Mais les Amazighs marocains revendiquent aujourd’hui la reconnaissance du nouvel an amazigh comme jour férié. Ils souhaitent que leur calendrier, "Idh Yanayer", dont le début coïncide avec le 13 janvier, soit officiellement reconnu et célébré.
Le calendrier amazigh :
C’est un événement historique qui a marqué le début du calendrier amazigh : la victoire que le roi amazigh "Chichong" avait obtenue sur les Pharaons sous le règne de Ramsès II. Un événement qui date de 950 années avant le début du calendrier chrétien ; autrement dit, avant la naissance de Jésus-Christ.
Aussi le calendrier amazigh est-il considéré comme l’un des plus anciens jamais utilisés à travers les âges : il est utilisé par les Amazighs depuis 2966 ans. Contrairement aux calendriers chrétien et musulman, le calendrier amazigh ne serait donc pas lié à un événement religieux ni spirituel.
Des études avancent toutefois que le calendrier amazigh serait relié à la nature. En effet, selon certains chercheurs le premier jour de l’année amazighe marquerait la séparation de deux périodes : celle du froid glacial et celle du temps clément. De même, il est considéré comme le départ annuel de la réalisation des travaux des champs et c’est pour cela d’ailleurs qu’on le désigne aussi comme le premier jour de l’année agricole. Les mêmes chercheurs considèrent également que les festivités qui honorent le jour de l’an amazigh prouvent le profond attachement de cette communauté à la terre qu’ils ont toujours aimée et traduisent leur perception de la vie en général. En effet, l’on peut facilement observer que les différents rituels pratiqués dans les pays célèbrant le nouvel an amazigh font référence aux différentes activités agricoles telles que la semence, la plantation ou l’élevage. C’est ce qui explique que la saison agricole démarre ce jour qui est accueilli et fêté comme le présage d’une récolte florissante et prospère.
Dunes Voices invité chez une famille amazighe…
Chez les Amazighs du Maroc, le nouvel an est un événement majeur. En effet, à travers la plupart des villes et des provinces marocaines, de nombreuses festivités se tiennent à la gloire de la terre, de l’homme et de la liberté, en plus des revendications culturelles.
D’une voix joyeuse et vibrante, Fatma, militante de la société civile âgée de 53 ans, nous accueille dans sa maison à Agadir pour nous parler du calendrier amazigh et des festivités organisées par les Amazighs de " Souss" dans le sud du Maroc. Elle nous souhaite la bienvenue, avec une expression amazigh : « Azul Flewen daskes iguaden », ce qui signifie : « Soyez les bienvenus et bonne année ».
Evoquant les célébrations marocaines de cette journée, elle explique : «les rituels, les traditions et les usages pratiqués lors de ces festivités varient d’un pays à l’autre et même d’une région à l’autre du même pays. Au Maroc, par exemple, les Amazighs de "Souss" ne célèbrent pas le nouvel an de la même manière que ceux du Rif ou des deux Atlas, même s’il existe une tradition commune à toutes les régions et qui consiste pour les femmes à préparer, durant les derniers jours de l’année mourante, des plats spéciaux dont les composantes varient d’une région à une autre, suivant leurs particularités agricoles ».
Mohamed Idoumghar, chercheur en culture amazighe précise : « dans les deux Atlas, aussi bien le Petit que le Grand, les habitants échangent leurs vœux de bonne année ce jour-là. Très souvent, ces festivités se célèbrent entre parents et voisins qui dansent et chantent, pendant que les femmes s’affairent à la préparation de la soupe "Orkimen". Il s’agit d’un bouillon cuisiné à base de graines cultivées cette année-là, y compris du maïs. Les femmes font tout ce qu’elles peuvent pour achever la cuisson de cette soupe avant le coucher du soleil, afin de pouvoir en distribuer une partie aux enfants qui font le tour des maisons en chantant d’une seule et même voix : " Orkimen ! Orkimen ! Orkimen ! ". Cette soupe est considérée comme un des mets incontournables que toute famille amazighe se doit de déguster le soir du nouvel an, tout en préparant d’autres plats, selon les moyens dont elle dispose…Il est fort probable que ce soit cette soupe-là qui, en évoluant à travers le temps, a fini par donner la célèbre "Harira" que les Marocains ne se lassent jamais de manger, notamment durant le mois du Ramadan ».
