Des migrants qui ont fui les fléaux de la pauvreté, du chômage et des guerres civiles déchirant leurs pays.
Ils ont quitté leurs pays à la recherche d’un nouvel avenir. Leurs nationalités et parcours sont différents. Mais, ils ont le même but: «atteindre l’Europe et commencer une nouvelle vie qui leur fait oublier leur clavaire».
Comme leur rêve s’est brisé après que le Maroc ait imposé une sécurité renforcée sur ses frontières, conformément à ses engagements avec les pays européens, ils ont élu domicile au Maroc jusqu’à nouvel ordre. Ils exercent des métiers marginaux pour survivre.
Différents parcours… même but
Ibrahima, Sénégalais, la vingtaine, s’exprime en langue française brisée et à peine déchiffrable. Il avait quitté son pays, il y a un an. Il voulait traverser vers l’Espagne. Il a à son actif deux tentatives avortées d’émigration clandestine. Aujourd’hui, il loge à Douar Al Haja, avec des amis qui l’ont précédé à Rabat. Il exerce le métier de commerçant ambulant. Il vend des montres et des parfums sur l’avenue Mohamed V.
Ibrahim se souvient encore de certains moments difficiles passés avec les autorités marocaines. Il raconte comment « (il a été) menotté, dépossédé de tous ses biens, notamment les téléphones portables qu’il vendait ; et jeté sur les frontières entre le Maroc et l’Algérie, sans rien à manger ou à boire». Il aurait ensuite retourné et se serait caché dans les forêts et quartiers d’Oujda, jusqu’à ce que la tempête s’estompe ».
L’histoire d’Ibrahima n’est pas très difféente de celle de son ami guinéen Djibril, 26 ans, activiste dans une association de défense des émigrés. Il avait obtenu un diplôme de fin d’études dans son pays. Il avait espéré obtenir un boulot chez lui, en vain durant quatre années. «J’ai commencé alors à penser à émigrer vers l’Europe suite à des discussions avec un de mes amis qui avaient réussi à traverser vers l’autre côté. L’idée ne m’a pas intéressé au début ; car, elle est très risquée, en plus de l’échec qui reste possible» a-t-il raconté.
«Un sentiment fort m’envahit me rappelant que je suis au bord de la folie. Tu es fortement secoué et tu ignores ce qui va t’arriver » reconnait Djibril, décrivant son état d’âme lors de la prise de décision d’émigrer. « C’était un saut dans l’inconnu », admet-il.
Djibril a quitté son pays en 2012. Il est arrivé au Maroc, passant par la Libye et l’Algérie. Son arrivée au Maroc a coïncidé avec une campagne menée par les autorités marocaines contre les candidats à l’émigration clandestine. Ce qui l’a poussé à se cacher dans les forêts et terres boisées, dans la région de Oujda, en attendant le retour du calme. Ensuite, il a repris son chemin vers Rabat. Dans la capitale, il vit de petits métiers.
Un quotidien fait de racisme et d’intimidation
Le racisme constitue le plus grand défi rendant difficile l’intégration dans la société marocaine des jeunes subsahariens candidats à l’immigration. Ibrahima se souvient encore, et avec amertume, du jour des confrontations l’ayant opposé, lui et ses amis, avec un groupe de marocains à Rabat. «Insultes et injures à notre adresse, rien qu’en raison de la couleur de notre peau» argue Ibrahima. «Le racisme et la péjoration pour la simple raison qu’on est noir, nourrissent en nous un sentiment d’infériorité» a-t-il dit d’un ton triste. Mohamed ne cache pas sa peur. Il aurait vu de ses propres yeux des citoyens marocains égorger un émigré noir. La scène se serait déroulée au quartier Beni Makada, à Tanger.
Les souffrances d’Ibrahima avec la ségrégation n’ont d’égales que celles de Keïta avec l’expulsion. Keïta a été expulsé deux fois, selon ses dires. Mais, il était retourné, à chaque fois, au Maroc. Il attend sa chance pour traverser vers «le paradis européen».
Le jeune malien raconte sa première déportation: «Nous avons été perquisitionnés (par les forces d’ordre, ndlr) ; nos bagages ont été séquestrés et nous étions acheminés dans une voiture de police vers Oujda où nous avons été lâchés aux frontières avec l’Algérie». «Là-bas, a-t-il ajouté, nous avons passé quelques jours, jusqu’au passage de la tempête. Ensuite, nous avons repris de nouveau notre chemin vers Rabat». Le jeune poursuit avec le sourire : «C’est certes une histoire tragique ; mais, je ne perds jamais espoir».
Initiative politique d’intégration
En quête d’intégration progressive des migrants, les autorités marocaines ont pris une initiative politique surprenante aux yeux de l’opinion publique marocaine. Elles ont lancé une opération d’une durée d’un an, pour régulariser le séjour des étrangers résidents clandestinement sur le territoire du royaume.
Yacoub Cheikh, membre de l’Organisation démocratique des Travailleurs migrants au Maroc, pense que «Cette expérience a été couronnée de succès ; elle a réalisé des acquis louables en termes d’intégration des migrants et elle aura des résultats satisfaisants».
Mais, Keïta ne partage pas l’avis de Yacoub Cheikh. Car, ces mesures ne le toucheront pas, ni lui ni beaucoup de jeunes. Eux, ils n’ont pas bénéficié de l’initiative d’intégration.
Ces mesures concernent les demandeurs d’asile politique, reconnus par le Haut commissariat des Réfugiés (UNHCR) au Maroc. Elles concernent également les populations gérées par le Bureau des Réfugiés et apatrides auprès du Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération. Leur nombre est estimé à 853 personnes, dont un grand nombre d’enfants. Elles ont également conseillé 17.916 cas parmi 27.332 demandes de régularisation, déposées en 2014.
Cette opération d’intégration est mise en œuvre en coopération avec le Conseil national des Droits de l’Homme (CNDH). Elle vise les étrangers mariés depuis deux ans au moins à des marocaines, ainsi que les étrangers mariés depuis 4 ans au moins à d’autres étrangers résidents légalement au Maroc.
Les autorités mettent le point sur la création de «Bureaux d’étrangers». Ceux-ci seront disposés des moyens humains et matériels adaptés avec chaque département et région du royaume en vue de recevoir et suivre les demandes de règlement juridique.
Cette initiative d’intégration pourrait contribuer à l’ouverture d’une nouvelle page pour certains de ces migrants. Ce qui ne met pas fin à leurs efforts perpétuels visant à aller au paradis européen.