Les intervenantes considèrent que ce phénomène devient réellement un virus très dangereux qui n’épargne ni les hommes ni les femmes dans le Royaume, précisant que la femme est désormais perçue comme une « proie » potentielle dans les secteurs de la santé et de la justice.
Zohra Yassi est une des victimes de la corruption dans les environs de Salé. Elle nous raconte sa mésaventure en disant : « J’avais construit un mur au milieu d’une petite usine de marbre que je possède à la municipalité de Bouknadel parce je voulais mettre à l’abri du vol mes machines électriques. Mais, à peine quelques jours plus tard, j’ai eu la surprise de recevoir la visite d’un agent des autorités qui me transmettait, à la décision des responsables de la Direction locale, une convocation au bureau du Caïd. Je n’y suis pas allée ».
La suite du récit, nous la découvrons dans une déclaration qu’elle a faite à la presse en fin de conférence, au mois de décembre dernier: « Quatre jours après cette mise en demeure, les responsables sont arrivés avec un engin Trax et ont complètement détruit et saccagé mon usine que j’ai mis dix-sept années à construire… Toutes mes machines électriques ont pris feu, rien que parce que j’ai refusé de donner des pots de vin… ».
Quelques jours après la démolition de son usine en 2013, Zohra Yassi a de nouveau eu droit à la visite du même agent des autorités. « Il est venu me demander la somme de 10000 dirhams qu’il devait donner à ses supérieurs de la Municipalité en échange de la reconstruction de mon projet d’investissement, ce que j’ai refusé catégoriquement », raconte Yassi.
La dame dont l’usine démolie s’est, dit-elle, arrêtée de tourner durant deux longues années a finalement contacté le président de l’Association Marocaine pour la Protection des Fonds Publics qui l’a convaincue de collaborer avec lui pour tendre un piège au responsable corrompu, et cela en faisant semblant de bien vouloir lui céder la somme demandée. L’association a par la suite porté plainte auprès du représentant du roi à la préfecture de Saéa qui, à son tour, a ordonné à la police de surveiller l’agent des autorités qui a finalement été arrêté en flagrant délit de corruption, en train d’encaisser la somme de 10000 dirhams de la part de Yassi.
L’Association Marocaine pour la Protection des Fonds Publics avait été fondée en tant que commission indépendante chargée de « restituer l’argent détourné et elle travaille en collaboration avec les victimes de corruption afin de cerner les cas d’extorsion et de corruption ».
Avec une mine complètement désolée, Zohra Yassi poursuit son récit en disant : « Une fois arrêté, le responsable corrompu a écopé de onze mois de prison dont il a passé huit, avant d’être finalement relâché, sans pour autant que je puisse récupérer les dix mille dirhams que j’avais donnés à l’agent des autorités et qui sont partis dans la trésorerie publique ».
Saïda Al Idrissi, représentante de l’Association Démocratique des Femmes du Maroc affirme que la femme marocaine trouve de grandes difficultés pour accéder à la justice, expliquant que les résultats d’une étude menée par l’association montrent qu’« un million de femmes seulement ont accès à la justice, ce qui équivaut à une valeur qui ne dépasse pas les 17.3 % des femmes victimes de violences ».
Al Idrissi explique encore que, souvent, au cours des procédures judiciaires, « on demande aux femmes de payer des pots de vin dont les sommes et les plafonds varient en fonction du milieu auquel elles appartiennent». Il s’agit aussi bien de chantages à caractère sexuel que de toutes autres formes de pression et de racket. Et lorsqu’une femme refuse de payer ces sommes à son avocat, elle risque, poursuit notre interlocutrice, de « se rester sans défense au tribunal, de crainte qu’il ne lui soi demandé de remplacer les sommes qu’elle refuse de payer par des services de nature sexuelle, et cela qu’elle soit divorcée, mariée ou célibataire ».
« L’initiative lancée par le Ministère de la Justice en mettant un numéro vert à la disposition des femmes victimes de corruption est une opportunité à saisir de la part de ces femmes, de même que le Ministère devrait prendre des mesures disciplinaires punitives et donner suite aux plaintes des victimes afin qu’elles retrouvent enfin la confiance dans les institutions », conclut Al Idrissi.
D’ailleurs, le rapport annuel présenté par l’organisation « Tranparency International » au sujet de la lutte contre la corruption dans le monde durant l’année 2015 classe le Maroc parmi les pays dont les efforts en matière de lutte anti-corruption ont diminué. Or reculer de huit places dans le classement international, en passant de la quatre-vingtième en 2014 à la quatre-vingt-huitième l’année dernière reflète le ternissement qui frappe l’image du Maroc en ce qui concerne les affaires de corruption.
Kaouthar Ben Chakroune, responsable du Centre de Soutien Juridique Anti-corruption, explique qu’en l’absence d’études et de rapports officiels prouvant que la femme est plus exposée que l’homme à la corruption, l’organisation « Tranparency International Maroc » se base sur le rapport annuel des activités du Centre de Soutien Juridique Anti-corruption, ainsi que sur les statistiques des rapports internationaux.
Lors d’une déclaration de presse, Mme Ben Chakroune affirme également que « selon les statistiques du Centre de Soutien Juridique Anti-corruption, les femmes sont parmi les victimes les plus exposées à la corruption dans le secteur de la santé et qu’elles ne peuvent cependant pas dénoncer ces pratiques en portant plainte. Ce sont les hommes qui le font pour elles lorsqu’elles se trouvent dans cette situation ». Selon notre interlocutrice, cela s’explique « soit par la peur que ressentent ces femmes, soit par leur état de santé qui ne leur permet pas de porter plainte ».
La responsable du Centre de Soutien Juridique Anti-corruption insiste enfin sur la nécessité d’encourager les femmes à porter plainte contre la corruption, non seulement dans le domaine de la santé mais dans tous les secteurs, précisant que « "Transparency International Maroc a mis à la disposition des citoyens victimes de corruption trois centres prévus pour cela, à Rabat, Fès et Nadhour ».