Le Maroc était depuis des décennies le premier et l’unique exportateur de cette huile. En effet, avec la certitude confiante d’être à l’abri de toute concurrence possible, il avait conquis les marchés internationaux et prouvé qu’il régnait en maître sur la culture, la production et l’exportation de cette denrée rare. Mais au moment où se multipliaient les congrès et les études qui prouvaient les qualités, l’importance et les vertus de la précieuse huile d’argan et qui plaçaient le Maroc à la première place du podium en la matière, le pays a reçu un coup de massue totalement inattendu de la part d’Israël… Comment donc a-t-il été possible que « l’arbre de vie » pousse et survive loin de sa terre mère ?
Là-bas, entre les montagnes de l’Atlas, dans un petit village appelé « Tidsi », où l’on peut sentir de loin le parfum des arganiers, on peut entendre battre la pierre au rythme de la meule artisanale faite pour moudre à la main les graines d’argan. Comme sur une balançoire qui vous transporte à travers le temps, le son se mêle aux voix des femmes qui, tout en procédant à l’extraction de l’argan vierge, scandent à plein timbre des chants amazighs qui vous réjouissent le cœur et vous plongent dans les abysses du passé, dans les arômes du présent et dans les effusions de la nature.
Nous avons rencontré ces femmes qui sont les plus touchées par ce qui s’est passé et nous avons tenu à nous faire l’écho de leurs voix et à vous faire entendre leurs plaintes. Elles étaient au courant de tout… D’ailleurs, dès que nous avons posé la question, le visage de Hafidha, l’une des ouvrières de la coopérative, s’est fermé. Prenant un souffle pénible qui ressemblait davantage à un profond soupir, elle a résumé la situation en une seule phrase : « Notre gagne-pain a été rompu… ».
Pendant de longues décennies, le Maroc est demeuré le premier et l’unique producteur de la rare huile d’argan, à tel point que les arganeraies représentent désormais une véritable richesse nationale et sont un des fondements essentiels de l’économie du Maroc. Cette richesse qui s’étend sur 827 mille hectares d’arganiers fait vivre directement trois millions de personnes concentrées dans le milieu rural des régions du sud-ouest du Royaume. Il s’agit d’une huile que les femmes extraient selon des techniques simples consistant à battre les graines d’argan à la pierre et à les moudre à la meule d’argile, venant ainsi à bout de toutes les difficultés d’extraction qu’on connait et procurant à leurs familles une source de revenus sûre.
L’état a d’ailleurs activement contribué à promouvoir ce secteur en lançant l’Initiative Nationale de Développement Humain et en aidant à la constitution d’un réseau d’associations et de coopératives autour de la culture de l’argan. Ainsi, 170 coopératives ont toutes été fondées par des femmes issues de ces régions, pionnières dans le secteur et ayant réussi à faire vivre leurs familles de ce travail, au point de devenir une réelle force économique. Certaines d’entre elles se chargent d’ailleurs personnellement de la commercialisation et de l’exportation de l’huile d’argan vers l’étranger.
Fatma Adousemlal, présidente d’une coopérative de culture d’argan affirme à ce sujet : « L’argan est notre raison de vivre ; il signifie notre attachement à la terre et à l’identité amazigh. Nous n’en tirons peut-être pas autant de profits financiers que les producteurs et les industriels qui gagnent des dizaines de fois de plus que nous. Mais grâce à l’argan, la femme rurale a pu quitter la routine du foyer pour se lancer sur le marché de l’emploi et pour faire les preuves de sa compétence, de sa légitimité sur le terrain et de sa puissance. Aujourd’hui elle fait vivre sa famille au même titre que l’homme. Hélas, avec la concurrence d’Israël maintenant, nous souffrons beaucoup; nous subissons de lourdes pertes que nous ressentons au niveau de nos revenus quotidiens ».
Roukaya, qui paraissait quelque peu timide au début, intervient soudain pour dire : « Israël est géographiquement plus proche de certains pays qui préfèrent du coup s’approvisionner chez lui, même si l’on sait que nos produits sont de meilleure qualité. Par ailleurs, nous n’avons reçu aucun soutien de la part du Ministère de tutelle pour pouvoir développer et commercialiser davantage nos produits ; de même que nous ne percevons aucun bénéfice des prix exorbitants auxquels ils se vendent à l’étranger. Au contraire, nous n’en gagnons que très peu et même le peu que nous touchons se trouve aujourd’hui menacé de disparaître complètement à cause d’Israël ».
