les journalistes». Abdel-Ati a ajouté qu’«il y a des contacts individuels et non officiels avec des journalistes réfugiés, (et que) ce sujet sera à la tête de nos priorités lors de notre prochaine réunion».
«Le côté financier de la problématique est à l’ordre du jour du Congrès international des Hommes d’affaires prévu en mars 2015 à Bruxelles. Il est question alors de constituer une cellule de crise propre aux journalistes. Notamment, une attention particulière doit être accordée aux écrivains nationaux courageux qui bénéficieront de projets socio-économiques».