Tels sont les différents aspects du paysage médiatique libyen tourmenté par un conflit politique sans merci et une absence totale d’institutions régulatrices au sein du secteur. Tout cela s’ajoute aux contraintes subies par les journalistes qui ne savent plus s’ils doivent se ranger du côté d’une puissance qui les protège en échange d’une propagande zélée, s’il doivent plutôt céder à la passivité et à la peur en traitant les sujets critiques afin d’éviter le triste sort que d’autres collègues ont eu avant eux ou encore s’ils doivent s’exiler et se contenter de décrire de loin les événements qui se déroulent dans le pays…
Le journaliste Ahmed Cherif, explique que la souffrance qu’il a endurée à cause de l’instabilité politique de sa ville Benghazi, ainsi que l’incessante persécution des journalistes par ceux qu’il appelle "les chauves-souris de l’obscurité" l’ont poussé à loger dans une maison qui n’est pas la sienne et à vivre sur une terre qui n’est pas la sienne afin d’avoir la vie sauve et d’échapper aux ennemis de la vérité et de la parole libre.
Fadoua Kamel, Journaliste également, considère quant à elle que la presse libyenne est ballotée par les conflits et les affrontements et qu’elle se fait discrète au point même de s’éclipser totalement ou presque par crainte des représailles et des menaces de mort souvent reçues par les différentes parties en conflit.
Fadoua affirme également que la plupart des journalistes rêvent de pouvoir un jour laisser derrière eux cette réalité dangereuse en construisant un état solide capable de faire respecter les libertés, notamment celles de penser et de s’exprimer. Cette opinion est celle également du journaliste Mansour Âati qui ajoute que la presse post révolutionnaire avait commencé à tâtons sur le chemin de l’indépendance et qu’elle était demeurée timide sans parvenir à aller plus loin sur ce chemin.
Toutefois, ces prémisses d’indépendance n’ont pas duré longtemps, selon Mansour Âati. En effet, la précarité de la presse indépendante a très vite été exploitée par des personnalités politiques et des barons du monde des affaires. Ces derniers ont fait de cette presse une partie prenante dans le conflit politique et dans les scissions partisanes et régionales, de sorte qu’elle ne diffère plus en rien de la presse officielle. C’est d’ailleurs ce qui a permis qu’elle soit volontiers accusée de corruption, de clientélisme et de partialité idéologique.
Notre source pense également que, d’une manière générale, la presse souffre d’un enlisement qui est dû à plusieurs facteurs dont l’absence de visibilité claire, le manque de ressources et de savoir-faire en matière de recherche de financements, l’inexistence d’une charte déontologique dans la profession, ainsi que la perte de la confiance des citoyens. C’est d’ailleurs ce que pense aussi le journaliste Mohamed Badr qui considère que le fond du problème consiste à ne pas respecter les règles de l’éthique professionnelle. Il explique par ailleurs que chacun des médias travaille à mettre en valeur le message qu’il souhaite faire passer en ayant pour unique souci de réaliser un scoop ou un buzz médiatique sans aucun égard pour les normes et l’éthique professionnelles.
Par ailleurs, le paysage médiatique libyen connaît un autre phénomène qui consiste dans le fait, que lorsqu’un journaliste se conforme à la ligne éditoriale de l’institution médiatique dans laquelle il travaille, il est systématiquement considéré comme traître par ceux qui ne sont pas en accord avec cette ligne, ce qui le place immédiatement en ligne de mire et l’expose aux menaces de meurtre et à l’exil forcé.
Cette situation a poussé certains à observer le silence afin d’avoir la vie sauve et pour éviter d’être la cible de l’une ou de l’autre des parties en conflit. Mohamed Badr cite en cela l’exemple du journaliste Ezeddine Al Hassade, un des martyres de l’expression libre qui avait toujours appelé dans l’émission qu’il animait à la tolérance, à la modération, à la non violence et au rejet de toutes les formes d’extrémisme mais qui, paradoxalement, n’a eu pour toute récompense que des balles traîtres et meurtrières qui ont mis fin à sa vie.