Mais dès qu’il y a proposition d’enregistrer, même uniquement leurs voix, elles refusent catégoriquement de peur de perdre leur unique gagne pain. D’autre part, il y a lieu de remarquer des yeux qui surveillent de temps en temps, même si tu as bien caché les raisons de ta présence à cet endroit.
C’est ainsi que nous nous sommes rendus à Houara, une région soussienne située au centre de Souss entre Agadir et Taroudant, connue par l’agriculture, notamment les agrumes. Le secteur agricole a proliféré dans cette région qui est devenue l'une des régions les plus importantes du Maroc, aussi bien pour les circuits internes qu’externes. Le secteur des agrumes permet de faire travailler une main d’œuvre importante, que ce soit des habitants de la région ou des arrivées en provenance des différentes régions du royaume qui travaillent dans les usines d’emballage ou dans les champs.
Les femmes constituent la majorité des travailleurs dans ces champs. La plupart d’entre elles viennent des différentes régions marocaines à l’instar d’Essaouira, Jadida, Asfi, Beni Mlel, etc. Elles ont préféré cacher leurs visages sous des écharpes afin d’éviter les regards de mépris et le harcèlement constant au quotidien, en dépit du fait qu’elles vivent dans des conditions difficiles.
Leur seul souci c’est de gagner quelques dirhams leur permettant de garder leur dignité en tant que femmes marocaines. La première chose qui attire l’attention au village de Oulad Teïma, la capitale de Houara, ce sont les troupes de femmes qui se déplacent, individuellement ou en groupe, aux premières heures du matin, tout au long des avenues Hassan 2 et Mohamed 5, venues des quartiers de Korsi, Cheninat, Boukhris et Ratim. Il s’agit de quartiers populaires habités par des travailleuses en raison de leurs loyers modestes.
En se rendant quotidiennement dans les champs de la région, on les voit tentant de monter dans des pick-up ou des camions dédiés à leur transport dans une scène inhumaine, collées les unes aux autres. Parfois, elles prennent le même transport avec les hommes et un calvaire d’un autre genre commence. Ces femmes, célibataires, mères célibataires, divorcées ou mariées qui ne cherchent qu’une source de revenus ne dépassant pas les 350 dirhams par semaine (50 dirhams par jour) nous ont raconté, en cachette, leurs histoires.
Zahra est l’une d’entre elles. Mariée et mère de cinq enfants, elle travaille dans les champs de Houara. Elle a choisi de travailler dans les champs contre 50 dirhams par jour afin d’aider son mari à subvenir aux besoins de la famille. La souffrance de cette dame commence aux premières heures de l’aube. Elle se réveille à 4h du matin pour préparer le petit-déjeuner et le déjeuner, avant de partir au travail vers 6h du matin. Travaillant 10 heures par jour, elle laisse sa fille de 4 ans chez sa mère qui habite à côté de chez elle.
Quant à Wafa, 35 ans, elle nous a raconté, difficilement, son histoire : « les circonstances m’ont conduite ici. Je suis originaire de Beni Mlel où j’ai été violée. Ma famille m’a reniée et chassée. Heureusement, j’ai fini par rencontrer mon mari avec qui j’ai eu deux filles. Il m’a toujours soutenu. Maintenant, c’est à moi de l’aider. Ma fille aînée a 15 ans et c’est elle qui s’occupe de sa petite sœur, de la maison et de ses études quand je suis au travail. Je subis le froid, la chaleur, les insectes, la maltraitance et même le harcèlement pour mon mari et mes filles. Je ne veux pas qu’elles endurent ce que j’ai enduré ».
Sakina, elle, est une jolie fille qui n’a pas eu la chance de poursuivre ses études. Elle est chargée de subvenir aux besoins de sa famille depuis le décès de son père : « Ma situation ne diffère pas de celles des autres femmes du champ. Je me réveille à l’aube pour préparer le déjeuner pour ma famille et puis je me rends sur la route où on choisit les travailleuses. Je dois y être avant 5 heures du matin, en attendant l’arrivée des véhicules pour nous emmener aux champs. Le salaire varie entre 50 et 70 dirhams par jour contre le remplissage d’environ 30 caisses d’oranges ou d’agrumes. A 19 heures, nous rentrons chez nous. Ce travail est laborieux, mais nécessaire pour subvenir à nos besoins ».
Mohamed Fertal, un activiste dans la région atteste que les femmes qui travaillent dans les champs subissent une maltraitance honteuse : « elles endurent le froid, la chaleur, en plus des insultes et de l'humiliation et souvent l’harcèlement sexuel qu’elles sont obligées parfois d’accepter pour une augmentation ou pour ne pas perdre leur emploi. Tout ceci est connu, mais le silence règne ».
L’avocat Abdelhak Naceri affirme les dires de Fertal, en indiquant que le code du travail marocain ne porte pas d’attention particulière au travail saisonnier sauf en ce qui concerne les dédommagements suite aux accidents de travail. Il affirme que dans les champs, même ce droit est bafoué puisque les patrons ne déclarent pas les travailleuses : « ils profitent de la nonchalance de la loi marocaine par rapport aux travailleurs saisonniers pour engager les travailleuses à longues durée en tant que travailleuses provisoires avec des contrats oraux ».
Ces femmes vivent des conditions humiliantes qui troquent leurs espoirs et leurs droits contre quelques dirhams leur permettant, à peine, de survivre.