L’arrivée de Paolo Serra, conseiller en sécurité de la mission onusienne en Libye, à l’aéroport international de Miitiga, à Tripoli, a multiplié les craintes des Libyens quant à une implication militaire de l’ONU en Libye. Le nom de Serra, chargé par l’ONU du dossier sécuritaire en Libye, a toujours été associé à des déclarations de presse de la part de la ministre de la Défense italienne et de son homologue allemande, évoquant la nécessité d’une intervention étrangère en Libye dans les plus brefs délais.
« Nous soutenons le gouvernement d’union nationale parce que nous en avons marre des divisions et des luttes intestines, mais nous sommes contre une intervention militaire étrangère en Libye… L’intervention de 2011 n’a servi en rien le citoyen lambda » assure Mabrouka Tarhouni, une cinquantenaire, mère au foyer de Benghazi qui avait perdu son mari pendant la guerre de 2011 et vient de perdre son fils dans les combats du quartier Al Leithi.
Pour l’analyste politique libyen, Ezzeddine Aguil, la conjoncture est ponctuée de prudence. « Les protagonistes se contentent, pour le moment, de tâter le terrain. Al Sarraj, lui, doit consolider son assise en élargissant le cercle de ses adeptes au-delà de Misrata et des groupes armés de Tripoli. Son gouvernement doit refléter un réel consensus national contre le terrorisme » affirme-t-il.
Le voisinage également préoccupé
Dans le voisinage de la Libye, la préoccupation est, également de mise, d’autant plus que plusieurs pays occidentaux ne cessent, en concertation avec l’OTAN, de se déclarer prêts à frapper Daech en plein cœur de la Libye, ce qui constituera la deuxième opération du genre après celle de 2011, durant laquelle l’OTAN et la coalition internationale avaient bombardé les villes libyennes, ouvrant la porte devant la prolifération des armes et la propagation des milices et des groupes terroristes.
« L’intervention de 2011 est la cause indirecte du renforcement des groupes terroristes qui avaient tiré leur force du chaos sécuritaire en place, et avaient ainsi tissé leur toile grâce au soutien financier de certaines parties. C’est le cas à Syrte, où Daech contrôle le port et l’aéroport. Une éventuelle intervention aura des répercussions sur l’avenir des pays voisins et celui de la région toute entière » affirme pour sa part le journaliste libyen, Abdelbasset Ben Hamel. Et d’ajouter : « la position géographique de la Libye fait d’elle une plaque tournante de prolifération d’armes et un terrain fertile pour les milices les groupes terroristes, notamment Daech… Et la fragilité de ses frontières permet à ce chaos sécuritaires de faire tache d’huile, ce qui menace toute la région ».
De son côté, Hamid Yess, journaliste au quotidien algérien Al Khabar, estime qu’une éventuelle intervention étrangère en Libye aura de graves répercussions sur l’Algérie. « C’est l’Algérie en premier lieu qui aura à assumer les retombées d’une telle opération… N’oublions pas qu’en 2011, ce sont l’Algérie et la Tunisie qui avaient payé les pots cassés de l’intervention de l’OTAN en Libye. En témoignent les arsenaux d’armes et de terroristes qui continuent toujours de passer les frontières libyennes pour atterrir en Algérie, selon les rapports même du ministère algérien de la Défense. Il est clair qu’en cas d’intervention étrangère en Libye, l’Algérie aura perdu sa bataille diplomatique pour empêcher un tel scénario… Malheureusement, dans l’équation libyenne, le maillon faible, c’est l’Algérie » déclare-t-il.
Dans le même contexte, le chercheur en relations internationales, Mansour Gdidir, explique l’attachement de l’Algérie à une solution diplomatique en Libye. « Il y a quatre raisons derrière ce choix, qui sont la difficulté de contrôler des milliers de kilomètres de frontières, la présence des groupes terroristes en Libye, la fragilité de la situation politique en Algérie même et le rôle secondaire auquel se limitera l’Algérie lors d’une telle intervention… Alger est consciente qu’elle aura à gérer l’après intervention » note-t-il.
Soleiman Chénine, directeur du centre d’études Al Raed, estime, quant à lui, que « l’approche algérienne en Libye se base essentiellement sur l’accompagnement des frères libyens sur la voie d’un règlement politique ». Il poursuit : « L’Algérie ne trouve aucune justification à une telle opération militaire, d’autant plus que les interventions étrangères dans d’autres pays tels que l’Irak, la Syrie ou le Mali se sont avérées infructueuses voire désastreuses. Pour ceci, l’Algérie tient à convaincre les puissances internationales d’encourager les Libyens à combler les lacunes, à accélérer la création des forces sécuritaires, à mettre en œuvre le fusionnement des milices reconnues par la communauté internationale et à mobiliser tout le monde contre Daech » . Et de conclure : « l’Algérie s’est toujours opposée à une intervention étrangère en Libye et continue de le faire… Ceci ne nuit en rien à sa position de principe stipulant de coopérer avec toutes les forces pour lutter contre le terrorisme… L’Algérie est intransigeante à ce niveau ».
L’équation difficile en Tunisie
En Tunisie, l’opinion publique tend à refuser toute intervention étrangère en Libye, craignant l’effet domino d’un éventuel pourrissement de la situation sécuritaire. En même temps, les Tunisiens se trouvent face à un dilemme. D’un côté, ils souhaitent l’élimination des groupes terroristes en Libye et de l’autre, ils soupçonnent les puissances internationales de mijoter quelque chose sous la couverture de la guerre contre le terrorisme. Les Tunisiens appréhendent également les répercussions sécuritaires et économiques d’une telle intervention sur la Tunisie, surtout que le pays traverse déjà une crise financière et que des milliers de combattants tunisiens embrigadés dans les rangs des formations terroristes en Libye pourraient fuir vers la Tunisie en cas d’éventuelle guerre. Les Tunisiens craignent, d’ailleurs, que le raid de Sabrata de février dernier ne soit le prélude d’une vaste opération à l’instar de l’intervention américaine en Irak.
A noter que le ministère tunisien des Affaires étrangères a décidé la réouverture des représentations diplomatiques à Tripoli, « dans le cadre du renforcement du processus politique en Libye et la consolidation du consensus entre les frères libyens », sans pour autant fixer de date.
En attendant de voir l’évolution des évènements, c’est le flou total qui règne en Libye…