Il suffit de faire le tour de la ville de Zouara pour se convaincre que le nombre d’Africains circulant dans la ville dépasse de loin la main d’œuvre dont elle a besoin, surtout en temps de guerre. Le commerce et le bâtiment n’étant pas à leur apogée. Mais, ce constat s’absorbe rapidement en s’adressant aux concernés. « Je suis ici parce que c’est l’endroit indiqué pour traverser la Méditerranée vers l’Italie », explique Moussa, un Malien de 23 ans, originaire de Gao, au Nord du Mali. Les mêmes propos sont repris par Jakob, un Camerounais de 28 ans, qui a passé dix-huit mois pour arriver à Zouara. Il a été même arrêté pendant trois mois au Niger, avant de prendre la fuite, en corrompant le gardien. Il lui a fallu travailler pendant six mois à Lomé, pour ramasser un peu d’argent pour venir en Libye. Moussa et Jakob ont accepté de se livrer à Dune-voices.info.
Le Malien Moussa dit avoir beaucoup réfléchi, avant d’opter pour la solution libyenne. « On m’a également proposé la filière mauritanienne, qui transite par Nouadhibou, sur les frontières entre la Mauritanie et le Sahara Occidental, pour aller ensuite aux Iles Canaries, donc en territoire espagnol », précise-t-il. Des amis lui ont conseillé d’aller en Libye. « Ils sont à Nouadhibou depuis bientôt deux ans, sans pouvoir s’embarquer en Espagne », dit Moussa avec regret. Pour lui, il pense pouvoir embarquer bientôt vers l’Italie. Il lui suffit de ramasser les 2000 Dinars libyens (1.000 Euros), exigés par les passeurs pour la traversée.
Jakob, le Camerounais, explique comment ça se passe pour organiser la traversée. « Comme la ville de Zouara dispose d’un port de pêche, où il y a de vieux chalutiers destinés à la casse, les passeurs contactent l’un des propriétaires de ces chalutiers hors-service pour l’acheter. Certains squattent carrément la coque. Ensuite, ce chalutier est emmené à un atelier, faisant office de chantier naval où on lui installe un moteur d’occasion, en mesure de lui assurer sa dernière traversée. C’est ce qu’ils prétendent, du moins. L’essentiel, c’est qu’il quitte les eaux libyennes et s’approche du littoral italien », raconte-t-il.
A notre question sur la nationalité des passeurs et de leur réseau. Jakob précise que Les mécanos et les marins sont soit Tunisiens ou Egyptiens, alors que les passeurs sont plutôt Libyens. Pour lui, la situation de guerre en Libye, fait que « la communauté internationale tend la main à cette communauté africaine qui risque même d’être tuée par Daech ».
A travers les propos des Africains de Zouara et d’autres sources en Libye, il est clair qu’il n’y a pas d’Etat, ni de patrouilles marines. « Les quelques vedettes sillonnant la mer ne s’intéressent nullement aux embarcations d’émigrés. Mais, plutôt, aux navires transportant des armes ou du pétrole », souligne l’ex-membre du Conseil national de transition, Mansour Younes. « Seul l’argent intéresse les milices », insiste-t-il.
En lui répliquant que l’émigration clandestine rapporte gros, elle aussi. L’universitaire minimise le rapport financier en expliquant l’existence de plusieurs intervenants dans ce circuit. « Il y a le navire à acheter et réparer. Il y a les intermédiaires entre les émigrés et les passeurs. Il y a d’autres sommes à payer aux mécanos, patrouilleurs en mer, marins, etc. Il y a de l’argent à gagner. Mais ce ne sont pas les grandes fortunes rapportées par les armes », indique Mansour Younes, qui ne voit pas de solution autre que le retour de l’Etat « Invraisemblable pour le moment », ou que « la communauté internationale mette des patrouilles pour contrôler le départ de ces navires à partir des ports libyens, ce qui est compliqué, vu les intérêts divergents de la communauté internationale sur la question libyenne ».
Plusieurs centaines de victimes ont été certes enregistrées dernièrement au détroit de Sicile en Méditerranée. Mais, tant qu’il n’y a pas de solution à la crise libyenne, les navires, partant de Libye, continuent à traverser et chavirer, avec leurs passagers clandestins, subsahariens, pour la plupart.