Rebiana abrite près de 4000 personnes, Tebou pour la plupart. Ces tribus souffrent de la marginalisation et se trouvent privées depuis très longtemps des nécessités les plus élémentaires de la vie.
Les difficultés commencent dès qu’on essaye de se rendre dans la ville. Il n’existe pas de voie goudronnée et la route est très difficile à pratiquer au milieu des dunes de sable reliées entre elles à l’infini. Pour traverser cette étendue de désert à partir de la ville de Kofra, il faut être à bord d’un véhicule 4X4. Et au fur et à mesure qu’on approche, les reliefs de l’endroit se précisent: un ensemble de constructions éparpillées ça et là au milieu d’un calme plat qui feutre les lieux.
L’on est saisi de stupeur par ce paysage tout juste sorti du moyen-âge et où les maisons sont faites de boue, de pierre et de paille. On a beau tourner le regard à droite et à gauche, rien ne dit qu’on se trouve dans une région située au cœur d’un pays pétrolier aux richesses naturelles infinies, malgré son peuple pauvre.
Ce sont les sourires des habitants qui nous sortent un peu de cette stupeur. En effet, partout où l’on va, on est chaleureusement accueilli par ces gens portés par l’espoir de voir transmettre leurs voix au-delà des dunes qui les encerclent et animés du rêve de pourvoir quitter cette souffrance pour rejoindre enfin le vingt et unième siècle.
En me promenant dans la région, je n’ai trouvé qu’une seule et unique école où les cours se répartissent sur trois séances par jour. L’école compte neuf salles de classe. Pourtant, elle ne parvient pas à accueillir la totalité des élèves dont le nombre ne cesse de grandir. Il existe également un manque d’instituteurs, puisque l’école ne compte que 12 enseignants seulement, tous originaires de la région.
L’école assure l’éducation des enfants jusqu’au collège. Pour l’enseignement secondaire, seule la filière scientifique est disponible ; les élèves qui souhaitent choisir d’autres filières se trouvent donc obligés de poursuivre leurs études dans la ville de Kofra. Et étant donnée l’absence d’internat dans cette ville et l’impraticabilité des routes, beaucoup d’élèves se trouvent finalement contraints d’abandonner l’école.
Je suis abordé par un groupe d’enfants qui se sont mis, chacun à sa manière, à me faire part de leur rêve : celui qu’ils partagent tous et qui est de poursuivre leurs études pour pouvoir contribuer à l’amélioration des conditions de vie dans leur région. Des rêves d’enfants innocents et bien simples mais qui n’ont pourtant pas effleuré l’esprit des responsables.
Au milieu du brouhaha enfantin me parvient une voix différente : El Hadj Mohamed se tient derrière la foule de gamins. Âgé de 67 ans, il paraît en avoir 90. Les rides de son visage racontent l’histoire des interminables batailles menées contre la misère : « Mes rêves à moi se sont effacés comme s’effacent par le vent des traces de pas sur le sable des dunes. J’ai toujours souhaité voir mon fils et mes cinq filles terminer leurs études et je les ai tellement imaginés sur les bancs de l’université. J’ai placé en eux toutes mes espérances et j’ai enduré tant de cruautés quotidiennes pour voir aboutir ce rêve … Mais la réalité était plus forte que mes sacrifices, puisqu’ils se sont tous arrêtés au niveau du primaire ou du collège. Malgré le fait qu’ils étaient brillants, ils n’ont trouvé aucun moyen de poursuivre leurs études et se sont trouvés condamnés à abandonner l’école, tout comme beaucoup d’autres enfants de la région ».
Pour ce qui est de la santé, le tableau est encore plus sombre. Il n’existe pour l’ensemble de la région qu’un petit dispensaire se trouvant dans un état de délabrement avancé et manquant d’instruments, d’équipements et même de personnel soignant. En effet, seuls un médecin généraliste, un dentiste et un gynécologue obstétricien y assurent la permanence. Par ailleurs, n’y sont traités que les affections très simples ; les autres sont redirigées vers la ville de Kofra, ce qui, étant données l’absence d’ambulance et l’impraticabilité des routes, devient une missions des plus difficiles.
Dans ce contexte, M. Othman May, activiste de la société civile, nous raconte la mésaventure d’une femme de Rebyana qui devait donner naissance à des jumeaux : «Le médecin a pu accoucher la dame du premier bébé ici au dispensaire de Rebyana mais, comme il ne parvenait pas à délivrer le second, il a transféré la patiente à Kofra. Et malgré l’état de la route et de la mère, le bébé est finalement né, 11 heures après son jumeau. Cet incident étrange résume bien tout ce que nous endurons de souffrance et de privations ».
Par ailleurs, Youssef Hamdane, chroniqueur au journal Tazer et membre de Rebyana au sein de l’Union des Institutions de la Société Civile, résume l’état de l’infrastructure en disant : « Parmi la multitude de difficultés dont souffre la localité, il y a le problème de l’électricité qui fonctionne au carburant ramené de kofra. En effet, puisque la route n’est pas goudronnée, les camions-citernes mettent beaucoup de temps pour arriver, ce qui provoque des coupures d’électricité. Et pour ce qui est de l’eau, il existe bien des réseaux de tuyauteries mais ils ne sont pas conformes aux normes et ne suffisent pas à approvisionner l’ensemble des habitants. Ajoutons à tout ceci que Rebyana n’a été reliée au réseau téléphonique qu’à travers une seule et unique ligne et c’était à la mi-juillet de l’année en cours, de même qu’elle n’a aucun accès au réseau Internet. Aussi la localité est-elle exposée à être fortement touchée par l’instabilité de la situation sécuritaire et risque de se retrouver totalement isolée au premier conflit armé qui éclate ».
C’est d’ailleurs ce que confirment les habitants à leur tour : « Notre région subit l’influence directe de tous les événements et tous les conflits armés qui ont lieu dans la ville de Kofra et qui compliquent encore plus notre vie quotidienne et notre sécurité ».
Dans ce contexte, et en vue de discuter des problèmes de la régions, une réunion a été tenue au début du mois d’août dernier dans la ville de Bayda au nord du pays entre le chef du district administratif de Rebyana, M. Yehya Abou Bakr, et le Ministre de la gouvernance locale au sein du Gouvernement Provisoire libyen issu du Parlement de Tobrouk. Ce dernier a insisté sur la priorité à accorder aux événements en cours et sur l’importance de leur trouver des solutions afin que reviennent la calme et la stabilité dans la région.
Rebyana est une région ensevelie sous le sable du désert mais qui demeure pourtant bien vivante, le cœur battant malgré les misères, dans l’attente de droits devenus aux yeux de ses habitants de simples rêves.