Le Maroc fait partie des pays où cette violence contre les femmes connait une expansion sans précédent malgré les efforts consentis par les organisations non gouvernementales et par l’Etat, et malgré toutes les lois en vigueur. Au moins de février la Fédération de la Ligue des Droits des Femmes au Maroc a donné l’alerte en appelant explicitement le législateur marocain à criminaliser toutes les catégories de viols, ce qui n’est pas actuellement le cas. Cet appel a été lancé après constatation d’une augmentation alarmante du nombre de viols déclarés.
La Fédération explique cela par l’absence de loi protégeant efficacement les victimes de viol et souligne l’importance d’une mobilisation en faveur d’une révision complète de la loi 103 / 13 relative à la violence envers les femmes.
Au cours d’une conférence de presse intitulée « Hasnae, la martyre », la Fédération de la Ligue des Droits des Femmes au Maroc et l’Union Féministe Libre sont revenues sur l’affaire de la jeune Hasnae, 18 ans, qui s’est suicidée à la fin de l’année dernière après avoir été victime d’un viol collectif. Une vidéo comportant les témoignages de plusieurs jeunes filles victimes d’incestes ou d’agressions sexuelles, en plus du témoignage de Hasnae, a été diffusée.
Dans ce témoignage posthume, la jeune Hasnae raconte la barbarie à laquelle elle a été confrontée : la jeune fille a été violée par une quinzaine de malfaiteurs et raconte toute la souffrance physique et psychologique qui s’en sont suivies, et qui l’ont sans doute poussée à mettre fin à ses jours. Son corps a été retrouvé quelques jours après dans un puits, à Rabat.
Selon l’enquête nationale pour l’observation de la violence envers les femmes et réalisées par la délégation suprême de la planification, le nombre viols recensés « atteint les 38 000 cas par an ». Le rapport de la Fédération révèle aussi que, selon les chiffres avancés par le réseau de la Ligue du Secours contre la Violences des Genres, parmi les 6729 cas de violence enregistrés au cours de l’année 2016, 3,76 % sont de nature sexuelle.
Ce type de violence englobe les actes de harcèlement sexuel, les pratiques ou actes sexuels non consentis et forcés, ainsi que les actes de proxénétisme. Le viol conjugal représente 28 % et les viols commis sur des mineures représentent 13,44 %.
La Fédération de la Ligue des Droits des Femmes au Maroc a présenté nombre de propositions relatives à l’amendement de la loi contre la violence envers les femmes, en appelant à criminaliser le viol conjugal, à le classer parmi les actes de violence envers les femmes et à renforcer les peines sanctionnant les viols.
En outre, la Fédération a demandé que soit stipulée dans le texte de loi la réparation automatique en faveur de la victime de violence, sans que celle-ci ait à la demander et que lui soit accordée une assistance judiciaire complète dans ce genre d’affaires avec simplification des procédures.
« Je ne suis qu’une femme »…
Ouarda, ou du moins est-ce ainsi qu’elle préfère que nous l’appelions, est une jeune femme de 21 ans. Victime de violences, elle a accepté de faire part à Dune Voices de son expérience : « J’avais 18 ans quand mes parents m’ont mariée à un homme qui avait l’âge de mon père. Nous venons d’un petit village du sud du Maroc. Mes études se sont arrêtées au niveau du primaire. Je me suis mariée et c’est là que l’histoire d’une vie douloureuse a commencé pour moi, une destinée dont je ne voulais pas mais que j’ai acceptée en respect de la formule selon laquelle "La bénédiction de Dieu vient de celle des parents" ».
« Mon mari était agriculteur. Un mois après le mariage, son comportement envers moi a changé en devenant très brutal. J’étais une enfant et je n’avais pas la moindre idée des exigences d’une vie conjugale… Je le servais, ainsi que sa femme qui est plus âgée que moi et qui me maltraitait… Tous les deux, ils m’ont soumise à des violences verbales, puis physiques. Ensuite, j’ai dû subir le viol conjugal, toujours sous les coups et les bastonnades. Il ne me restait pas d’autre solution que la fuite » raconte-t-elle.
La jeune femme conclut ainsi son récit : « J’ai pris soin d’emmener une part de mon argent, une part du sien et mes bijoux ; puis, un beau matin, je me suis enfuie vers Agadir et de là vers Casablanca où j’ai travaillé pendant deux ans comme aide ménagère. Pendant cette période, j’ai repris contact avec mes parents, à distance, et j’ai réussi à obtenir le divorce et la liberté ».
Mère de trois enfants, Fadhila est ouvrière agricole dans une ferme située aux alentours de la ville de Taroudant, dans le sud du Maroc. Elle nous raconte son histoire : « J’ai vécu humiliée et avilie pendant de longues années, tapie sous le joug de la société et du qu’en dira-t-on… Je ravalais toujours ma tristesse et ma douleur au fond de moi et j’essayais en public de donner l’air d’être une épouse heureuse et épanouie. Cela a duré jusqu’au jour où je me suis révoltée en décidant de dire "Non". Je l’ai fait d’abord pour mes enfants et ensuite pour moi-même. Après avoir subi la violence et toutes sortes d’agressions physiques, j’ai été tentée de mettre fin à mes jours mais je sentais que c’est un choix de lâcheté… C’est d’ailleurs pourquoi, j’ai finalement décidé de faire face et aujourd’hui, j’en suis fière ».
L’histoire d’Amna est quelque peu différente. En effet, elle ne s’est jamais mariée mais elle a été violée par « le fils d’un notable ».
Se remémorant cette journée, elle dit : « J’avais 16 ans et je rentrais chez moi quand j’ai croisé un homme, celui-là même qui me poursuivait toujours à bord de sa voiture luxueuse. Il est le fils d’un haut responsable de notre ville. Ce jour-là, il m’a fait monter de force dans sa voiture et m’a emmenée à un endroit qui semblait être un bois. Là, il m’a violée puis il m’a menacée en me disant que si jamais je venais à raconter ce qu’il s’était passé, il me le ferait regretter amèrement, et ferait renvoyer mon père de son travail ».
« J’ai été forcée de garder le silence parce que je venais d’une famille pauvre... Mais par la suite, j’en ai parlé à ma mère et nous avons décidé de quitter la ville et d’aller vivre loin. Oui, c’est aussi simple que cela. J’ai pensé au suicide et j’ai même essayé plus d’une fois ; mais, même cela, je n’ai pas réussi à le faire… Aujourd’hui, je vais mieux, grâce à un suivi psychiatrique », poursuit Amna.
Avocate au barreau de Rabat, Fatiha Achtatou, rejette la responsabilité de cette situation sur le législateur, dans la mesure où, dit-elle, « la loi marocaine N° 103 / 13 ne protège pas les jeunes filles » et qu’il n’existe pas de définition précise du viol.
Hind Al barani, militante des droits de l’homme au sein de l’association Femmes Contre la Violence, appelle quant à elle l’Eat, les organisations non gouvernementales, ainsi que la société dans son ensemble à « conjuguer leurs efforts afin d’éviter que ne se reproduise le drame vécu par Hasnae et par de nombreuses autres femmes meurtries dans notre patrie ».
Khaoula JAIFRI