Ce genre de mariage est une tradition de jadis. Le fait de préserver la lignée, de garantir la survie d'un groupe sans qu'il soit mêlé à un groupe étranger, figure parmi les plus importants objectifs de ce genre mariage. Ce dernier se porte comme un garant contre la disparition d'une famille. Il prémunit les familles contre le risque de s'effacer suite à une alliance avec d'autres familles étrangères.
Il est, toutefois à noter que, lorsqu'il concerne plusieurs générations, le mariage des proches est pointé du doigt dans la reproduction massive des caractères génétiques problématiques. Le mariage consanguin est en effet responsable de l'affaiblissement reproductif. L'on parle alors de mariage consanguin, de mariage interne, ou de mariage endogamique ou de mariage de filiation unilinéaire.
Les tribus de la ville de Laâyoun, ou capitale du désert, comme ses habitants aiment l'appeler, ont des visions différentes de comment doit être le mariage. Certains aimeraient que leurs filles épousent n'importe quel homme du moment qu'il ait une haute moralité et qu'il soit un bon croyant.
D'autres tribus en revanche, tiennent à ce que leurs filles n'épousent qu'un membre du lignage même s'il ne possède pas de biens. Il suffit qu'il soit le descendant du même ancêtre et qu'il garantisse la pérennité de l'arbre généalogique de la tribu, classée souvent parmi les tribus nobles, pour qu'il soit considéré comme un bon prétendant pour leurs filles.
Quant à ces dernières, il s'agit souvent de vieilles filles qui attendent en vain des cousins qui ne se sont jamais présenté. Elles se retrouvent avec des cheveux blancs et des rides aux visages. Le cas échéant, il s'agit tout aussi souvent de femmes qui ont épousé, de force, leurs cousins. Leurs rêves de convoler en justes noces avec les hommes que leurs cœurs ont choisis sont avortés. Et pour cause, les élus de leurs cœurs ne sont pas la descendance du même lignage!
Quant à la troisième catégorie, il s'agit des femmes qui ont boycotté le mariage parce que leurs prétendants appartenant à la même tribu, ne conviennent aucunement à leurs aspirations de femmes conscientes de l'amertume de leur réalité et qui se sont résignées à ne jamais entrer dans la cage d'or puisqu'elles sont convaincues de ne jamais pouvoir trouver un quelconque autre accord.
L.J. est une dame divorcée. A travers son regard terne et le malheureux sourire qu'elle se force à dessiner sur son visage, L.J. essaye de donner l'image de la dame joyeuse même si les traits de son visage la trahissent et révèlent sa profonde tristesse que même des larmes ne sauront traduire.
Elle dit que dans la famille "on n'épouse que nos cousins et c’est une bonne chose. Ne prenez surtout pas ceci pour du racisme ou de la rigidité... Même si je ne me suis mariée qu'après l'âge de 35 ans, et en dépit du fait que l'homme que j'ai aimé soit bien mon cousin et qu'il ait épousé ma sœur, je cautionne le mariage entre cousins.
J'enseignerai à mon fils, âgé de 5 ans, le respect de cette tradition et je ferai en sorte qu'il soit conscient que sa cousine est son "pantalon". (ce qui veut dire que la cousine préserve la dignité de l'époux puisqu'elle n'osera jamais le dénoncer, le ridiculiser ou le rapetisser)
Le mariage de Mme L. est le fruit d'un accord préalable entre différents membres de la tribu. Ces derniers ont passé un deal pour qu'elle ait le droit d'avoir un enfant qui la prendra en charge en temps de vieillesse. Le "bénévole" a mené à bien sa mission, il a mis Mme L. enceinte. Tout de suite après, il l'a répudiée avant que son enfant ne vienne au monde.
Celui qui s'est habituée à vivre une situation bien déterminée, ne se rend décidément pas compte de l'ampleur de son mal qu'une fois il a pris du recul. C'est justement le cas de Mme A.N. une dame instruite et active qui s'est rebellée contre la réalité de sa tribu après avoir terminé ses études en France. A.N. a brisé la coutume et s'est mariée avec un "étranger" qui est issu du Nord du Maroc. Et ce, contre la volonté de sa famille qui n'a d'ailleurs pas assisté à son mariage. L'homme en question s'est pourtant présenté à la famille pour demander la main de sa bien-aimée, mais la famille a refusé...
