Située à environ quarante minutes de Fès, la capitale scientifique du Maroc, Imouzzer est desservie par les grands véhicules de louage collectif ainsi que par les bus. La petite ville calme est truffée de logements aménagés spécialement pour les touristes et de campements d’été et d’hiver réservés aux grandes firmes marocaines depuis plus d’un demi-siècle pour certaines, tandis que d’autres ont été restaurées ou construites depuis peu. C’est, selon les habitants, la meilleure preuve qu’il y a dans leur ville ce qu’il n’y a pas dans d’autres.
Cependant beaucoup de choses ont changé dernièrement. La statue de la panthère qui trônait au milieu du boulevard principal, près du bâtiment de la Poste et qui accueillait autrefois les visiteurs en leur donnant d’emblée l’illustration concrète du surnom « Dresseurs de Panthères » qu’on attribuait aux habitants, souvenir d’une tradition totalement disparue aujourd’hui.
Non loin du lieu de disparition de cette statue, la mare qui donnait sur l’autre côté de la rue s’est transformée en un espace repoussant : des bancs qui luttent pour résister au cours des eaux, un vaste terrain aride où rien ne pousse malgré l’abondance de l’eau dont le bruissement s’entend aux alentours, à quelques pas seulement de l’endroit.
« Imouzzer n’est plus ce qu’elle était. Beaucoup de choses ont changé : le processus d’entretenir la beauté de ses paysages et la splendeur de ses places et de ses ruelles s’est arrêté de manière inquiétante », affirme le jeune Ali, un des fils de la région qui vit de la location des logements réservés aux touristes.
Ali explique aussi à « Dunes Voices » qu’Imouzzer est le théâtre d’animations touristiques adaptées à toutes les saisons et qu’elle ne dispose pourtant pas du minimum requis sur le plan de l’infrastructure pour qu’elle soit à la hauteur de ces activités.
Cependant, et toujours selon notre interlocuteur, il est possible de trouver un logement qui dispose de toutes les commodités : chambres à coucher, chambres d’amis, salle de bain, cuisine équipée… Tout ce que le touriste a laissé chez lui, il peut le retrouver ici pour bien profiter de ses vacances. Quant au prix de la nuitée, Ali affirme qu’il « se situe entre 100 dirhams (soit dix dollars américains) et 300 dirhams (soit trente dollars américains), ce qui est très « bon marché », au regard des commodités dudit logement et comparé aux prix des nuitées dans les hôtels et les logements d’Ifrane et d’Azrou ».
Fixant des yeux le vague souvenir d’un passé révolu, Ali exprime son regret de voir l’environnement se dégrader ainsi à ce point sa ville, même si cela ne diminue en rien son amour pour elle.
Non loin du centre ville, en suivant les routes sinueuses ombragées à longueur de journée par les cèdres géants, on accède au point qui fait la beauté sublime et la fierté d’Imouzzer. C’est un endroit qui attire pendant les vacances, et même en d’autres occasions, des touristes, notamment parmi les Marocains passés un jour par le coin lors d’un camping d’été. Il s’agit d’« Ain Soltan », une source d’eau qui coule durant les quatre saisons de l’année. Le ciel peut priver la terre de pluie mais les sources d’ici ne privent jamais de leur eau douce quiconque demanderait à s’en abreuver.
« Les choses n’étaient pas ainsi », nous dit Saâd Zridi, un visiteur. « Ain Soltan a beaucoup changé ; On pouvait nager dans cet endroit précisément mais regardez ce qu’il est devenu : l’eau est sale et il les pierres s’entassent au fond. Même les algues sauvages ont trouvé des conditions favorables pour envahir l’endroit », ajoute-t-il. Boites en plastiques, canettes de soda, restes de nourriture et bien d’autres détritus offrent en effet un spectacle déplaisant et dégoûtant.
Ain Soltan était pourtant considérée comme une vaste soupape pour la ville. Elle est la destination des touristes qui cherchent loisirs et détente et qui souhaitent respirer un air pur et revitalisant, de même qu’elle est aussi le cadre idéal pour s’exercer à la marche et au sport. Malheureusement, tout cela s’est transformé en une sorte de rêve inaccessible comme, d’ailleurs, a pu le constater notre interlocuteur devant la source.
Par ailleurs, Ain Soltan n’est pas seulement un lieu de détente ; c’est aussi, comme nous avons pu le constater, une source de revenus pour plus de vingt familles. L’endroit connaît une forte affluence pendant les week-ends et durant les vacances scolaires.
Zohra Idrissi, une des femmes qui vivent de la vente des plats gastronomiques marocains avec en tête de liste le fameux tajine. Elle regrette la gloire passée d’Ain Soltan et déplore ce que sont devenues les choses aujourd’hui en disant : « Il y a quelques années, les Marocains affluaient avec abondance… Mais avec la décadence qu’elle connaît, la ville n’attire plus autant d’admirateurs qu’autrefois ». Elle nous explique encore que l’unique source de revenus des habitants d’Imouzzer est de vendre leurs services, en plus des repas et du célèbre thé marocain, aux visiteurs de la ville et, en particulier, de la « source ». Combien gagnerait donc par jour Zohra et son entourage composé de femmes et d’enfants prêts à rendre toute sorte de services ?
La dame, âgée de 55 ans, nous répond : « En dehors de la saison estivale et pendant les vacances scolaires, nous ne vendons que trois plats de tajines par jour. Nous les proposons contre 30 et 40 dirhams le plat (soit entre trois et quatre dollars) en plus d’une théière au prix maximum de dix dirhams (soit un seul dollars). C’est ce qui revient, dépenses et frais de transport des ustensiles de cuisine et de ménages compris, à un revenu qui ne dépasse pas les 200 dirhams par jour de ladite période (soit vingt dollars) ». Il faut noter aussi que parmi les aspects les plus évidents du tourisme simple et « bon marché » de la « Source », il y a le fait que tout est préparé au feu de bois et servi sur des nattes tendues près du cours de l’eau.
Dès que sonne l’heure du déjeuner, apparaît une petite fille blonde aux yeux dorés qui rappellent les rayons d’un soleil levant. Elle tient entre les mains une boite en carton trop grande et trop lourde pour que son petit dos puisse en supporter le poids sans se courber, elle se promène ici d’une gargote à une autre pour vendre son pain fait maison et cuit au four traditionnel.
Nadia, cette enfant qui étudie en sixième année de l’enseignement primaire vend du pain pour aider sa famille à subsister, nous dit-elle, aidée en ceci par son petit frère qu’on peut à peine apercevoir derrière sa boite trop grande pour son menu corps. La fillette ne sait pas ce que sont les vacances ni même quel goût elles ont ; tout ce qu’elle sait c’est vendre du pain, nous explique-t-elle dans sa spontanéité d’enfant.
Et de la même manière qu’Imouzzer et son icône « Ain Soltan » souffrent de la négligence, environnementale notamment, les habitants de la petite ville souffrent à leur tour dans leur gagne-pain, puisque leur revenus ont tellement baissé qu’ils ne sont plus que de quelques dirhams… Une bien maigre rétribution, comparée au plaisir que la nature offre généreusement à travers ses montagnes, ses innombrables cours d’eau et son air enivrant qui vous enveloppe du matin au soir.