Akhrib, Tarahalt, Adoinsidh, Assif Ndabka et la liste est longue ; dans tous ces bourgs de Tangarfa, située à 31 km à l'est de la ville de Sidi Ifni et à 700 km au sud de Rabat, des groupes d'habitants ont manifesté pour protester contre le projet de carrières de sable. Brandissant banderoles, drapeaux marocains et portraits du roi, les manifestants ont observé un sit- in de protestation aux alentours du terrain dédié au projet. Ce sit-in devrait, initialement, coïncider avec la visite d'une commission technique au site, mais la visite a fini par être reportée.
Ibrahim Anzid, une des figures intellectuelles de la région, était parmi les organisateurs de la manifestation. Il affirme : " on ne sait pas comment ces gens là peuvent-ils aller à contre courant de la politique gouvernementale visant à éradiquer toute forme de pollution".
Les protestataires voulaient, en fait, sensibiliser l'opinion publique quant aux répercussions de ce genre de projets tels que la destruction des couches de sable, la propagation de poussière, les changements de relief compromettants pour les éleveurs de bétail, outre la présence d'une forêt tout près du site du projet et l'atteinte à la symbolique de la région, terre des combattants contre l'occupation.
Les manifestants ont également mentionné la présence de l'unique cimetière de la région près du site, ce qui causera problème durant les funérailles. Les protestations ont, d'ailleurs, coïncidé avec la création par les jeunes des bourgs d'une association visant, entre autres, à bâtir une clôture autour du cimetière.
Les habitants ont, par la même occasion, fait parvenir une pétition, signée par 27 personnes, aux autorités concernées et à leur tête le ministre de l'Intérieur.
Il est à noter que l'exploitation abusive des carrières de sable a constitué un vrai problème d'envergure nationale au Maroc, durant les dernières années, vu les tiraillements politiques qui l'accompagnent, à cause des problèmes environnementaux engendrés et les accusations visant certains barons du capitalisme.
L'exploitation des carrières au Maroc est, encore, régie par la loi du 19 juin 1914, de l'époque du protectorat, malgré les efforts fournis pour la réviser en 2002. Ces efforts n'ont abouti à rien à cause de l'absence des textes réglementaires régissant la nouvelle loi proposée. Pour combler ce vide juridique, le premier ministre avait mis en place, en 2010, des mesures transitoires, en l'attente de la promulgation d'une nouvelle loi. Chose faite au 02 juillet 2015, date à laquelle la loi 27,13 a vu le jour.
Pour sa part, l'expert environnemental, Mohamed Ben Jalloun, affirme que " plusieurs dangers guettent la région au cas où les conditions de sécurité ne seraient pas respectées" .
"La carrière aura des répercussions sur la faune, la flore et la nappe phréatique, sans parler des fissures dans la terre causés par les explosions, et les maladies générées par le projet tel que l'asthme et les maladies respiratoires" ajoute-t-il. Il note qu'avant d'avaliser le projet, une étude doit être élaborée afin de définir ses retombées. "Une telle étude doit être publiée pour que les citoyens puissent y voir clair et décider par la suite de la position à prendre. Pour bénéficier d'une licence, toute carrière doit être loin de 3000 à 4000m des zones habitables. Durant l'exploitation, il faut se doter de matériel empêchant la poussière de se propager. Les engins de transport ne doivent pas rouler à plus de 20 km/h et ne doivent pas passer dans les zones peuplées. Les citoyens de la région doivent, en outre, bénéficier de poste d'emploi au sein du projet et le Comité local doit bénéficier d'une taxe en contre partie de l'exploitation du terrain" explique M. Ben Jalloun.
De son côté, Abdelileh El khodhri, président du centre marocain des droits de l'Homme, affirme que les carrières figurent parmi les principales causes directes de la pollution, notamment dans les régions rurales et reculées, notant que l'association reçoit nombre de plaintes de citoyens dénonçant la dégradation de l'environnement à cause des carrières non contrôlées et non conformes aux lois. "Les carrières détruisent peu à peu la santé de l'homme et entrainent l'apparition de plusieurs maladies parfois incurables (les carrières de Bra Salma dans le district du Deryouch à titre d'exemple). C'est dû, principalement, à l'intoxication de la nappe phréatique suite aux opérations de forage, à l'aide de produits explosifs et chimiques" poursuit-il.
Notre interlocuteur évoque les pseudo- carrières de sable qui sont en réalité des carrières de granit ou autre matière coûteuse ( la carrière de Bnrgrir). Ces carrières génèrent annuellement, selon lui, des milliards alors que les propriétaires ne payent pas assez d'impôts, ce qui constitue un viol à la constitution marocaine qui stipule le droit des citoyens à un environnement sain (article 31 de la constitution).
Quant à la position du Centre marocain des droits de l'Homme concernant la loi 27,13, M. khodhri affirme que " la loi ne peut pas résoudre le problème des répercussions des carrières sur l'environnement ni celui de l'exploitation anarchique" . " L'étude des répercussions demeure dénuée de transparence, compte tenu de l'absence d'intégrité de certains responsables qui se soucient peu ou pas de l'intérêt des citoyens. Il ne faut pas oublier que la gérance du domaine des carrières demeure entre les mains du ministère de l'équipement, du transport et de la logistique, ce qui complique davantage le problème. Et l'éventualité de la manipulation des prix, des impôts et des quantités extraites demeure largement probable" poursuit-il. Et d'ajouter : " le droit à un environnement sain, qui figure parmi la nouvelle génération de droits, dépasse l'échelle nationale. C'est un défi international et la première initiative à cet égard remonte à la conférence de Stockholm en 1972, suite à laquelle le programme des Nations Unies pour l'environnement a été crée. L'accord de Lugano sur la responsabilité civile quant aux répercussions des activités nocives pour l'environnement, signé en juin 1993 constitue la victoire juridique la plus importante en ce domaine".
Dans l'attente de la promulgation d'une nouvelle loi au Maroc, M. Khodhri espère une révision générale visant à combler les lacunes et à proposer les ajustements juridiques adéquats pour atteindre un cadre plus efficace, plus respectueux des attentes des citoyens et plus bénéfique pour l'économie.
Les habitants de Tangarfa, eux, aspirent à des lendemains meilleurs, sans carrières menaçant leur environnement ou effaçant l'Histoire glorieuse de leurs ancêtres.