D’un accent amazigh, Amina, cette femme âgée de 44 ans, nous raconte sa journée : « Je me lève parfois quand j’entends, au petit matin, l’appel à la prière et je me rends au canal plus d’une fois par jour ». « Nos besoins en eau sont importants et augmentent surtout pendant l’été. Ce n’est pas seulement pour boire, mais aussi pour le bétail, pour nous laver, pour nous rafraîchir et pour plusieurs autres choses… », explique-t-elle encore.
Nous faisant part des amères conditions de vie dans la région, notre interlocutrice ajoute : « C’est à peine si la quantité d’eau fournie par le canal suffit à satisfaire les besoins des habitants des douars assoiffés. Les autorités locales, quant à elles n’interviennent que pendant le mois du Ramadan pour fournir aux citoyens des citernes qui arrivent parfois et n’arrivent pas souvent... ».
Amina n’est pas la seule qui doit se soumettre chaque jour au supplice de l’eau. Dans cette région dépourvue des conditions minimales de la vie digne, d’autres femmes venant des douars d’Ayet Lahbib, de Takelkoulet, de Tanout Noumerdoul (situés à près de 70 kilomètres de la ville de Tanghir dans le sud-est du Maroc) portent le même fardeau et doivent comme elle faire face aux mêmes difficultés.
Il s’agit de mères de familles qui ont pris l’habitude de se rendre au canal deux, trois, voire quatre fois par jour ; certaines à dos d’ânes, d’autres à pieds. Chargées de leurs bouteilles d’eau en plastique, elles arrivent et attendent patiemment, chacune son tour, avant de les remplir et de refaire le même parcours pénible pour retourner chez elles.
Avec les sécheresses qui traversent la région et qui peuvent parfois durer jusqu’à sept longues années, voire même davantage, les habitants de ces contrées qui n’ont tiré aucun profit des réseaux de ravitaillement en eau potable, sont obligés de compter sur les oueds, pourtant taris, sur les canaux et sur les puits dont la profondeur atteint parfois plusieurs centaines de mètres, comme nous l’explique le correspondant de Dunes Voices.
Quant aux raisons pour lesquelles cette région, ainsi que les douars voisins, n’ont pas été reliés au réseau de distribution d’eau potable, Hammed Acherouit, président de l’Association pour le Développement de Takelkoulet, nous explique que « le problème remonte à l’accord signé depuis 2006 entre le Bureau National de l’Eau et de l’Electricité et le groupe communal du district d’Alnif. En effet, le groupe avait payé la somme de 450 millions de centimes audit Bureau pour que les trois douars soient reliés au réseau de distribution d’eau potable, sans que rien de tout cela n’ait été fait jusqu’à ce jour ».
« Les citoyens avaient bien reçu des promesses pour l’exécution de leur projet en même temps que celui du centre d’Alnif ; mais si ce dernier a bien pu en bénéficier, les trois douars, eux, en ont été exclus », poursuit le militant de la société civile.
Force est de constater que, jusqu’à ce jour, les autorités locales n’ont pas trouvé de solution au problème. « Nous avons organisé des rassemblements de protestation et nous avons porté plainte auprès des ouvriers de Rachidiya (à près de 200 kilomètres de la zone selon l’ancien plan régional), en plus d’autres pétitions auprès des ouvriers de Tanghir, région dont nous faisons partie actuellement. En 2010, nous avons prié l’ingénieur du district d’accélérer l’exécution du projet et nous avons obtenu des promesses de sa part… mais nous n’avons plus confiance, du moment que nous ne voyons toujours pas de travaux en cours », poursuit Acherouit.
Le 9 mai dernier, le conseiller Mustapha Achelwaw qui appartient au parti du Mouvement Populaire a présenté sa démission du district d’Alnif, en signe de protestation contre les atermoiements des autorités de tutelle à relier les trois douars au réseau de distribution de l’eau. De plus, dans des déclarations qu’il a faites à des médias locaux, il a affirmé qu’il était honteux que les citoyens soient privés du droit élémentaire de l’accès à l’eau potable et que les mères de familles soient obligées de se déplacer quotidiennement vers des zones lointaine pour en ramener.
S’exprimant au micro de Dunes Voices, Lemghari Sidi Mouh affirme pour sa part que « les citoyens n’en peuvent plus d’endurer les conditions lamentables dans lesquelles ils vivent depuis que leurs demandes ont toutes été ignorées ». « Je fais partie de ceux qui, depuis les années 90 du siècle dernier, avaient revendiqué le droit d’être reliés au réseau de distribution de l’eau potable mais nous n’avons jamais été entendus de sorte que l’on parvienne à une solution au problème », continue-t-il avec regret.
Commentant le fait que les douars d’Ayet Lahbib, de Takelkoulet, de Tanout Noumerdoul soient privés de l’eau potable, Mohamed Ben Youssef, chef du groupe d’Alnif explique que les première lueurs d’une possible solution au problème remontent à l’année 2014, quand le Groupe avait payé la somme de 450 millions de centimes au Bureau National de l’Eau Potable afin qu’il se charge de l’exécution et du suivi du projet, comme le stipule un contrat signé entre les deux parties.
« Le Groupe n’assume pas la responsabilité des atermoiements manifestés dans l’exécution du projet, du moment qu’il s’est acquitté de ce qu’il doit au Bureau National de l’Eau Potable à cette fin, de même qu’il est en train d’assumer les charges financières de la consommation quotidienne des trois douars sans que les habitants démunis y soient impliqués », assure Ben Youssef.