Le dossier de la corruption et la demande de reddition des comptes reviennent sur toutes les bouches des jeunes sit-inneurs de Kasserine, cette ville limitrophe de la frontière algérienne, dont les montagnes abritent des maquis de groupes armés se réclamant d’Al Qaïda.
Les jeunes demandeurs d’emplois exigent un audit approfondi sur la gestion de la SNCPA (Société Nationale de Cellulose et de Papier Alfa), principal pôle d'emploi dans la ville. Cette usine est le plus grand employeur de Kasserine avec près de 800 emplois. Plusieurs activistes de la société civile disent toutefois que la SNCPA traverse une crise en l'absence de marchés pour sa production de papier de haute qualité.
"Des doutes sérieux sur des dossiers de corruption pèsent sur la gestion de la cellulose, sans que les autorités n’examinent cette situation ", lance Haythem, diplômé en Chimie, âgé de 28 ans et chômeur depuis six ans. Il tient ses informations de son père, retraité de ladite boite.
Les jeunes chômeurs kasserinois ne sont pas trop exigeants: " Nous voulons juste de l'emploi", lit-on un peu partout dans une salle qui leur a été cédée par le gouverneur de la ville, pour se réunir et exprimer leurs doléances. Toutefois, ces chômeurs sont fermes pour exiger des normes transparentes dans toutes les étapes du processus de recrutement.
Salah, 35 ans, maîtrisard d'Arabe depuis douze ans, n'en revient pas. "La transparence apaise largement la tension régnant parmi les chômeurs. Il n’y a pas pire que ce sentiment d’être lésé ", insiste-t-il. « C’est vraiment la moindre des choses après cinq ans de la chute de Ben Ali.
Fait notable : personne n'était avec les jeunes chômeurs pour organiser leur sit-in et réfléchir aux alternatives possibles. La centrale syndicale (UGTT) ne se considère pas directement concernée. Elle dit encadrer les travailleurs ayant déjà de l’emploi. La société civile est faible dans la région, alors que la société politique n'a plus de crédibilité auprès d'eux.
« Les autorités nous proposent de faire des projets individuels. Mais, nous ne trouvons personne pour nous expliquer comment choisir les domaines intéressants ni comment constituer des dossiers, sans parler des difficultés pour chercher des financements », se lamente Faycel, pourtant licencié en gestion depuis sept ans.
« Face à une telle situation d’absence de perspectives, ce n'est pas un hasard si les jeunes tunisiens commencent à désillusionner », constate Samir, un cadre à la retraite, dont les deux fils sont des diplômés chômeurs.
« Le pire, c'est que l'assistance de la classe politique et de la société civile se limite à tenter d'éviter la casse. Les ONG, pouvant aider les jeunes diplômés à créer de petites entreprises, sont carrément absentes. Elles fuient la région vu les difficultés rencontrées, notamment l’absence des fonds alloués à financer la création ces entreprises », poursuit-il.
À Kasserine, comme ailleurs dans la bande Ouest de Tunisie, le taux de chômage des jeunes dépasse les 35 %. Il dépasse les 40 % dans les délégations de Thala et Fériana. Les jeunes ne se bousculent pas, non plus, aux portes des pôles de l'emploi indépendant pour créer des projets, faute de possibilités de financement.
« Les autorités doivent s’intéresser davantage aux requêtes de ces jeunes démunis pour les dissuader d’aller sur des chemins ténébreux comme la contrebande ou le terrorisme », avertit Slah, un quadragénaire de la cité Ennour à Kasserine. « Si le jeune arrive au désespoir, il peut réfléchir au suicide ou encore au terrorisme qui n’est qu’une autre forme de suicide, en faisant, dans les deux cas, parler de lui », poursuit ce commerçant, qui n’a pas manqué de rappeler à Dune-Voices que « Mourad Gharsalli, un terroriste notoire abattu par les forces de l’ordre sur les monts Arbat, près de Gafsa (110 kilomètres de Kasserine), est originaire de ce même quartier pauvre ».