« Les Sans-abri »… Tel est le nom que leur donne la société, même si « les Oubliés » semble mieux décrire leur réalité. On les voit errer, perdus à travers les rues, avec pour seule ambition de trouver un endroit chaud où passer la nuit. Il n’est d’ailleurs pas étonnant de voir certains d’entre eux dormir sur une quelconque tombe, persuadés qu’ils sont que les morts ont plus de chaleur que les vivants.
« Ma fille a six enfants. Elle vit avec son mari et ses enfants dans une toute petite chambre et dans des conditions extrêmement difficiles. C’est pourquoi il est plus digne pour moi de partir vivre dans la rue plutôt que de rester dans un endroit où je me sentirais lourd comme un fardeau sur le dos de ses occupants… ». C’est ainsi que Mohamed résume les circonstances qui l’ont poussé à choisir une vie de solitude errante à travers les rues de Tanger au nord du Maroc, renonçant ainsi à la chaleur familiale et à la bienveillance des amis. « Mais malgré les difficultés d’une vie errante par le temps pluvieux qu’il fait, je ne désespère pas de trouver une maison où je m’abriterais du froid et des mauvais traitements que m’infligent certaines personnes », ajoute notre interlocuteur.
Ce vieillard de 72 ans explique également qu’après avoir passé plus de cinq longues années dans la rue, il a pu mesurer toute l’exclusion et la marginalité que doivent subir les membres de sa catégorie sociale dès lors que, pour une raison ou une autre, ils se retrouvent exposés aux froids de l’hiver et aux canicules de l’été, seuls, sans soutien ni compagnie. A la question de savoir pourquoi il n’a pas intégré une structure de prise en charge des personnes âgées, il nous répond que ces établissements ne sont plus fréquentés que par les personnes atteintes de démence, ce qui pousse l’administration à les enfermer dans leurs chambres et à leur interdire d’en sortir. Mohamed, qui s’était habitué à la liberté et à la vie de la rue ne pouvait pas accepter cette vie.
Des aides, pas des solutions…
Pour sa part, Samir qui est âgé de seize ans, assure que c’est son choix de quitter très tôt les bancs de l’école et son rêve de partir loin du pays qui l’ont poussé à se jeter dans les bras de la rue, loin de sa famille et de ses amis. Les morts qui peuplent les cimetières avaient, dit-il, plus de respect pour ses décisions et pour ses choix que les vivants et sont donc à ses yeux plus dignes de partager le plus clair de son temps, le jour, et d’accompagner son sommeil la nuit. Par les temps pluvieux, quelques grands arbres lui suffisent pour se protéger des averses.
Samir affirme que les associations actives dans la ville ne proposent pas de solutions réelles à leurs problèmes, se contentant seulement de leur offrir quelques repas de façon épisodique, en plus de quelques vêtements qui se transforment très rapidement en haillons avec les aléas de la rue. Quant aux couvertures qu’on distribue pendant l’hiver, elles leurs sont souvent confisquées par les sans-abris plus âgés ou plus forts qu’eux…
Ismaïl Al Achiri, militant associatif actif dans le domaine du soutien aux sans-abris, considère que le problème des gens qui vivent dans la rue représente un véritable point noir et un dossier que l’état ferait mieux de résoudre au plus vite, étant donné la gravité d’une telle situation sur l’avenir de cette catégorie sociale, ainsi que les retentissements que cette question peut avoir sur la paix sociale.
Al Achiri déplore par ailleurs l’absence de statistiques et de chiffres officiels pouvant renseigner avec exactitude sur le nombre des sans-abris qui peuplent les rues marocaines et dont beaucoup sont mineurs ou atteints de troubles mentaux. Il assure également que les centres et les organismes sociaux travaillant à apporter de l’aide à cette population souffrent à leur tour de multiples manques au niveau des ressources matérielles, logistiques et humaines.
Clôturant les déclarations qu’il a accordées à Dunes Voices sur cette question, le militant explique enfin que ces différentes contraintes et insuffisances sont cause que le phénomène ne cesse de s’aggraver et que les sans-abri continuent à envahir les rues et les ruelles au lieu d’être admis dans les centres de soutien social ou dans des établissements de santé.
Plus de trente mille personnes vivent dans la rue
Saïd Achaâli, chercheur en sociologie, assure quant à lui que les dernières statistiques, non officielles d’ailleurs et élaborées par nombre d’associations marocaines et françaises, ont montré que plus de 30 mille personnes, âgées pour la plupart de moins de 22 ans, se trouvent sans abri pour des raisons multiples.
Le chercheur explique que la plupart des personnes recensées se sont trouvées dans cette situation à un moment donné de leur vie parce qu’elles sont venues au monde suite à des relations sexuelles illégales, parce que leurs pères ont refusé de les reconnaître ou à cause de conflits familiaux ayant différentes raisons. Il précise par ailleurs que la population féminine des sans-abris se compose majoritairement de victimes d’agression sexuelles les ayant, entre autres facteurs, menées vers cette situation.
Achaâli ajoute encore que la précision de ces chiffres demeure insuffisante, dans la mesure où il n’existe pas de statistiques officielles qui corroborent ces résultats. Il estime même que la situation est encore plus grave, étant donné la faible croissance économique, ainsi que la propagation scandaleuse de la pauvreté, de l’analphabétisme et de l’ignorance ; autant de facteurs qui font gagner de plus en plus de terrain au phénomène.
En l’absence de solutions efficaces à ce fléau, la rue demeure l’unique abri qui accueille ces pauvres âmes errantes à bras ouverts, sans se soucier des raisons ni des circonstances qui les ont poussés à en arriver là. Espérons qu’un jour, ces pauvres personnes verront enfin naître des initiatives qui les repêcheront de cette souffrance et leurs rendront leur humanité et leurs droits citoyens.