La terre n’en pouvait plus de les porter… Ils n’avaient donc d’autre solution que de fuir vers le nord. C’est ainsi que le rêve de partir en Europe a commencé de les travailler. L’« Europe de la délivrance » est un but qui mérite, pour être atteint, que les émigrés sacrifient tout ce qu’ils ont, tout ce qu’ils possèdent entre leurs mains et tout ce qu’ils ont économisé pour les jours difficiles. Ils sont partout, ici et là-bas à la fois… Et l’on pourrait même avoir la certitude que chaque ville marocaine a sont lot, important et considérablement croissant, d’immigrés africains. Ils pullulent entre mendiants et vendeurs de vêtements ou de produits de beauté ramenés spécialement dans le but de faciliter la réalisation du rêve de partir ou de s’installer au Maroc.
Nous vous proposons dans ce dossier de les écouter et de voir jusqu’à quel point leur situation s’est améliorée après l’arrangement juridique avec lequel le Royaume gère désormais les flux d’immigrés africains. Nous verrons s’ils sont toujours hantés par le rêve de partir ou si le choix de s’installer au Maroc devient une meilleure alternative pour eux.
Près de la mosquée de Souk Lahad, dans la ville d’Agadir, se tient une longue file d’Africains qui vendent des produits ramenés de leurs pays : bijoux, beurre de karité, habits, pierreries, savons et crèmes…
Dans un coin, se tient Ismaïl, 27 ans, dit dans un accent marocain mêlé à un peu de français : « Je viens du Sénégal, du fin fond du sud. Je n’avais jamais imaginé qu’un jour je viendrais m’installer au Maroc. J’ai été chassé de mon pays par les maladies et les guerres civiles et, avec ma petite famille, nous avons beaucoup erré. Malheureusement, ne pouvant résister davantage, mon père est décédé en cours de route… Ayant parcouru pendant des mois de longues distances à travers le désert du Mali et de la Mauritanie jusqu’à la frontière sud du Royaume, et s’étant déplacés d’un endroit à un autre pour fuir la police des frontières, le destin nous a enfin menés, ma famille et moi, au Maroc. Mais les peines et les tourments qui nous y attendaient n’étaient pas moins cruels que ceux que nous avons déjà eu à endurer pour atteindre ce premier objectif… ».
Il pousse un soupir et prend un verre d’eau comme pour ravaler un peu d’hésitation. Puis, après s’être assuré de notre identité et du but de notre enquête, il poursuit en disant : « Le Maroc n’était pour moi qu’un pont pour traverser vers l’autre rive. D’ailleurs, plus de huit fois, je suis monté à bord des barques des passeurs et, à chaque fois, je m’échouais, ramené par les vagues, sur les côtes du Royaume, à quelques kilomètres seulement de mon rêve de toujours… Mes économies épuisées, j’ai décidé de travailler dans le commerce et de quitter Tanger pour retourner vers Agadir où je me suis finalement installé. Aujourd’hui, je ne pense plus au départ et je préfère rester vivre au Maroc. Comme vous pouvez le voir, je vis de la vente des produits africains, je loue une maison pour ma famille, ma petite sœur va à l’école et nous avons des papiers officiels. Désormais, nous sommes donc des enfants de ce pays… ».
L’écoutant parler, Elise, une vendeuses africaine originaire du Congo, réplique : « Notre arrivée ici n’était pas du tout facile ; encore moins notre intégration d’ailleurs… car, pour la société marocaine, même si notre statut juridique a été régularisé, nous demeurons des intrus et nombreux sont les marocains qui nous perçoivent comme des concurrents commerciaux potentiels qui leur volent leurs clients ou comme de simples passants lourds à supporter pour leur pays. Nous souffrons vraiment beaucoup… Nous avons dormi à la belle étoile durant une certaine période parce que personne ne voulait louer sa maison à des Africains… Ce n’est pas tant par racisme que par préjugé… Cela a duré jusqu’à ce qu’on ait trouvé une petite maison où nous vivons à 22 personnes ».
Sophia a 24 ans. A présent installée à Casablanca, elle nous confie : « Il est vrai que j’ai décidé de m’installer au Maroc actuellement et que je n’y suis arrivée qu’au bout d’une longue série d’épreuves plus pénibles les unes que les autres : les marchandages des contrebandiers sur les frontières, les dangers de la route, le manque d’argent… Mais je ne compte pas m’y installer définitivement ; la mort de nombreuses personnes dans les villes de Sebta et de Mellila sur la barrière de fils barbelés m’a beaucoup terrifiée. La nouvelle loi de l’immigration nous a toutefois redonné le sentiment de sécurité qu’on avait perdu et nous n’évitons plus les policiers depuis. Je travaille dans le commerce des bijoux que j’achète et je revends tout comme je travaille dans le domaine de l’esthétique, en particulier la célèbre coiffure africaine à petites tresses, « Rasta », la pose des faux-cils et des faux ongles… autant d’activités qui me permettent de gagner mon pain chaque jour».
Soleiman, qui est âgé de 21 ans, est le moins chanceux des trois… et c’est celui qui tient le plus à partir. Il dit : « Je fais la manche pour quelques petits dirhams et avec un peu d’argent économisé, je n’hésiterai pas à réaliser mon rêve et à partir… je ne suis ici que de passage vers des sentiers plus cléments ».
Devenu terre d’accueil pour les immigrés, le Maroc a vu se multiplier par cinq le nombre d’arrivants venus des pays subsahariens. Cette multiplication expose le Royaume à de lourdes accusations portant sur les valeurs humanitaires et sur les droits de l’homme. C’est ce qui pousse le pays à prendre des mesures aptes à réfuter ces accusations et à rehausser son image en le présentant comme une terre de respect de l’autre et comme un asile accueillant les immigrés légaux dans le cadre des normes internationales et des engagements signés en matière de droits de l’homme. C’est d’ailleurs ce qui a donné naissance à une nouvelle politique globale de l’immigration.
Mohamed Ben Chakroune, chercheur en sciences de l’immigration et militant des droits de l’homme affirme à ce sujet : « La décision gouvernementale de délivrer des cartes de séjour aux immigrés africains désireux de s’installer définitivement au Maroc est une décision opportune et sage, puisqu’elle prend en considération les principes fondamentaux des droits de l’homme ratifiés par le Maroc. Par ailleurs, elle reconnaît implicitement l’importance du rôle que jouent ces immigrés dans le développement de l’économie nationale en acceptant de travailler dans beaucoup de secteurs difficiles et de réinvestir leur argent au sein du Royaume ».
Ben Cakroune explique encore que l’importance de cette procédure s’est clairement manifestée par le nombre de demandes présentées, puisque celles qui ont été acceptées dépassent les 20180 sur un total de 27130 dossiers déposés auprès des commissions sectorielles chargées de la procédure. Selon les rapports des commissions régionales du conseil national marocain des droits de l’homme, les citoyens sénégalais arrivent en tête des demandeurs de régularisation avec une moyenne de 24,15 %, suivis par les Nigériens avec 8,71 % et les Ivoiriens avec 8,35 %.
Les taux d’acceptation varient entre 78 % et 20 %, ajoute le militant, en expliquant que la région de Rabat arrive en tête du classement avec un total de 8481 demandes déposées, suivie de la région du Grand Casablanca qui a reçu plus de 6996 demandes, ce qui montre le degrés de réactivité des immigrés à la procédure de régularisation et révèle une réelle envie de s’installer de façon définitive au Maroc.