L’application de la fatwa a déçu beaucoup de femmes libyennes. Celles-ci y voient un retour sur les acquis réalisés par la femme libyenne. Elles la placent même au rang de la violation des droits fondamentaux de l’homme.
La journaliste de Tripoli, Salma Madani, dénonce l’application de cette décision. Une décision qui constitue, selon elle, un retour à l’ère des harems. Madani déclare que «le droit de voyage de la femme est garanti par la loi ; car, elle est un être humain qui jouit des mêmes droits que l’homme. Nous avons été surpris par ces lois obscurantistes qui veulent réduire les femmes en esclaves et nous ramener à l’ère des harems». «Quand on convient que toute femme est, forcément, démunie en matières de raison et de religion, il est tout à fait normal qu’on lui interdit de voyager sans mahram. Et tout cela constitue une suppression pure et simple de tous les acquis que la femme libyenne a obtenus, suite à une lutte acharnée» poursuit-elle.
La journaliste de radios Fatma Ghandour va plus loin: «Je ne parlerai pas de la liberté individuelle, ni de droits du citoyen, ni des droits de l’homme. Je vais juste suivre les arguments que les théologiens avancent pour justifier cette interdiction. Ils disent que si la femme voyage seule, elle commettrait le péché ! Si on admet que la femme ne mérite pas la confiance ; cela devrait interdire à l’homme de voyager pour ne pas la pousser à faire le péché avec lui» a-t-elle dit.
L’interprétation des textes religieux doit être basée, selon Fatma, sur l’ouverture et la facilité. Quand la religion parle de mahram, ça concerne la société arabe dans laquelle même l’homme a peur de voyager seul dans le Sahara à cause des brigands et des risques qui menacent à la fois la vie de l’homme et celle de la femme, poursuit-elle. Ghandour conclut: «Les expériences civiles et le mode de vie moderne ont renforcé le sens de responsabilité chez l’être humain. Il vaut mieux assurer une éducation morale à nos enfants qu’interdire à une femme de sortir seule».
Quant à Fadwa Kamel, femme journaliste de Zouara, elle ne voit aucune injustice faite à la femme dans la décision: «Il s’agit d’une fatwa et, en tant que telle, elle ne peut qu’être protectrice de la femme contre les risques qu’elle aurait rencontrés si elle voyage seule» a-t-elle dit. «Personnellement, je ne vois pas de contrainte dans cette décision» poursuit-elle. En revanche, martèle-t-elle, je préfère voyager avec un mahram ; car, notre société est conservatrice et avec la présence du mahram, je sens que je suis plus en sécurité. Et puis, les fatwas sont fermes là-dessus pour les intérêts de la femme.
Sa compatriote, Leïla Al-Mougheïribi, écrivaine libyenne, de Tripoli, n’est pas du tout de cet avis. Elle déclare: «je suis extrêmement indignée. Car, aucune autorité ou Loi ne peut m’empêcher de circuler librement. Je suis majeure et responsable de mes actes. Et puis, les lois en vigueur n’interdisent pas qu’une femme voyage seule. Ceux qui imposent cette interdiction sont des groupes qui n’ont d’autorités que le control de l’aéroport. Quant à l’institution des fatwas, elle n’a pas à imposer une loi ; car, son rôle se limite à donner des conseils. Même ses fatwas ne portent pas la force d’une loi, mais juste des avis que le musulman est libre de suivre ou pas. En plus, les jurisconsultes éclairés autorisent le voyage de la femme seule».
Hanine Al Bar’assi, de Benghazi, parle, elle, des préjudices de cette décision: «Je suis opposée à cette interdiction arbitraire qui entrave la femme et handicape son progrès, par le biais de cette tutelle imposée». «Il y a» ajoute-t-elle «beaucoup de jeunes filles qui veulent –par exemple- compléter leurs études à l’extérieur, mais qui ne disposent pas de mahrams pour les accompagner ; car, leurs pères et frères sont soit décédés soit occupés ; celles-ci risqueront de voir leurs études arrêtées» précise-t-elle. Al Bar’assi souligne que «cette interdiction constitue une violation des droits de l’homme et du principe de la parité. Or, la femme qui voyage seule a plus de chance pour être plus responsable et avoir plus de confiance en soi». Elle conclut «le voyage de la femme entre dans le cadre de la liberté individuelle et aucune loi ne doit le limiter».
Pour la jeune S.T, étudiante fraichement diplômée, le problème est autre. Son passeport a été saisi à l’aéroport de Myitiga. Le responsable de sécurité de l’aéroport la suspecte de vouloir voyager en Syrie, en réponse à l’incitation au «djihad du sexe». S.T n’a trouvé aucune autorité compétente capable de lui remettre son passeport.
Rappelons que l’aéroport de Myitiga constitue le seul débouché de la capitale sur le monde. L’Aéroport international de Tripoli a été détruit pendant la guerre.