Les travaux de reconstruction des dégâts suscités par les inondations sont lents et inadéquats. Le remblai constitué de terres et pierres pour désenclaver la région et faciliter le passage des voitures dans certains oueds, est engorgé à tout moment par les torrents qui suivent les pluies. La période post-inondations constitue un véritable test de la ténacité des populations, des commerçants, des chauffeurs de taxi, de la société civile et des autorités. Certains étaient indifférents, cupides et opportunistes. Mais, beaucoup ont prouvé leur esprit de solidarité et coopération. Une évaluation très commentée dans les cafés et espaces publics. Les fils de la ville ne cessent de chercher des solutions, ne serait-ce que sur leurs pages Facebook.
Sidi Ifni est «le seuil de la porte du Désert», comme veulent le qualifier ses habitants. C’est le fief des tribus «Aït Bouamrane». Ici s’embrassent la mer et les montagnes. La ville était colonisée par l’Espagne. Elle retourne dans le giron de la patrie en 1969. Mais, le processus de son développement est toujours en panne. Les récentes inondations ont mis en exergue la fragilité des infrastructures, notamment les routes, les canaux, les barrages d’eau potable, les réseaux d’assainissement… La région n’a jamais connu de telles inondations. «Ces inondations tiennent à faire reculer le développement de la région» disent des témoins des inondations de 1984.
Nasser, à la quarantaine, est de Sidi Ifni. Il est modeste. Il résidait en Belgique. Il est spécialiste en crèmes glacées alimentaires. Les années qu’il a passées à l’extérieur l’ont poussé à investir dans sa ville natale. D’autant plus que la région commence à séduire les touristes étrangers.
A cet effet, Nasser a loué une boutique au quartier «Barandiyé» surplombant sur l’Atlantique. Il y vend la crème glacée. Il fabrique celle-ci dans une petite unité industrielle qu’il a installée dans la ville de Tiznit. A Tiznit, Nasser dispose également d’un restaurant fastfood. Je lui demande: pourquoi Tiznit au lieu d’Ifni ? «A cause des problèmes d’électricité… C’est ennuyant…» répond Nasser avec amertume et regrets de la situation que connait la ville, notamment après les inondations de 22 novembre 2014. Selon lui, les délestages répétitifs et inattendus à Ifni entravaient son boulot. Il aurait été obligé de s’excuser auprès de ses clients, voire d’annuler carrément leurs commandes. D’où sa décision d’installer l’unité industrielle à Tiznit et de commercialiser à Sidi Ifni.
Un réfrigérateur, un téléviseur et deux savonneries… au bord de la route
Les impacts de la destruction sur la région sont visibles à l’œil nu. Il est clair que les inondations n’ont rien épargné: le stade municipal, le zoo, les maisons voisines, les biens, les installations de camping côtier… et même le gouvernorat n’est pas ménagé. Les pierres de maisons, de murs et de clôtures détruits… les tas de limoniers et les troncs énormes d’arbres déracinés… tout est jeté et dispersé ici et là.
Partant du quartier «Lalla Marième (Colomina)» vers la rampe, une espèce de fontaine d’eau apparait à droite à l’image d’un lac. Entre elle et l’Atlantique se trouve un immense isthme de pierres et de bois qui s’accumulent terriblement sur la plage. La fontaine n’est autre qu’un bourbier des canaux d’assainissement endommagés par les inondations. Son odeur morfond le nez. Sa superficie s’étend davantage. Elle serait un terrain fertile pour les insectes et épidémies. Les terrains qu’exploitaient les petits agriculteurs n’existent plus. Une véritable catastrophe écologique se profile à l’horizon. On s’interroge alors sur la légitimité des factures d’extraction du liquide d’assainissement, en dépit de l’absence du service depuis des mois. Certains mettent en question les politiques publiques destinées à la région. D’autres déplorent l’indifférence de certaines populations.
En fin de la rampe, la route principale qui mène vers le centre-ville est coupée. A gauche une route étroite secouée permet de traverser l’oued à travers un pont qui a bien résisté depuis la période coloniale. Elle passe derrière ce qui reste du stade municipal. Elle est devenue fréquentable grâce à une entreprise de manutention du port. Un port dont les travaux d’extensions n’arrivent pas apparemment à être finalisés. A gauche, et à quelques mètres du zoo, se trouve la route qui mène vers Guelmim. Elle aussi est coupée. A ses deux côtés logent des familles déplacées sous des petites tentes dressées n’importe comment. Leurs maisons ont été submergées par les eaux. Leurs biens acheminés vers l’océan. Sans retour. Au bord de la route un réfrigérateur, un téléviseur, deux savons… avec leur propriétaire. Tous espèrent un dénouement heureux.
Aujourd’hui, le voyage entre Sidi Ifni et Guelmim est riche d’inconforts et de fatigues à cause des secousses et raccourcis d’une ruelle étroite près de la route du port. Pour faire cette route, il ne faut jamais dépasser la vitesse de 40 km/h. Auparavant, toute la route ne prenait pas plus de 45 minutes. Même le prix des billets a doublé après les inondations: «Avant, nous payons 150 dirhams pour le billet. Aujourd’hui, il faut payer 300 dirhams» dit un citoyen qui se préparait pour le voyage.
Réhabilitation des infrastructures ? Ou des esprits ?
L’ambition de Nasser et sa vision de l’avenir de la ville le pousse à ne pas céder. Il s’efforce à diagnostiquer les réalités de la ville et les obstacles de son développement. Il espère trouver une issue qui permet à Sidi Ifni de restaurer sa gloire. Il estime insuffisante la somme de 20 Milliards de dirhams destinée au Programme d’intervention urgente. Il attend de voir ce programme se concrétiser. Mais, il pense déjà que «les acteurs locaux n’ont fait aucun effort pour évaluer les pertes réelles et n’ont pas demandé l’aide des experts».
Nasser pense qu’il n’y a de solution que le développement de la région. Il propose d’investir dans cette vaste zone qui s’étend entre l’aéroport de la ville et Tan-Tan. «Cette zone a toujours été intraitable dans nos esprits et ce depuis l’indépendance. Nous n’en savons pas grand-chose. Or, c’est elle qui constitue la clé de la solution pour les populations et pour la wilaya. Bref, ici on peut avoir ce qu’l faut pour le développement: logements, port et route de Tan-Tan» a-t-il précisé.
En d’autres termes «la réparation des dommages énormes qui ont touché l’esprit ‘ifnaoui’ il faudra d’énormes reconstructions et matériels» a-t-il dit avec un léger sourire.
Mais, quel temps suffira-t-il pour changer les mentalités ? Une génération ? Des générations ? Et la campagne que Nasser a lancée sur Facebook portera-t-elle ses fruits ?