Selon la dermatologue Victory Devico, l’huile d’Argan contient un pourcentage important de vitamine « D » qui aide à prévenir la dégénérescence de la peau, ainsi que de la saponine qui contribue à la rendre plus douce. Cette huile aide également à prévenir les effets du vieillissement précoce tels que les ridules et les rides.
La spécialiste explique encore qu’en plus de ses vertus anti-inflammatoires, l’huile d’argan est riche en composants actifs nombreux qui accélèrent la cicatrisation des plaies, de même qu’elle protège la peau contre les rayons du soleil. Dr Devico relève aussi que cette huile contient une bonne part d’acides gras qui adoucissent les cheveux secs et diminuent l’effet de fourches au niveau des pointes en plus du fait qu’elle soit riche en Oméga 3 et 6, ainsi qu’en matières grasses non saturées et en acides aminés.
D’un point de vue alimentaire, l’argan contient plus de stérols que n’importe quelle autre huile végétale. Or, les études ont démontré que ces stérols d’origine végétale aident à inhiber l’absorption du cholestérol dans les intestins. Cette huile contribue également à faciliter la digestion en augmentant la fixation de la pepsine dans les sucs digestifs.
Après que le Maroc a obtenu le certificat de qualité et d’authenticité de l’argan, Israël a annoncé avoir développé de l’argan cloné sur celui du Maroc et ayant la même valeur nutritive, médicinale et esthétique. En effet, durant 27 ans, Israël a consacré d’importants fonds financiers à la recherche scientifique et agricole, en particulier dans le domaine de la culture de l’argan. Une société israélienne est d’ailleurs parvenue à développer une formule génétiquement modifiée de la plante capable de produire dix fois plus de graines que ce que peut produire un arganier marocain. De plus, le climat méditerranéen de la Palestine a favorisé l’existence de bonnes conditions pour réussir la culture de l’argan.
Cet « exploit » israélien survient après l’échec de plusieurs tentatives de culture dans plusieurs pays tels que le Mexique et l’Amérique et même en Israël où, toutefois, une agricultrice a finalement réussi à faire pousser l’arbre dans un champ plat au désert du Néguev dans le sud de la Palestine, ce désert qui, après l’annexion de Wadi Gaza, a commencé à se transformer en véritable zone agricole. A force de persévérance, Israël a donc fini par créer l’événement miraculeux dans un défi franc pour les lois de la nature et grâce à sa force scientifique, entamant ainsi la rédaction du scénario d’une longue histoire de succès agricoles qui avait commencé par l’importation de la graine d’argan marocaine dont la sortie du territoire originel demeure encore un mystère.
Les experts et les spécialistes en agriculture israéliens avaient fait en sorte que l’argan soit cloné à partir de la cellule originelle ramenée du Maroc et que toutes les conditions soient favorables à la culture, avant que ne soit finalement annoncé au monde entier que le mystère de l’argan a enfin été déchiffré et qu’Israël est désormais un sérieux concurrent du Maroc dans ce domaine.
Pour sa part, Ali Moumni, ingénieur agricole spécialiste en culture des arbres fruitiers à l’Institut National de Recherche Agricole de Meknès, explique scientifiquement le phénomène en disant : « Les graines mères ont été ramenées du Maroc et ont en effet été plantées et cultivées en Palestine. Une fois plantées, ces graines doivent attendre près de huit ans avant qu’on puisse disposer de petites plantules qu’il faut par la suite trier pour n’en garder que les meilleures, qui seront finalement clonées. Ainsi, il est possible d’obtenir un millier d’arbres à partir de la graine d’un seul. Le Maroc a malheureusement échoué dans la multiplication et le clonage des plantules et a laissé les choses aux bons soins de la nature, contrairement à ce qu’avait fait Israël, ce qui lui permet aujourd’hui de nous concurrencer. Malgré tout, l’authenticité et la qualité demeurent résolument marocaines et c’est au Royaume de se montrer plus vigilent à l’avenir ».