Par ailleurs, à cette occasion, les habitants consomment de grandes quantités de viandes, en particulier les volailles qui sont égorgées au seuil des maisons afin de repousser tous les maux susceptibles de frapper l’être humain. De même, le couscous est préparé avec de la farine d’orge et toutes sortes de graines, ainsi qu’avec les légumes de la région de l’Atlas. Sur les tables se dressent les assiettes traditionnelles appelées "inoudha" et qu’on remplit de fruits secs… Les femmes auront préalablement pris soin de bien nettoyer et décorer les maisons, tandis que les hommes auront planté dans les champs de longues branches de roseaux afin que les fruits soient meilleurs et qu’ils poussent plus vite. Les enfants, eux, cueillent des fleurs et des roses pour les accrocher aux entrées des maisons et recouvrent le sol des poulaillers d’herbe tendre. Tout le monde met des habits neufs, les petits garçons sont emmenés chez le coiffeur et on l’on tresse les cheveux des fillettes.
Dans la région de Haha, dans le sud du pays, aux alentours de la ville d’Essaouira, les femmes montent sur les toits des maisons avant de se coucher, dans la nuit du nouvel an, et y placent trois bouchées de nourriture. Le chiffre symbolise les trois premiers mois de l’année : janvier, février et mars. Et afin de solliciter la pluie, elles jettent un peu de sel sur les bouchées de nourriture. Le lendemain, dès qu’elles sont levées, elles montent les inspecter, persuadées que c’est la bouchée qui a reçu le plus de sel qui correspond au mois qui sera le plus pluvieux.
Dans le Rif, plus précisément au sein de la tribu d’« Ibegouine », deux jours entiers sont réservés à la célébration de l’arrivée du nouvel an. Ainsi, lors de la première journée, qu’on appelle dans le dialecte de la campagne " Es Nethcharit Inoudha " (" la journée où l’on remplit les assiettes traditionnelles fabriquées en halfa "). En effet, ces assiettes sont remplies de toutes sortes de fruits secs (amandes, figues séchées, raisins secs, pois chiches et fèves…). Les femmes préparent également de grandes quantités de galettes comme le "msammen" ou le "baghrir", pendant que les enfants du village se divisent en groupes pour faire le tour des maisons en scandant : « Yanoub, yanoub… ». C’est alors que les maîtresses des maisons offrent à chaque groupe d’enfants des fruits secs et des galettes.
Il arrive aussi que les gamins s’arrêtent devant la maison d’un couple nouvellement marié et se mettent à chanter : « Yanoub, yanou… Athesrit Ana enjedhidh… Aouchana chaway netridh… nigh em noorodh dh kouperidh… ». (« Notre nouvelle mariée… donnez-nous quelques galettes… Sinon, nous vous barrerons la route… »). Le deuxième jour, les femmes préparent un dîner spécial, le plus souvent à base de poulet.
Tout en s’avançant vers nous pour nous inviter à goûter au délicieux plat de la "takla" préparé avec du blé, du miel et de l’huile d’argan, Fatma nous dit : « Nous sommes très heureux que le Maroc ait reconnu la langue amazighe comme langue officielle du pays et nous nous réjouissons du fait qu’elle soit désormais enseignée dans les écoles primaires. Car cette terre a toujours été amazighe, elle l’est encore aujourd’hui et elle le restera à jamais. Avec cela nous voulons aussi que l’année amazighe soit reconnue et que lui soit réservée une fête officielle et nationale, au même titre que l’année grégorienne et hégirienne. Notre joie n’est donc pas complète et nous maintiendrons nos revendications jusqu’à ce qu’elles soient entendues ».
Khaoula JAIFRI