« Les marchés pilotes, c’est un projet fiasco », c’est la phrase qu’on entend sans arrêt de la bouche de tous les vendeurs ambulants et que confirme d’ailleurs Abelghani El Fatoumi, un des commerçants bénéficiaires du projet pilote « Jamîiat Assalam » (l’Association de la Paix) qui a pour emplacement le terrain de la Jamâa de « Sidi Moumen », dans la capitale économique du Maroc.
Loin des objectifs rêveurs du projet Jettou, et plus près de la réalité que transposent l’observation directe et les témoignages des « détenteurs de droits », nous vous transmettrons des exemples vivants de marchés pilotes pris dans deux grands quartiers qui connaissent une véritable expansion du phénomène et dont la population souffre de précarité extrême. En effet, à Sidi Moumen et à El Barnoussi, les vendeurs ont contribué avec la somme de quarante mille dirhams (près de quatre mille dollars) pour pouvoir bénéficier de boutiques commerciales.
Le quartier de Sidi El Barnoussi compte un ensemble de points de regroupement où se rassemblent les vendeurs ambulants. Certains d’entre eux sont devenus à la longue permanents et ont fini par transformer les étals en sortes de boutiques. Ces points de regroupement sont répartis dans la région comme suit : l’impasse 39, l’impasse 28 du quartier Tarek, les côtés de la mosquée Tarek, près de l’ancien cinéma Essalem, près du Marché des Kurdes, près du moulin et les zones du terminus de la ligne 33 des bus. Il y a également d’autres petits points de regroupement dissimulés entre les ruelles et les résidences. Par ailleurs, et comme ce fut le cas depuis 2004, date du lancement du projet gouvernemental Jettou, Sidi El Barnoussi a connu la construction d’un ensemble de marchés pilotes dont principalement ceux de « Mansour » et de « Al Kods ».
Hachemi Habaji, le secrétaire régional du Syndicat National des Commerçants et des Artisans précise que « ce qui a été construit, il l’a été aux frais des vendeurs ambulants qui y ont contribué avec près de 250 millions de centimes afin de pouvoir bénéficier de 288 boutiques. Or le plan final des marchés n’a pas été à la hauteur de leurs attentes et ne répondait pas à leurs besoins. En effet, 80 vendeurs seulement ont eu droit à des boutiques individuelles, tandis qu’une logique de partage a été imposée aux autres qui ont dû se mettre à deux par boutique sachant que la superficie de cette dernière ne dépasse pas les trois mètres carrés ».
Cette situation, comme nous le confie Hachemi qui a travaillé pendant des années comme vendeur ambulant, ne sert en aucun cas les conditions hygiéniques de conservation des denrées alimentaires, pas plus que celle des autres produits mis en vente.
Un autre témoignage qui nous est livré par le vendeur ambulant Al Mahjoub Mahfoudh, secrétaire et membre du Syndicat des Commerçants et des Artisans nous apprend qu’au moment de les livrer, les boutiques commerciales ont été vendues à des personnes qui n’étaient pas concernées par le projet des marchés pilotes. Par ailleurs, Mahfoudh insiste pour dire que la vente de ces boutiques est interdite par la loi, étant donnée la nature même du projet.
Non loin de région de Sidi El Barnoussi, nous nous dirigeons vers un quartier que l’Initiative Nationale de Développement Humain a affublé d’un slogan qui ressemble davantage à une injonction : « Il faut réhabiliter le quartier de Sidi Moumen ». Parmi les voies d’accès prévues à cette réhabilitation, celle de procurer des conditions de travail stables à nombre de jeunes vivant dans ledit quartier et s’adonnant au « commerce de la rue ».
A quatorze heures environs, nous arrivons près du bidonville « Touma ». Du fond d’une voiture de transport des marchandises monte une voix de jeune homme vociférant, insultant et jurant les pires malédictions… Bref, des paroles qui en disent long sur la tension de l’atmosphère générale et sur l’attitude des commerçants par rapport à ces marchés pilotes et à leur devenir.
Au sujet du fait que nombre de vendeurs se soient vus privés de boutiques au sein des marchés alternatifs situés dans la rue, Al Fatoumi donne pour cause l’incapacité de ces vendeurs de payer la somme de quarante mille dirhams environ, en plus d’autres frais estimés à 5000 dirhams et 500 dirhams et destinés à la décoration de la boutique, au renforcement de ses fondations et à la fixation de ses portes de fer, ainsi que la somme de 700 dirhams en frais du dossier du bénéficiaire.
« Il faut d’abord reconnaître l’importance du rôle que joue un papillon dans la société !». Telles sont les paroles Hassan Dhfayer, coordinateur du projet non gouvernemental « Une vie digne, un travail décent ». Notre interlocuteur voit en effet dans les vendeurs ambulants une main d’œuvre active procurant de nombreux emplois et faisant régner l’esprit de solidarité entre de nombreuses familles mais qui, précise-t-il, « souffre de plusieurs problèmes dont une situation instable et tributaire de l’humeur et du bon vouloir des appareils de l’Etat, notamment en l’absence d’un cadre juridique clair qui encadre leur travail ».