A Guelmim, Ouerzazat ou Tan-Tan ou, encore, Tiznit, les élections ne font pas autant d’écho que dans d’autres villes, plus ‘quottées’, du Royaume marocain, notamment auprès des jeunes. Dans ces villes, il n’y a ni effervescence électorale traduisant un activisme politique évident, ni des slogans de boycottage des élections ou autre manifestation de contestation consciente. La vie poursuit son train-train quotidien au rythme habituel.
Hassan, un diplômé d’informatique de 23 ans, rencontré à Guelmim, résume cette situation en disant : « Il y a un rejet grandissant des partis politiques chez la jeunesse, en raison de leur incapacité à changer la réalité. Donc, nous ne boycottons pas les urnes. Mais, nous avons perdu confiance en ces acteurs politiques qui sont censés représenter nos intérêts et concrétiser le changement recherché par tout le monde ».
Hassan préfère éviter le terme ‘boycottage’, trop politique à ses yeux. Il préfère qualifier la situation d’indifférence qui continue à prendre le dessus chez un large éventail de la jeunesse marocaine malgré les campagnes de sensibilisation visant cette catégorie. Hassan pense que « la majorité des jeunes marocains ne croient plus que les acteurs politiques, présents actuellement sur la scène, ont la capacité de produire un véritable changement ».
En lui demandant d’expliquer ses raisons, Hassan hésite un peu avant de lâcher : « Les partis politiques ne se rappellent de nous qu’à la veille des urnes, pour balancer des promesses qu’ils ne réalisent jamais ». Le jeune devient brusquement surexcité et dit : « aucun parti politique n’est venu nous solliciter pour élaborer son programme électoral et intégrer nos doléances ». Il reproche aux partis de n’accorder les sièges ‘gagnants’ que pour les personnes âgées.
Même son de cloche chez la jeune Aïcha, ingénieur originaire de Tiznit et travaillant à Ouerzazat. « Quel intérêt pourrais-je dégager en allant voter aux élections », s’interroge-t-elle, traduisant un esprit matérialiste de plus en plus présent chez la jeunesse actuelle. « Les partis politiques utilisent les jeunes pour le décor. Mais, leurs dirigeants mettent leurs proches lorsqu’il s’agit d’affectations professionnelles ou de postes », dit-elle insurgée. D’où son refus de voter et de participer aux élections.
Hamid, un jeune diplômé chômeur de Tan-Tan a refusé de parler au début. Pour lui, même la presse est complice de ce qui est en train d’arriver à la jeunesse. En lui promettant de transcrire ‘au mot’ ses phrases, il a dit : « la politique et la gestion de la société restent exclusivement des missions réservées aux grandes personnalités expérimentées, qui méprisent continuellement les jeunes, en les mettant à l’écart. Certains jeunes crédules continuent malheureusement à les suivre ».
Ces points de vue, exprimés fin septembre 2016, confirment les résultats de l’enquête faite par l’Organisation marocaine des jeunes décideurs (OMJD), à la veille des élections communales et régionales du 4 septembre 2015. Laquelle enquête a révélé que : « 91% des jeunes jugent que la communication entre les politiciens et les jeunes est insuffisante ou nulle » et que « 68% des jeunes estiment que les hommes et les femmes politiques ne pensent qu’à leurs intérêts personnels ».
L’enquête de l’OMJD a également montré que, seulement 4,15% des jeunes interrogés sont membres d’un parti politique. L’action de cette ONG vise à « renforcer la présence des jeunes universitaires au niveau des postes de responsabilité entrepreneuriale, développer leur conscience politique et les sensibiliser par rapport à la gestion de la chose publique ».
L’expert en communication, Rachid Belghithi, ne partage pas complètement cette approche. Pour lui, « il ne fait l’ombre d’un doute qu’avec l’internet et les réseaux sociaux, les jeunes s’expriment plus ». Pour Belghithi, ce n’est pas l’intérêt qui manque. Mais, c’est la suite qui fait défaut puisque les réactions ne dépassent pas l’expression des opinions sur les méthodes de gestion des affaires publiques, sans aller de l’avant.
L’expert pense que « lorsque les jeunes sont appelés à participer à la prise de décision, ils restent passifs et cela pour deux raisons essentielles. D’une part, ils refusent d’être catalogués sous une étiquette ou appartenir à un parti dont ils ne partagent pas les orientations à 100%. Les jeunes craignent d’être manipulés et utilisés comme un pion dans une stratégie qui les dépasse. D’autre part, les jeunes ne veulent pas être associés à cette image négative donnée par l’environnement politique actuel ».
Belghithi reproche par ailleurs aux responsables des campagnes de sensibilisation leur passivité. Leur devoir, c’est de guider ces novices et leur démontrer que la participation à la chose publique est une chose primordiale. L’expert ne manque pas, non plus, de critiquer les jeunes qui assument, selon lui, en partie, la responsabilité de ce constat : l’indifférence des jeunes par rapport à la chose publique, qualifié de normal du fait que ces grands adolescents s’enferment dans leur petit monde, à la recherche de satisfactions personnelles et ne s’engagent pas dans la vie collective malgré les difficultés.
Alors, jusqu'à quand les jeunes marocains vont-ils demeurer passifs et subir une vie politique dont ils ne sont ni les concepteurs ni les contributeurs, notamment en ces moments cruciaux ?