Certains mariages, d’ailleurs, n’auront pas duré autant qu’ils auront fait parler les gens et des milliers d’histoires se sont terminées avant même d’aboutir. Selon de nombreux sociologues cela est dû à l’éducation des femmes dans les nouvelles générations qui ne savent plus faire preuve de patience envers les difficultés de la vie, contrairement à leurs aïeules qui se sont montrées bien tenaces et endurantes dans l’accomplissement de leurs rôles, qu’il s’agisse d’éduquer les enfants devenus les adultes d’aujourd’hui, de supporter avec leurs conjoints la cherté de la vie ou de faire face aux difficultés de la vie conjugale.
Al Batoul est une jeune femme divorcée âgée d'à peine 32 ans. Elle nous résume la représentation que se fait la société de la femme divorcée en disant : « Il faut distinguer deux types de sociétés: une grande et une petite. La petite, composée de ma famille et de ma tribu perçoit le divorce comme un phénomène ordinaire qui s'apparente plutôt aux forces du destin ». Puis, se croisant les bras, elle ajoute: « Le divorce chez les familles comme la nôtre n'est pas considéré comme une faute qu'on pourrait reprocher à la femme divorcée. Bien au contraire, certaines familles célèbrent même l'événement, faisant ainsi comprendre à l'ex-conjoint que si, lui, n'a pas su estimer sa femme à sa juste valeur, sa famille, à elle, la veut toujours et se trouve contente de la reprendre».
Pour ce qui est de la grande société, tel qu’elle désigne notre entourage plus large, Al Batoul explique : « Certains hommes portent sur la femme divorcée un regard méprisant et la considèrent comme une femme facile qui n’est bonne qu’à satisfaire les pulsions sexuelles masculines. Or, cela donne à la femme divorcée un sentiment d’injustice et d’humiliation que de se sentir perçue par les hommes comme une prostituée, pour la simple raison qu’elle se soit séparée de son mari ».
Khadijatou, qui est mère de deux enfants, affirme que « la société sahraouie est une société ordinaire qui ressemble à beaucoup d’autres mais que le problème réside dans le fait que certains hommes se mettent à la poursuite des femmes divorcées, étant persuadés qu’elles sont seules et sans présence masculine qui les protège, ce qui les encourage à tenter de les séduire par tous les moyens jusqu’à ce qu’elles se laissent piéger et finissent par céder à leurs avances ».
Nuançant l’attitude de la famille, Khadijatou explique encore : « La famille accepte, certes, d’accueillir en son sein sa fille divorcée. Mais le spectre des soupçons qui hante l’esprit de ses frères mâles va la persécuter chaque fois qu’elle sortira pour faire une course ou pour rencontrer une amie. Ils se mettront alors à lui faire subir un questionnaire digne qu’une véritable enquête de police ».
Remplie de l’espoir qu’un jour proche lui fera connaître le bonheur de rencontrer un bon mari qui lui épargnerait les affres des commérages et les tourments des soupçons, elle ajoute : « J’aime sortir prendre l’air mais les doutes de mes frères et la persécution des hommes qui me savent divorcée me privent de ce simple plaisir ».
Pour sa part, Sid Ahmed, dont la sœur est divorcée, affirme à ce sujet : « Personnellement je ne doute pas le moins du monde des nobles mœurs de ma sœur. Ce qui me fait peur c’est cette catégorie d’hommes dont l’unique souci est de poursuivre les femmes divorcées afin de les séduire et de les faire succomber à leurs avances malsaines ». Il reconnaît ensuite, en souriant : « Il est vrai aussi que, parfois, cette peur se transforme en doute parce que les commérages sont impitoyables ».
Le professeur Ali Abdessadok, chercheur en sociologie, explique dans ce contexte : « L’homme est naturellement sceptique et intolérant sur toutes les questions qui touchent à sa réputation et à son honneur, de même qu’il est lent à accorder sa confiance. Cela signifie que la conviction et la certitude qu’aucun homme ne soit parvenu à séduire sa sœur ne pourront s’installer définitivement dans son esprit que lorsque nombre de remises en questions, d’oscillations et de tergiversations auront pris le temps de se faire en lui pour qu’il se sente enfin apaisé et confiant par rapport à ce qui se passe autour de lui. Car la défiance naturelle de l’être humain n’est pas un acte volontaire et quiconque dirait qu’elle le serait se trouverait dans une parfaite illusion pour la simple raison que, lorsque cette situation est volontaire, elle ne saurait être considérée comme un état de doute et ne saurait être appelée comme telle, pas plus qu’on ne pourrait dire de l’homme en question qu’il est dubitatif. Car en ce moment-là, le doute dont il fait semblant n’est en réalité que le moyen de parvenir à prouver ce qu’il est convaincu au fond de lui-même que c’est la pure vérité ».
En ce qui concerne la femme divorcée et son rapport aux hommes, le sociologue ajoute : « La culture commune donne à ce rapport un aspect particulier car l’image stéréotypée que la société construit de la femme divorcée, et qui se fonde sur une interprétation erronée des usages, est celle d’un individu mineur. L’injustice que des « soi-disant "hommes" » infligent à la femme se poursuit ainsi même après le divorce, même si ce dernier n’est en réalité que la conséquence d’une incompatibilité de caractères ou qu’il résulte simplement de problèmes financiers. Pour ce qui est de ces hommes qui cherchent à séduire les femmes divorcées, on ne peut qu’attribuer leurs actes au fait que l’homme sahraoui ne prenne pas encore suffisamment conscience de la situation réelle de la femme divorcée, qu’il n’ait pas encore atteint un degré suffisant de maturité intellectuelle et qu’il ne se soit pas encore débarrassé d’une culture dominée par le refoulement des désirs et la recherche effrénée du plaisir ». Ali Abessadok termine en disant : « Il n’en reste pas moins que la femme, même si elle échoue d’un point de vue social, demeure très forte et garde une place importante dans l’activité politique et culturelle de son pays ».