De grands tiraillements caractérisent en ce moment la scène libyenne. La tension monte à Tripoli avec l’annonce de l’information que Fayez Sarraj, le chef du gouvernement de coalition nationale, va entrer bientôt à Tripoli. La tension est d’autant plus pesante qu’il est clair que la communauté internationale appuie Sarraj malgré les réserves locales. Il y a une quasi-conviction chez les locaux que Kobler veut imposer Sarraj sans l'accord du parlement de Toubrouk.
" Nous avons déjà convenu avec la Direction de sécurité de Tripoli sur la mobilisation d'une unité de l'armée et un régiment de police pour protéger le gouvernement à Tripoli ", a récemment dit Sarraj à la sortie de sa rencontre avec le chef du gouvernement tunisien, Habib Essid, à Tunis. " La mission du comité des arrangements sécuritaires prend fin avec l'entrée du gouvernement à Tripoli ", a-t-il ajouté. Le chef du gouvernement de réconciliation libyenne parle d’un ton convaincu.
Sarraj veut donc entrer à Tripoli, avec le soutien de la communauté internationale, malgré le refus d'une bonne partie des belligérants libyens de cette démarche, aussi bien à l'Est qu'à l'Ouest libyen. À l'Est, le parlement de Toubrouk refuse d'entériner ce gouvernement Sarraj, avant l'amendement de l'accord de Sekhirat concernant la nomination de l'Etat-Major de l'armée. C'est le parlement qui a désigné le Général Haftar à la tête de l'armée. Le parlement veut garder ces prérogatives et préserver la hiérarchie militaire comme elle se présente aujourd'hui.
À l'Ouest, le gouvernement de Khalifa Ghouayl, issu du Congrès national général (CNG), refuse l'accord de Sekhirat et se considère la seule autorité légitime en Libye. Ghouayl est soutenu par le Président du CNG, Nouri Bousahmine, et quelques leaders de milices comme Salah Badi, originaire de Misrate. Par contre, plusieurs autres forces, à Tripoli et Misrate, sont favorables à l'entrée du Gouvernement Sarraj à Tripoli, comme le Président nommé du Conseil de l'Etat, Abderrahmane Souihli. Il y a eu même, à Misrate, des manifestations en soutien à Sarraj.
" Ce sont surtout les Frères musulmans, leur Parti de la Justice et de la Construction (PJC) et la ville de Misrate qui sont favorables à cette démarche, dans la mesure qu'ils sont fortement représentés dans le gouvernement de Sarraj", explique le politologue libyen Ezzeddine Aguil, qui considère que la partie n'est pas encore gagnée pour Sarraj et Kobler. Aguil s'interroge par ailleurs sur la réaction de Abdelhakim Belhaj : " le patron du parti El Watan, qui est également le chef d'une forte milice qui domine l'aéroport et la base militaire de Myitiga à Tripoli, a co-signé la semaine dernière un mémorandum contre le gouvernement Sarraj avec des personnalités comme Mahmoud Jibril, le Président de l'Alliance des forces nationales et ancien chef du gouvernement provisoire".
Pour expliquer son soutien à l'entrée de Sarraj à Tripoli malgré la non-application des clauses de l'accord de Sekhirat, dont notamment l'obtention de la confiance du parlement de Toubrouk, Kobler dit qu'il ne s'agit pas de vérifier les papiers d'une ambulance qui va intervenir en situation d'urgence. " Il s'agit surtout d'organiser les forces qui vont s'opposer à l'avancée de Daech en Libye", insiste Kobler, pour qui l’accord du parlement n’est pas nécessaire. Laquelle affirmation a suscité l'interrogation du politologue Aguil : " Est-ce que la politique du fait accompli et l'utilisation de milices pour protéger le gouvernement Sarraj est la bonne solution pour légitimer ce gouvernement en Libye, si on veut qu’il obtienne l’adhésion populaire ?".
La démarche entreprise par Sarraj et Kobler est contestée par les forces politiques et militaires de l'Est libyen, notamment à Benghazi. Ce rejet s'est renforcé après les victoires enregistrées durant les mois de février et de mars par les troupes du Général Haftar contre les forces de Daech et de Fajr Libya à Benghazi, qui vit une ambiance de nouvelle libération. " Les milices de Daech et de majliss Choura Benghazi sont encerclées dans trois petites enclaves au quartier de Sabri (marché de poissons), Gaouarcha et l'usine de ciment", rapporte des citoyens à l’Agence dune-voices, présente sur le terrain à Benghazi.
D'autres informations en provenance de l'Est libyen, et parvenues à Dune-voices, disent que Haftar est en train de monter une force militaire pour libérer Syrte. Un appel est adressé à d'anciens soldats de toutes les régions libyennes pour faire partie de ce régiment. " Haftar est déjà incontournable en Libye. S'il parvient à attaquer Syrte, il deviendra l'homme de la nouvelle libération", pense le politologue Ezzeddine Aguil. Mais, s'interroge-t-il, en a-t-il les moyens ?
Il est donc très clair que la situation libyenne continue à être confuse concernant le gouvernement Sarraj. Toutefois, l’opinion internationale officielle ne voit pas les choses de cette manière. «L’Italie est prête à guider en Libye une coalition de pays de la région, européens et d’Afrique du Nord, pour arrêter la progression du califat, qui est parvenu à 350 kilomètres de nos côtes», a affirmé, dimanche, la ministre italienne de la Défense Roberta Pinotti.
Même chose du côté de l’Allemagne. « Le gouvernement allemand soutiendra les autorités libyennes dans leur lutte contre les terroristes de l'Etat islamique (EI, Daech) », a déclaré la ministre fédérale de la Défense Ursula von der Leyen dans une interview accordée au quotidien allemand Bild. Et d'ajouter que ce gouvernement nécessiterait aussi un appui pour combattre Daech, qui menace la Libye.
Mais, les Libyens et les pays voisins de la Libye, notamment l’Algérie, l’Egypte et la Tunisie ont peur des conséquences d’une telle intervention. « Les Libyens ne veulent surtout pas un remake de L’intervention de 2011 qui a plongé leur pays dans le chaos », insiste le politologue Ezzeddine Aguil.
La situation demeure donc très confuse en Libye.