"Cette histoire a eu lieu il y a douze ans déjà", dit A.N. après avoir lancé un profond soupire qui en dit long sur sa peine. Et d'ajouter " Je me rappelle comment mon père, que Dieu ait pitié de son âme, m'a virée de la maison. Je me rappelle comment mes frères ont tenté de me violenter", se rappelle-t-elle avec des yeux pleins de larmes.
"J'étais une fille rebelle. Je suis une passionnée qui s'est révoltée contre toutes les règles de la tribu. Toutefois, je ne me suis jamais rebellée contre mon père. Et je n'ai jamais été une mauvaise sœur non plus. Je savais tout au fond de moi que les membres de ma famille en ont marre de la tribu et de ses règles désuètes, tout comme moi.
Ceci m'a laissé croire que mon père, de qui je tiens mon caractère rebelle, ne pourrait pas me renier. Je me disais qu'il se fâcherait peut-être durant quelques jours comme il l'a toujours fait, mais que les choses rentreraient dans l'ordre. Je croyais qu'il appréciait mon audace et que sa colère contre moi n'était autre qu'une mise en scène pour sauver la face devant les membres de la tribu...
Sauf que, année après année, mon père refusait toujours de me recevoir, il n'a accepté de me voir avec mes enfants que lorsqu'il était sur le lit de la mort... (Elle a plongé dans une crise de pleurs). Je ne l'ai vu qu'après sept longues années de douloureuse séparation, des années qui ont été couronnées par la séparation définitive du décès. Et tout ceci est pour la tribu... Rien ni personne ne peut aujourd'hui me faire oublier la perte de mon père"...
Pour comprendre les tenants et les aboutissants du mariage consanguin, nous avons contacté M. Ali Chaâbani, Professeur et chercheur en sociologie qui a expliqué que le fait de se limiter au mariage entre cousins au désert, tient son origine de l'histoire des anciennes sociétés arabes où autrefois le mariage était ou bien intérieur au groupe ou bien extérieur à ce groupe.
Notre interlocuteur a précisé que l'homme des sociétés anciennes n'était pas conscient de la gravité du mariage consanguin dont les conséquences se répercutent sur la santé de la progéniture. Ces faits ne se sont avérés que grâce au développement de la médecine et à la recherche scientifique et génétique. "Cette découverte scientifique a poussé les sociétés à s'opposer à ce genre de mariage. Sauf que certains groupes continuent de cautionner ce genre de mariage pour préserver l'intégrité de la famille et le lignage et pour préserver les intérêts financiers qui impliquent d'empêcher tout mariage avec des étrangers à la tribu.
Et même si la majorité des mariages consanguins finissent par des divorces et des querelles, et contrairement à l'adage populaire" fuis ton sang pour qu'il ne te corrompt pas ( fuis le mariage avec tes cousins pour que le mauvais sort ne se rabat pas sur toi), il est difficile d'éradiquer totalement cette tradition de marier les proches.
Le professeur Ali Chaâbani ajoute par ailleurs que la société du désert n'est pas la seule à pérenniser cette tradition dans la mesure où le mariage des proches continue d'être toujours d'actualité aussi bien auprès d'autres sociétés qui se trouvent au nord et à l'ouest du Maroc que dans d'autres pays. "Plusieurs sociétés privilégient encore le mariage des cousins et restent fermées face aux nouvelles valeurs et aux nouvelles civilisations qu'elles refusent de fond en comble".
Il a donné l'exemple des "territoires de lignée" au Maroc ou la tribu ne donne son héritage qu'aux mâles privant ainsi les femmes de leur droit d'hériter en dépit du bond que l'Etat a marqué en matière des droits et des libertés, ce qui traduit la mainmise qu'a la tribu même face aux lois de ce pays.