C’est pourquoi, on trouve ces plantes dans tous les foyers, bien que la médecine moderne soit fortement présente dans les villes sahariennes et malgré l’expansion des pharmacies qui vendent les médicaments chimiques fabriqués dans les laboratoires selon les protocoles des sciences nouvelles.
Quelques mots seulement de la part de ses patients qu’elle fixe de ses yeux concentrés suffisent à Silm Mosbah, cette thérapeute traditionnelle de la ville de Laâyoune, pour savoir quel remède leur prescrire. Elle nous explique : « Les gens du Sahara comme nous ont le corps qui répond parfaitement bien à la médecine dont nous avons hérité de nos aïeux. Quels que soient nos maux, nous pouvons trouver le diagnostic et la thérapie dans la nature même, grâce aux plantes et aux animaux qui ont des vertus médicinales. Ainsi, par exemple, pour soigner la migraine et le mal de tête, il suffit de brûler un peu de « Fasoukh » et de « Chiba » (pierre d’alun) pour que soit chassé le mauvais œil et que le patient se rétablisse peu de temps après. Pour guérir les maux des intestins et l’intoxication alimentaire et afin de se débarrasser des symptômes qui s’en suivent tels que la diarrhée et les étourdissements, on peut se contenter d’une infusion de « Cumin d’Erec » bien bouilli dans de l’eau de pluie ou d’un mélange plus célèbre encore qu’on appelle « El Mouthalatha » parce qu’il se compose de trois éléments qui sont : « al âlak » qui est le fruit de l’acacia (des gousses de graines), le gras obtenu à partir du beurre d’agneau longuement battu et la « Taghia » qui est parmi les plantes qui soignent le mieux les maux d’estomac. Ces trois ingrédients doivent être bien mélangés dans un récipient, avant d’y ajouter de l’eau chaude et de bien remuer jusqu’à ce que l’âlak soit totalement fondu dans l’eau. La mixture est ensuite administrée le matin, à jeun, une heure avant le petit-déjeuner ».
Silm continue d’exposer son art en expliquant comment soigner les blessures et les saignements : « Il arrive souvent que les hommes tombent du dos de leurs chameaux ou qu’ils se blessent en ramassant le bois, de même qu’il arrive qu’une femme se coupe en cuisine… Nous avons toujours soigné ces cas avec du gras d’agneaux qu’on met sur la blessure et qu’on couvre par la suite avec la feuille d’une plante qu’on appelle « Assidra al Khadhra » (le mot « sidra » signifie « la plante ») et qui sert de pansement efficace qui accélère la guérison ». « Ainsi, ma fille, nous avons toujours soigné de la sorte aussi bien l’homme que l’animal et cela a toujours été efficace. Ce n’est que depuis que nous fréquentons les cliniques et les hôpitaux que nous avons commencé à connaître les maladies chroniques », conclut-elle.
Nous quittons Silm qui nous salue d’un large sourire, remplie d’une confiance infaillible dans l’efficacité des plantes sahariennes, tout en nous conseillant habilement de nous éloigner des « affres » de la médecine moderne, comme elle dit.
Pour savoir ce que pense la médecine moderne de tout cela, nous avons rencontré Mme Hind Ben Addi, responsable de la Pharmacie Régionale qui est une institution dépendante du Ministère de la Santé et qui approvisionne l’ensemble de la région en médicaments. Elle explique : « Nous ne pouvons pas nier la caractéristique médicinale de ces herbes, dans la mesure où elles ont réellement des vertus thérapeutiques. Mais pour cela, il faut un certain nombre de conditions sans lesquelles ces vertus deviennent totalement nulles. Il faudrait que l’herbe soit cueillie à une heure matinale, avant le lever du soleil. Il faudrait aussi qu’elle soit séchée selon un rituel bien déterminé lorsqu’elle s’utilise sèche contrairement à celles qui s’utilisent fraiches. Par ailleurs, les herbes ne doivent pas être stockées ensemble mais séparément et classées par genres. Certaines doivent être stockées loin de la chaleur ; d’autres s’abîment lorsqu’elles sont exposées à l’humidité. Quelques unes gagneraient à être conservées dans des bocaux en verre. D’autres encore ont besoin d’être cuites ou écrasées au mortier… etc. Or, ce n’est pas ce que nous observons couramment chez certains vendeurs de plantes qui étalent leurs produits dans des sacs en plastiques en les exposant à l’air libre et aux rayons du soleil, ce qui leur enlève toute efficacité thérapeutique. Ainsi donc, lorsqu’on ne respecte pas certaines conditions, les herbes médicinales se transforment en poison mortel ! ».
Parmi les secrets infinis de cette science que les spécialistes en pharmacie appellent « la phytothérapie », le fenugrec (« Helba ») est très efficace pour perdre du poids et pour réguler la glycémie. Beaucoup l’utilisent d’ailleurs pour maigrir mais cette plante risque d’avoir un effet contraire au cas où les doses autorisées seraient dépassées ou que le mode d’emploi ne serait pas correctement suivi. L’armoise aussi (« Chih ») peut être très dangereuse lorsqu’elle n’est pas modérément utilisée, bien que son efficacité dans le traitement des inflammations urinaires et digestives et des atteintes virales sexuellement transmissibles ne soit plus à prouver.
Au Sahara, les plantes médicinales sont fortement demandées, à cause du manque de confiance entre les Sahraouis et la médecine moderne avec laquelle ils entretiennent une relation relativement nouvelle, contrairement aux liens ancestraux qui les unissent aux plantes. Et malgré la confiance qu’ils leur font, il arrive que certaines herbes soient malgré tout nocives. Tel est le cas récent d’une graine importée de Mauritanie et dont on a dit qu’elle contenait du gingembre, ingrédient prétendument efficace dans le traitement des syndromes rhumatismaux et de l’obésité. De nombreux habitants des régions du Sud en ont consommé, ce qui leur a causé des intoxications tellement graves que le pronostique vital s’est trouvé fortement engagé. C’est d’ailleurs grâce à une prise en charge rapide à l’hôpital spécialisé de Marrakech qu’ils ont été efficacement soignés et sauvés.