Dans le quartier d’Al Lithi à Benghazi, demeuré pendant une année sous le contrôle des terroristes de DAECH et de leurs alliés, Hayet, femme au foyer, accepte de nous parler. Elle dit : « A cause de la guerre menée, depuis Mai 2014 contre le terrorisme dans l’est de la Libye, les habitants de Benghazi craignent pour leur vie à chaque déplacement qu’ils ont à faire à l’intérieur ou à l’extérieur de la ville. C’est très embêtant pour tout le monde, qu’il s’agisse de malades, de citoyens ordinaires allant faire leurs courses ou même de n’importe quel autre déplacement… ».
Toujours dans l’est de la Libye, mais cette fois dans la ville d’Ajdabia, à 250 kilomètres à l’ouest de Benghazi, un des habitants résume la situation en affirmant au micro du correspondant de Dunes Voices : « La situation peut vous sembler calme dans la ville mais elle pourrait exploser à n’importe quel moment pour que tombent plusieurs victimes de tous les côtés, et surtout parmi les civils… Les équilibres sont précaires à l’intérieur d’Ajdabia et la situation sécuritaire est loin d’être stable. C’est le citoyen lambda qui en fait les frais au prix de sa vie, simplement pour être passé du mauvais endroit au mauvais moment… ».
Mais l’instabilité n’est pas une exclusivité de l’est libyen. C’est du moins ce que nous fait entendre cette autre voix venue d’Oubari, cette ville du sud-ouest célèbre par son calme et par la bonté de ses habitants : « Le calme a fait place au son des tirs qui fusent de toute part et c’est le citoyen simple qui en paye le prix… ».
Ahmed est un autre jeune homme des environs d’Oubari qui a perdu la vie dans un échange de tirs entre les Tebou et les Touaregs de la région. Il partait attraper un taxi pour se rendre auprès de sa mère qui se faisait soigner à Tripoli. C’est son frère Jamel qui nous a raconté ce qui lui était arrivé.
A Gemil, dans le nord-est de la Libye, non loin des frontières avec la Tunisie, cinq personnes ont perdu la vie à cause d’un obus tombé sur leur véhicule et qui l’a complètement anéanti. Gemil n’est pourtant pas connue pour être le théâtre d’affrontements, de même que la zone est généralement paisible ; mais il arrive que certains groupes armés en arrivent à porter les armes les uns contre les autres pour se disputer les taxes provenant des postes frontaliers. Ibrahim qui vend de la devise au bord de la route nous dit à ce propos : « D’une manière générale, la situation est calme mais elle peut exploser en moins d’un quart d’heure car les collines voisines de la ville sont aux mains de factions adverses et c’est le citoyen qui n’a pourtant rien à voir avec tout cela qui doit règler la facture des escalades à la fin ».
En effet, selon les rapports des mass-médias, l’estimation du nombre total des victimes tombées durant cette période dépasserait les 4200 personnes, décédées du fait de la dégénérescence grave que ne cesse de connaitre la situation sécuritaire durant les deux dernières années, en particulier depuis l’éclatement de combats de large envergure à Benghazi, à Derna, à Ajdabia, à Sabratha, à Oubari et même aux alentours de Tripoli.
Plusieurs groupes armés, notamment les extrémistes de Benghazi, ont procédé sciemment à des bombardements aveugles visant les quartiers résidentiels et à des liquidations systématiques de civils désarmés, sans compter les menaces de mort et les assassinats ayant pour cibles des personnalités politiques, des journalistes, des militants de la société civile ainsi que leurs familles. Ces milices ont également détruit l’infrastructure et les services diplomatiques. D’innombrables citoyens ordinaires ont également été tués ou poussés à l’exil.
D’autre part, s’il est vrai que la déclaration constitutionnelle, qui tient lieu de constitution en Libye pendant cette phase transitoire garantit aux citoyens le droit de réclamer justice auprès du système judiciaire, force est de constater que ce système n’a pas encore repris ses forces depuis la chute de Kadhafi et qu’il n’a toujours pas les prérogatives nécessaires de trouver des réparations civiles aux citoyens, notamment en ce qui concerne les atteintes aux droits de l’homme. Cela est dû au fait que le code de la justice transitionnelle pouvant ordonner les enquêtes, la recherche de la vérité et le retour des victimes dans leur patrie, n’a toujours pas paru. Ainsi, la loi n’est plus appliquée et les procès civils deviennent de plus en plus difficiles, d’autant plus qu’il n’existe plus de tribunaux fonctionnels à Benghazi, à Derna ni à Sirte, que ceux de Tripoli ne traitent qu’un nombre infime d’affaires et que les plus grands magistrats du pays, ainsi que les membres de la police judiciaires, ne cessent de recevoir des menaces de mort.
Telle est donc la situation en Libye aujourd’hui : le chaos règne partout, l’état est absent et le droit inexistant. Quant aux citoyens, ils vivent dans une peur continue pour leurs vies.