« Il est vrai que la Libye abrite des camps d’entrainement de groupes terroristes, notamment à l’Ouest. Les camps de Sabratha et Derna sont connus depuis 2011 », remarque le politologue Ezzeddine Aguil. Il attire l’attention sur le fait que « ce sont les partis liés à l’Islam politique, notamment les frères musulmans de Misrate, la Jamaâ Moukatila de Abdelhakim Belhaj et Ansar Chariaâ, qui ont encouragé cette orientation ». « Une telle situation a eu un impact direct sur la Tunisie dont la situation sécuritaire était encore fragile après la chute de Ben Ali », souligne le politologue.
Malgré les efforts des gouvernements successifs en Tunisie depuis 2011, ils n’étaient pas en mesure d’empêcher le trafic des armes à travers les frontières, notamment les armes légères. Tout le monde se rappelle comment, pratiquement chaque jour, les garde-frontières saisissaient plusieurs voitures avec des pistolets ou des fusils d’assaut du type AK-47. Mais, étant donné le nombre élevé de réfugiés qui passaient les frontières de Ras Jedir et Dhehiba, (2 000 en moyenne, mais jusqu’à 4 000 par jour), et la nature informelle des contrôles effectués à la frontière, il est très probable que des quantités importantes d’armes à feu soient entrées en Tunisie à cette époque. Toutefois, il est également probable que nombre des armes aient par la suite été rendues à leurs propriétaires en Libye. En règle générale, les Libyens avaient tendance à voyager armés et il est raisonnable de supposer que l’importation initiale et la réexportation résultaient de cette tendance plutôt que d’une tentative de contrebande manifeste.
Vu sous cet angle, le trafic d’armes s’est développé depuis 2011 et il est, peut-être, encore-là, bien que l’ampleur exacte du problème soit difficile à évaluer. En Tunisie, les armes à feu sont un sujet tabou et on ne les trouve donc pas sur le marché. Ce qui est également le cas en Libye depuis mi-2013. Ce tabou explique en partie la rareté relative des incidents de violence armée dans le pays. En dehors des contrebandiers et des cartels impliqués dans ce trafic, les entités armées sont très rares en Tunisie. Le trafic et le commerce des armes à feu se pratiquent dans des cercles fermés uniquement, à l’abri des regards du public. « En outre, la cohésion tribale est forte dans les cercles de la contrebande et a pour effet de limiter la capacité des pouvoirs publics de pénétrer les réseaux de trafiquants », note le politologue Aguil.
Aguil relève également que « la plupart des armes qui sont entrées en Tunisie pendant le conflit libyen ont été acheminées par les membres des troupes loyalistes de Khadafi qui ont quitté la Lybie pour assurer la sécurité de leurs familles. Ils avaient à la fois accès à des armes et besoin d’argent, soit pour aider leurs familles en Tunisie, soit pour financer le voyage vers un troisième pays. Ce n’était un secret pour personne sur les frontières que les réseaux de contrebande, à Ben Guerdane surtout, en ont tiré parti et ont accumulé des stocks considérables d’armes en rapport avec ce réseau.
Le politologue tunisien Slaheddine Jourchi explique que « les armes à feu sont également entrées en Tunisie à travers les combattants ‘jihadistes’ tunisiens, qui soutenaient certaines milices en Libye. Les armes de ces derniers ont causé pas mal de troubles et sont derrières beaucoup d’actions terroristes à travers le pays depuis 2013 ».
Après la révolution libyenne, le sentiment d’insécurité des Tunisiens s’est renforcé, principalement en raison de l’émergence de petits groupes de terroristes d’inspiration religieuse. Les maquis de Chaâmbi (Kasserine), Ouergha (le Kef), les assassinats politiques de 2013 (Belaïd et Brahmi) ainsi que les attaques terroristes le confirment. Le gouvernement tunisien essaie de lutter contre ce fléau. La population et la société civile aident. Mais, vu le chaos libyen, la situation est encore très précaire.