Dunes Voices prend la route vers la province de « Midelt », dans le sud-est du Maroc. Ce sont des montagnes interminables qui se déploient le long de plusieurs centaines de kilomètres et des douars épars ça et là et qu’on ne peut atteindre qu’à bord de moyens de transports particuliers ou en attendant pendant de longues heures l’arrivée des rares transports mixtes.
Près du centre d’Imilchil, des dizaines d’enfants suivent leurs cours à l’intérieur d’une petite pièce où s’entassent des pupitres et un tableau en bois noir accroché au mur avec un bout de ficelle et un clou. Allel, le propriétaire de la pièce, nous confie que c’était à la base une écurie réservée au bétail, avant que les autorités régionales ne lui demandent de la leur louer pour 3500 dirhams, c’est-à-dire près de 350 dollars américains par an, afin qu’elle soit transformée en salle d’études.
Qu’est-il advenu de l’école qui était là auparavant ? La réponse se trouve dans les vestiges qui restent de l’ancien complexe scolaire et qui s’éparpillent près de l’actuelle « écurie-école » : des murs délabrés et des ruines donnant l’impression que les lieux auraient subi un quelconque bombardement et des bouts de piliers en acier oubliés de la nature comme pour témoigner de l’inconsistance des bases du bâtiment.
Une petite fille qui répond au prénom de Samira nous fait part avec amertume de l’absence de conditions propices pour qu’elle puisse poursuivre ses études. elle nous raconte également comment la joie des familles de voir construire une école près de chez eux et d’espérer que leurs enfants n’aient plus à parcourir de longues distances pour se rendre aux cours s’est vite dissipée, en voyant le bâtiment se transformer en un tas de décombres et servir d’espace de jeu pour les enfants au lieu d’être un lieu d’apprentissage.
A des dizaines de kilomètres du centre d’Imilchil, vers les profondeurs des Montagnes où les tribus « Eyt Abdi » ont élu résidence, se raconte un autre épisode de cette longue série de souffrances supportées dans le seul but d’avoir une chance d’apprendre.
Ainsi Ihsein Sakhmani, qui est à la fois gardien et cuisinier au sein du complexe scolaire des tribus « Eyt Abdi », nous raconte comment il a été « spolié des rétributions financières qui devaient récompenser ses dix-neuf années de service pour le bon fonctionnement de l’école », dit-il. « Non seulement, je balaye, fais à manger et garde l’école depuis des années, mais aussi, je restaure, chaque fois qu’il le faut, les coins et recoins que les conditions météorologiques menacent sans cesse d’effondrement », explique-t-il à Dunes Voices. Et lorsque nous lui demandons combien il est payé pour ce travail, il nous répond avec beaucoup de regret : « Quelques dirhams par an, voire moins ».
Notre interlocuteur nous a également montré des papiers prouvant son activité régulière au sein du complexe scolaire ainsi qu’un ensemble de lettres qu’il avait jadis envoyées aux autorités marocaines de tutelle et qui sont toutefois restées sans réponse, d’après lui.
Et si les pluies sont considérées par les agriculteurs comme « une bénédiction aussi bien pour l’homme que pour l’animal », elles signifient ici l’arrêt des cours pendant des mois, de telle sorte que la durée du cycle d’apprentissage par année ne dépasse pas les quatre mois seulement.
De l’autre côté de la province de « Midelt », se trouve un village dont l’accès demande de traverser un long chemin situé au milieu du cours d’un fleuve tari où les pierres sèches s’entremêlent aux sinuosités du parcours. « Eyt Marzouk » est un village où seuls les enfants des riches partent poursuivre des études secondaires. L’école est un petit bâtiment dont la clôture doit être rénovée chaque année, sans jamais réussir à résister une seule fois aux crues du fleuve. Des fissures qui poussent dans les murs comme des champignons menacent l’existence même des bases de ce petit bâtiment qui accueille chaque année des dizaines d’enfants.
Mohamed O Wasou, un des jeunes du village, travaille comme maçon pour son propre compte mais regrette de ne pas avoir pu finir ses études, faute de circonstances favorables, à la fois subjectives et objectives.
O Wassou affirme aussi que le petit hôpital construit dans le village a, d’une certaine manière, sauvé l’avenir des enfants dans la mesure où, explique-t-il, les chambres du bâtiment ont servi à loger les instituteurs nommés à l’école et originaires de régions éloignées du village, permettant ainsi de leur épargner le froid impitoyable qui foudroie la région pendant l’hiver. C’est ainsi que la malédiction qui a frappé les services hospitaliers de l’édifice s’est transformée en bénédiction pour les petits élèves du village. Au moins, affirme Mohamed, les instituteurs ne prennent plus la fuite en s’apercevant qu’il n’existe pas de logement pour eux près de l’école.
La situation des services scolaires est pratiquement la même dans les différents établissements de la région : des constructions délabrées, des pièces sans toits et criblées de trous béants, des salles de classe à l’air libre donnant directement sur les maisons voisines faute d’une clôture qui en délimite l’espace et qui protège les enfants des chutes que risquent de provoquer les nombreuses falaises de la zone. Et quand vient l’hiver, vient aussi le moment pour les enfants d’arrêter les cours et d’entamer de longues vacances forcées.