Ce centre reçoit actuellement 105 imams maliens, dans le cadre d’un programme qui concerne 500 imams. C’est suite à une visite au Mali et sur demande du président malien Ibrahim Boubacar Keïta, que le roi Mohamed VI a effectué le lancement solennel du programme dans la deuxième moitié de l’année dernière.
Dans le jardin du centre , dans une des ruelles du quartier Riyad - l’un des plus chics de la capitale Rabat - un jeune est assis, accroupi sous les citronniers et les pins : entre ses mains, des papiers qu’il bascule de temps à autre et répétant en boucle la même phrase en langue arabe marquée par un accent agami. De la porte intérieure du bâtiment sort un homme de teinte brune, la taille longue, sur la tête un couvre-chef rouge semblable à celui que les musulmans du Proche-Orient et d’Afrique du Nord ont hérité des Ottomans. Il marche à pas très lents, tenant dans la main droite un chapelet, récitant d’une voix à peine audible des cantiques et prières, saluant son collègue qui se prépare pour aller à la mosquée pour la grande prière du vendredi. «Avant de venir au Maroc, je me considérais comme alem, mais aujourd’hui, j’ai découvert dans la religion beaucoup de choses que j’ignorais» déclare Idriss Traoré, imam d’une des mosquées de la capitale malienne, Bamako.
Traoré évoque l’importance et la gravité de l’imamat dans la société musulmane, il dit que «cette gravité ressort du fait que l’imam est l’inspirateur d’un segment important de la société et s’il ne connait pas assez l’islam ou propage des idées extrémistes qui n’ont rien à voir avec la religion, cela conduira à l’augmentation du nombre des rigoristes et terroristes».
Idris, le jeune malien qui dit avoir reçu sa formation religieuse d’une manière archaïque «déconnectée de l’évolution technologique et du réseau internet», a salué l’initiative de la formation des imams maliens que le président de son pays a suggérée au roi du Maroc, vu «sa compréhension absolue du rôle important que joue l’imam et le prédicateur dans la transmission de l’islam certifié aux citoyens», déclare Traoré qui admire par la religiosité marocaine basée sur «la modération et l’absence de toute coercition».
Mohamed Issa Coulibaly, qui occupe dans son pays le poste du délégué du ministère des affaires islamiques, se souvient encore de son pays pris par le feu du terrorisme au cours des dernières années. Il n’oublie pas que son pays était entre le marteau des groupes extrémistes et l’enclume de l’intervention militaire de plusieurs pays étrangers. «Beaucoup de docteurs en religion ont contribué directement ou indirectement à la montée de l’extrémisme religieux dans la région du Sahel et Sahara, notamment dans le Mali, mais, des pays étrangers pensaient qu’ils pourraient vaincre avec les armes cet extrémisme qui menace la sécurité et la paix mondiale, mais, c’est le contraire qui est prouvé» martèle Coulibaly. Celui-ci salue le rôle du Maroc dans la stabilisation de son pays et sa sécurité «pas par la chasse des terroristes par voie militaire, mais par le déracinement de l’idéologie terroriste qui est plus dévastatrice». C’est l’objectif de la formation des imams et de leur encadrement sur les fondements de la religion islamique basée sur la modération et la retenue, surtout si on sait –ajoute le même interlocuteur- que «l’imam constitue une icône que suivent beaucoup de gens».
Dans ce contexte, le Directeur du Centre de formation des imams maliens, Abd As-salam Al Azaar, déclare à Rabat que ce programme de deux ans pour chaque groupe, vise à «réhabiliter des imams et doctes capables de bien accomplir la mission de l’imamat ordinaire, qui soient bien connaisseurs des affaires religieuses suivant la bonne conduite, et ce pour éclairer aux gens la religion juste et passer le message tel qu’ils l’auront reçu», affirmant que «l’imamat ne dépasse pas ce rôle, et ne doit pas franchir les limites susceptibles de semer la zizanie dans la société».
Il a ajouté dans ce cadre que ce programme, qui contient, en plus des matières de la charia, l’information, le français et des matières qui contribueront à élever le niveau d’éducation des étudiants, vise à «barrer la route aux pirates de la religion, par le dialogue même avec ceux qui portent des idées différentes», a-t-il dit.
Le Centre portera dans quelques mois le nom de Centre Mohamed VI pour la formation des moniteurs et monitrices, et va recevoir, bientôt, des groupes nouveaux de la Tunisie, la Libye, la Côte d’Ivoire, le Gabon, la France… Lahsen Sekenfel, professeur de la matière des laïus et prédication pense que leur rôle est de former les citoyens sur leur religion loin de l’extrémisme et du rigorisme. Il s’agit de «les sensibiliser sur la nécessité de ne pas exploiter la tribune de l’imamat d’une manière contraire aux principes de la nation ou de la patrie et de ne pas l’utiliser à des fins politiques».
Saad Ar-Rakraki, professeur de droit international et spécialiste des relations internationales, pense que cette opération qu’il qualifie de «positive» constitue une partie d’un projet plus large qui vise à créer une sorte d’harmonie entre les imams dans le monde islamique et particulièrement en Afrique du Nord. Il note que «ce programme ne contient pas seulement des objectifs religieux, mais également des implications et signaux politiques» ; car, malheureusement, ajoute Ar-Rakraki, «il y a des groupes et mouvements islamistes différents, voire antagonistes, qui nuisent à l’image de l’islam», considérant que cette opération vise à «prendre une position commune et unifiée par rapport à la vision islamique à communiquer aux peuples musulmans généralement et à ceux de la région sahélo-saharienne particulièrement».
Le professeur des relations internationales s’interroge, dans ce cadre, sur l’utilité de cette opération : «est-ce qu’elle est venue pour combler un vide exploité par des mouvements politiques extrémistes se prétendant l’islam ? S’agit-il d’une stratégie qui vise à propager une vision religieuse modérée dans l’objectif de faire face à ces mouvements qui agissent dans la région ? Ou bien c’est juste une répercussion d’un conflit entre les pays de la région dans une tentative de mettre la main sur la région sahélo-saharienne ? »