En plein centre du quartier se trouve ce qui reste d’un quartier juif appelé «Al Mallah, Le Navigateur». Dans le quartier, apparaissent clairement des logements, des comptoirs, des ateliers, des artisanats, des lieux de cultes, l’Etoile de David… Des traces qui prouvent que les juifs ont vécu, durant de longs siècles, entre les oasis et plateaux. Preuves également qu’ils ont contribué amplement à la prospérité des communautés. Et ce avant que leur longue histoire ne se transmette en ruines qu’amènent avec eux les vents du désert.
Métiers et symboles
Ibrahim Nouhi est un octogénaire marocain. Il a fondé «le Musée Cheikh Omar» non loin de la localité « Agha» qui abrite le plus grand rassemblement de la communauté juive dans le sud-est. Le vieux constitue une mémoire vive sur les détails de la vie des juifs dans ce lieu si lointain, ainsi que de leur mode de vie durant le XXè siècle. Son musée contient d’importants documents, livres et photos. Ils racontent l’histoire des voisins de Nouhi, adeptes du Torah. Il est la direction des chercheurs, des touristes et des curieux, qui veulent se renseigner sur une partie importante de la mémoire locale.
Ibrahim Nouhi indique: «Les juifs faisaient partie de notre tissu social et économique ; avec eux, nous avons cohabité durant une longue période». Il ajoute: «Les familles juives constituaient une catégorie intégrante dans les domaines d’artisanat et du commerce. Elles étaient les premières à améliorer les opérations financières, en plus du domaine patrimonial où elles ont laissé un héritage important, notamment en manuscrits et en musiques».
Ibrahim Nouhi ajoute: «Les juifs de la région d’Agha ont longuement résisté à l’idée d’émigrer vers Israël et l’Europe. Ce n’est qu’aux années 80 du siècle dernier que la dernière famille juive de la région a émigré ; elle possédait d’un four célèbre en plein centre-ville de Tata, connu par ‘le four du juif’».
Tafilalet, l’origine hébreu
Certains chercheurs, à l’image d’Abdallah Steïtitou, soutiennent que la région Tafilalet, dans le sud-est marocain, est parmi les régions marocaines qui attirent le plus des juifs en visite au Maroc. Le chercheur affirme que «la présence juive dans cette région semi-sahraouie est très ancienne ; le chercheur juif Naomi Slush affirme même que les juifs ont élu domicile à Tafilalet depuis l’antiquité, arguant que le terme ‘Tafilalet’ est dérivé du nom d’une des communautés juives qui vivaient dans la région».
Les communautés juives qui ont vécu dans la région pratiquaient essentiellement l’artisanat, l’industriel, le commerce d’or et des écrins… etc. Steïtitou indique que «l’espace désertique occidental, d’une manière générale et inclusive, a connu une intense présence juive, du Soudan et Tombouctou au sud jusqu’aux Montagnes de l’Atlas au nord». Il ajoute que «Beaucoup d’oasis et bassins de cet espace étendu, étaient archi pleins de juifs ; à l’instar de Sousse, Deraa, Ziz… entre autres. Car, beaucoup des preuves tangibles, notamment les dépots archéologiques et intellectuels, telles que les coutumes et us, y étaient et y demeuraient jusqu’au début du dernier siècle».
Selon le chercheur «la présence juive s’est renforcée dans le bassin bas de Ziz, après la création de leur métropole historique, Sidjilmassa, avec ce qu’elle a contenu comme ragoûts des familles juives. C’est ainsi que le livre ‘Listibsar’ indique que la cause de la volonté de stabilité à Sidjilmassa chez les juifs, est le fait que cette ville constituait ‘la porte des mines et la station du commerce’ dans la sous-région. Surtout que la communauté juive était celle qui exploite la plupart des mines d’or dans le Pays des Amazighs, avant et après la conquête arabo-musulmane de l’Afrique du Nord. En plus, les juifs étaient spécialistes en monnayage».
Disparition après omniprésence
L’avis de l’écrivain marocain juif, Jacob Cohen, n’est pas loin de ceux d’Ibrahim Nouhi et du chercheur Abdallah Steïtitou. Cohen fait appel à ses souvenirs d’enfance et de jeunesse au Maroc. Il affirme que sa communauté investissait beaucoup dans des secteurs tels que le blé, le thé et le sucre, évoquant des noms de familles de Taulidanos, Amar et Bendigo. Des familles qui menaient des activités commerciales et industrielles vitales au Maroc.
Pour Jacob Cohen, la migration des ressortissants marocains de religiosité juive et l’abandon de leur terre natale, constitue une véritable tragédie. Cohen dit «si cette population était restée au Maroc, leur nombre aurait atteint, aujourd’hui, entre 1 million et 1.5 million personnes. C’est une communauté active, productrice et efficace dans les domaines des finances, affaires, artisanat, musiques, médecine et littératures».
Jacob Cohen considère que la migration constitue un cauchemar et une grande perte à son pays, le Maroc ; car «les juifs marocains auraient pu donner beaucoup au Maroc contemporain. Car, ils ont été éduqués suivant une mentalité laïque civile, grâce aux systèmes des Ecoles d’Alliance».
Cohen parle du facteur politique déclencheur de la migration des juifs. Une migration qui est devenue, selon lui, une véritable hémorragie, dans le milieu du siècle dernier. Car, selon l’écrivain, «Israël a fait tout pour attirer et déplacer les juifs vers soi; puisqu’Israel avait besoin d’eux pour la reconstruction du désert, le recrutement dans les rangs de Tsahal, l’occupation des terres et la gestion de la production au sein des industries».
C’est ainsi alors que les juifs ont émigré vers Israël, vers l’Europe, le Canada et les Etats-Unis. Et c’est ainsi qu’ils ont disparu après leur omniprésence marquante.