Mais cet élan de militantisme féminin n’a pas empêché que la femme soit aujourd’hui, à l’ère postrévolutionnaire, quasiment absente des postes de décision et des fonctions officielles. Dans tous les gouvernements post-Kadhafi, la représentativité de la femme ne dépassait pas, dans le meilleur des cas, les doigts d’une seule main, de telle sorte que, lorsqu’une équipe ministérielle se compose de quarante membres, le gouvernement consensuel ne compte dans ses rangs que deux femmes seulement, nommées dans des postes de secrétaires d’état !
« La situation actuelle de la femme libyenne n’est pas encourageante, puisque les femmes qui étaient devenues des icônes vivantes du militantisme en s’engageant dans la résistance dès les premiers instants et en s’illustrant au cœur de la Place de la Libération de Benghazi, se trouvent obligées aujourd’hui de se cacher ou de s’expatrier, lorsqu’elles ne sont pas déjà assassinées », nous révèle le magistrat Jamel Bennour, ancien Président du Conseil Local de Benghazi. Cette opinion du magistrat est également partagée par la journaliste Fatma Ghandour qui affirme à ce sujet : « Si la loi électorale n’avait pas consacré des sièges pour les femmes, nous n’aurions pas trouvé aujourd’hui les 10 % féminins du Parlement car la société libyenne est encore fondamentalement patriarcale ».
D’autre part, dans son rapport de l’année 2014, l’organisation non gouvernementale « Human Rights Watch » écrit : « Les rues de la ville de Benghazi, berceau de la révolution, ont été témoins de la sortie des libyens, hommes et femmes, le 17 février 2011 pour précipiter la chute du régime de Mouammar Kadhafi. Les mêmes rues et places peuvent aussi rappeler comment les femmes se trouvaient aux premiers rangs des manifestants, tout comme elles se souviennent aussi comment, quelques mois à peine plus tard, ces mêmes femmes ont été forcées de reculer pendant que montaient des voix appelant à la polygamie et à l’interdiction de la mixité ; des voix qui voulaient interdire à la femme libyenne de voyager sans être accompagnée d’un homme qui lui soit sexuellement défendu (« Mohram ») et qui voulaient l’empêcher de participer à la conception de son propre avenir en contribuant à la rédaction de la nouvelle Constitution du pays ».
Pour sa part, le Mufti de l’Ouest libyen, Sadok Ghariani, réfute ces évaluations de la condition des femmes libyennes et les commente en disant : « Si nous étions vraiment une société patriarcale, comme nous en accusent certains, nous exclurions la femme de la vie politique. Or, elle y est présente et elle est représentée au Parlement libyen, de même que nous tendons la main à toute participation féminine dans le processus de reconstruction entrepris en vue d’une nouvelle Libye ». Par ailleurs, en ce qui concerne l’interdiction de la mixité dans les établissements scolaires, le Mufti assure son rejet total de cette façon de voir qu’il considère, dit-il, comme « un extrémisme religieux et sexuel » allant à l’encontre de « la tolérance caractéristique de la société libyenne qui croit à la complémentarité des rôles et à l’égalité entre les femmes et les hommes ».
D’un autre côté, Mme Karima El kallali, membre de l’Union des Femmes et militante active dans la société civile, pense que la femme libyenne a joué un rôle important à l’aube de la révolution du 17 février 2011. « Tout le monde était sorti et chacun avait essayé d’avoir une participation claire et efficace en se rendant utile autant qu’il le peut dans le processus révolutionnaire. Les femmes étaient là pour soigner les blessés de la révolution et pour les assister dans les hôpitaux en leur donnant à manger. Elles avaient également assuré le nettoyage des rues et des voies de circulation», affirme-t-elle, avant de nuancer : « Mais malgré tout cela, nous avons eu à subir beaucoup de préjudices, d’injustices, de violences et de persécutions… Beaucoup d’entre nous sont mortes en martyres et nombreuses ont été victimes de viols ».
Au sujet des viols précisément, Mme Karima El Kallali fait le procès des Nations Unies, en affirmant qu’elles « n’ont pas apporté leur aide aux victimes malgré tous les efforts consentis par la société civile pour convaincre ces femmes de ne pas se taire et de dénoncer ce qu’elles ont subi ». Elle assure également que la femme libyenne s’expose toujours aux violences physiques et sexuelles et qu’il y a une urgence absolue à « travailler sur ce sujet en collaboration avec les composantes de la société civile ».
Devant de tels problèmes, la question d’une participation effective des femmes à la vie politique devient aux yeux de certains un véritable luxe ou une recherche de droits calquée sur le modèle occidental. Or, il s’agit en réalité d’un besoin impératif qui est à prendre au sérieux par les différentes institutions aussi bien gouvernementales, médiatiques que de la société civile. En effet, la contribution politique de la femme libyenne est encore largement à la traîne et il lui reste beaucoup à faire avant d’atteindre l’objectif d’une implication réelle et active dans la prise de décisions et c’est cette participation qui permettra au reste des femmes libyennes d’arracher leurs droits…
Force est de constater finalement que, malgré les voix qui montent de l’intérieur comme de l’extérieur de la Libye pour exiger davantage de libertés et de droits civils, l’avenir de la femme libyenne demeure tributaire de ce que deviendra la Libye à l’issue d’un rude affrontement politique et armé qui secoue le pays et qui s’ouvre à toutes les éventualités.