Hichem Cherif Issaoui est l'un des membres de la "Halka" sur la place de la mosquée Al Fana. Ses ancêtres ont dû quitter les villages de la région de "Kalâa Sraghna" à cause des conditions difficiles, vers Marrakech. L'art de présenter des spectacles musicaux était leur unique gagne-pain.
Hichem a déclaré à Dune-voices que son groupe appartient au patrimoine des groupes "Issawa", connus sous les noms de "Awled Sidi Rahal" et "Awled Bouya Amor". Leur métier consiste à la danse avec les serpents, les scorpions et les animaux féroces qu'ils ramènent de leurs villes natales.
Notre interlocuteur ajoute qu'ils gagnent leurs vies grâce à l'aventure et la stupéfaction des touristes, surtout les étrangers, devant leur art réservé aux professionnels. "Nos ancêtres se sont installés à Marrakech depuis les années 60. Le métier du spectacle à travers leur patrimoine culturel et artistique a été retransmis de génération en génération", a-t-il précisé.
Il estime qu'ils sont ici presque par héritage et qu'ils ne veulent pas changer les choses. Il affirme même que les expériences de ses amis qui ont terminé leurs études et cherché un emploi se sont soldées par des échecs. C'est pourquoi il a choisi, avec son groupe, d'entamer une carrière dans l'art de la "Halka Issaouia" sur la place de la mosquée Al Fana.
Hichem affirme qu'un "gagne-pain garanti, hérité des ancêtres, vaut mieux qu'un avenir incertain", précisant que le nombre de personnes appartenant aux groupes de "Issawa" et qui exercent sur la place de la mosquée Al Fana avoisine 80 personnes, répartis sur 5 groupes. Chaque groupe est composé de plus de 12 personnes. Ils se sont organisés dans une association bâptisée "Folklore Issawa".
Quant au revenu quotidien des spectacles de la place, Hichem atteste qu'il varie de jour en jour. En période de pointe touristique, spécialement en été, le revenu est important.
Un brouhaha partout. Dès que tu entres dans l'un des cercles des arts de la place, tu t'isoles sur tout ce qu'il y a autour, malgré l'énorme bruit émanant de chaque cercle.
Des groupes dansent avec les animaux venimeux, d'autres présentent des spectacles comiques, des membres racontent des histoires à leur public, alors que d'autres chantent des chansons marocaines traditionnelles populaires, notamment celles des groupes "Nas Ghiwan", "Mchaheb", "Jil Jilala" ou encore du groupe local, "Rassad".
En face, à l'extrémité de l'entrée de la place du côté de l'entrée du prince Moulaya Rachid, des jeunes ont ramené un groupe de singes en couches qui imitent les mouvements des êtres humains.
L'un des propriétaires des singes, Adel (26 ans), affirme que ses animaux sont leur gagne-pain. Jouer ou prendre une photo avec les singes coûte entre 5 et 10 dirham (entre 0,5 et 1 dollar). Il estime que leur revenu quotidien est aléatoire. Ils commencent à travailler l'après-midi, quand les touristes affluent à cet endroit. Adel précise que les touristes étrangers paient plus cher, surtout s'ils veulent prendre plus d'une photo avec les singes.
Mohamed, membre d'un autre groupe musical, dont les ancêtres ont aussi migré vers Marrakech explique qu'ils ont troqué leur va-et-vient quotidien entre leur ville natale et la ville rouge en une installation permanente. Ils ont loué des maisons situées dans les quartiers populaires de la ville, proches de leur lieu de travail.
Il ajoute que les derniers jours du mois de décembre et les premiers jours du mois de janvier, ainsi que la saison estivale constituent la meilleure période pour l'activité touristique. Mohamed affirme que le revenu quotidien se calcule en fonction de ce que touche chaque membre du groupe. Le butin est partagé équitablement entre les membres du groupes, peu importe la tâche de chacun.
C'est ça la place de la mosquée Al Fana: des groupes qui présentent des spectacles pour un revenu moyen. La place, qui puise sa célébrité de leurs efforts et des dangers qu'ils affrontent en jouant avec les animaux venimeux, ne les récompense pas comme il se doit..
Concernant la possibilité de la continuité du phénomène de la migration artistique et culturelle de la ville, le chercheur en sciences sociales, Zakaria Akdid, a indiqué qu'il se poursuivra tant qu'il y aura de la créativité et du besoin dans les zones reculées avoisinant la ville. "Le nouveau venu à la place de la mosquée Al Fana doit montrer ses talents, puis chercher la reconnaissance et la légitimité auprès des groupes qui disposent désormais de cadres qui les gèrent", a-t-il ajouté.
Il suppose que la place donnera, chaque décennie, une nouvelle génération qui animera, différemment, ses espaces, à cause du changement des mécanismes de la transmission des arts.
Il explique ce changement du comportement humain et social à la place par la mutation qu'a connue la ville de Marrakech et le dynamisme du tourisme. Sa renommée internationale a engendré une nécessité de hausser le niveau, surtout auprès des touristes étrangers.
Ici, les membres des groupes se moquent des chiffres relatifs au tourisme. Nous leur avons montré quelques chiffres, mais leur évaluation était toute autre. Leur souci, selon Hichem Cherif Issaoui, est d'améliorer le tourisme et d'organiser les conditions de l'assistance aux spectacles afin d'augmenter leurs revenus. Ainsi, ils auront peut-être la chance de léguer à leurs enfants des maisons qu'ils posséderaient, au lieu de murs, laissés par leurs ancêtres, qu'ils louent.